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Rétro Stephen King : Ça – « Il » est revenu, un téléfilm de Tommy Lee Wallace

Ce téléfilm en deux parties (difficile d’énoncer la mini-série en deux épisodes et pourtant citons un Emmy Award en 91 pour meilleure musique et nomination pour meilleur montage) qui a très mal vieilli, a surtout marqué deux générations entières. Retour sur Ça – « Il » est revenu, une légende du petit écran qui sera adaptée à son tour au cinéma à la fin de cette nouvelle année… .

Synopsis : Une créature sans nom, Ça, répand la terreur et la mort dans la petite ville de Derry. Jusqu’à ce qu’une bande d’enfants mette fin aux agissements du monstre. Trente ans plus tard, les sept amis se réunissent à Derry : Ça est revenu…

Le vrai faux visage de la peur

Il faut savoir dès à présent que l’adaptation a énormément lissé l’oeuvre originale du maître, passant sous silence la violence du livre. Ce n’est pas un homosexuel qui est sauvagement assassiné dans l’introduction à l’époque actuelle, mais une fillette qui disparaît sous un drap en hors champ. Dans le roman, Henry Bowers essaie de graver son propre nom au couteau sur l’abdomen de Ben. Dans le téléfilm, Ben s’enfuit avant que Henry ne passe à l’acte. Aucune connotation sexuelle entre les enfants non plus… etc. Il faut donc s’attendre à un film grand public de deux fois 1h30. Mais jusqu’où Tommy Lee Wallace, réalisateur informel sans grande ambition (Halloween 3 et Vampire, vous avez dit vampire ? 2), pousse-t-il le vice en édulcorant une épopée existentielle sur deux temporalités ?

En amorçant l’épisode telle une énième enquête d’une série calibrée grand public, le spectateur s’attend à trouver quelques repères d’une certaine inquiétante étrangeté dès qu’apparaît Grippe-Sous joué par Tim Curry (The Rocky Horror Picture Show). L’acteur aux traits à la fois doux et acérés campe le personnage comme jamais, aussi habité que Max Schreck incarnait Nosferatu, Boris Karloff la créature de Frankenstein ou Christopher Lee, Dracula… Malgré quelques lenteurs liées aux choix relativement maladroits scénaristiques sur la foisonnante oeuvre de King, le premier épisode dresse le portrait de chacun des personnages principaux. Un a un, par un tendre flashback, le club des 5 (sauf qu’ils sont 7) est réuni un peu trop conventionnellement. Reprochons donc un rythme effréné par rapport à la mise en place du deuxième épisode qui s’étendra entre émotions « soapopera-esques » à la limite du surjeu par les adultes et coups portés au villain à grand renfort d’effets fantastiques bon marché. Mais de cette énumération, le genre glisse insidieusement vers le slasher. Nous nous attendions dès l’ouverture en mouvement sur la bicyclette de la fillette à ce type d’horreur, mais en nous décrivant de soi-disant tendres personnages hantés, enfermés dans des peurs enfantines, le téléfilm est rattrapé par le drame psychologique que le réalisateur ne maîtrise guère.

Le tournage s’est déroulé à Anmore, Chicago, New Westminster, New York et Vancouver. Le paysage de la crypte est éblouissant de simplicité, sauf que l’effet de fumée est clairement produit par une machine probablement artisanale. Et il en va de ce paradoxe entre grandeur et élémentarité, volonté de surprendre et échec de narration tout au long des 3 heures et quart de film. Nous déconseillons le binge watching, car l’exaspération qui découle du mélange des genres et du surjeu des adultes finit par tuer la magie que propose en filigrane l’oeuvre de King. Par ailleurs, pour en revenir à Tim Curry, son personnage de clown effrayant a sans doute été inspiré de John Wayne Gacy Jr., tueur en série américain. Il avait été surnommé le clown tueur en raison de ses activités bénévoles à l’hôpital de son comté, où il se déguisait pour faire plaisir aux enfants. Il fut déclaré coupable du viol et du meurtre de 33 jeunes hommes et fut exécuté en 1994. La pédophilie est un sous-texte explicite tandis qu’elle reste comme pommadée par la mise en scène classique télévisuelle de cette époque, figée entre compréhension expéditive et divertissement au premier degré. Cependant, l’ultime force, et qui contribuera au caractère mythique de ce trop long téléfilm, provient de ses propres défauts. Si l’on met de côté la fabuleuse interprétation de l’acteur britannique (qui n’est pas mort malgré la rumeur qui a enflammé le web en ce début d’année. Non mais trop de grands sont partis ces derniers 365 jours!), il faut recontextualiser la diffusion originale. En cette fin d’année 1990, les spectateurs américains, puis français trois ans après, ont été nourris de classiques grandiloquents tel que Les Gremlins, Star Wars, Retour vers le futur, Blade Runner ou Alien sans oublier les nombreuses suites Halloween, Evil Dead, Les Griffes de la nuit… La décennie suivante verra le jour sur des œuvres plus émotionnellement sensibles, stylistiquement osées ou à la narration en tiroirs, plus subtile et tout aussi puissante. Ne citons que Zemeckis, Fincher, Singer, Scorsese, Spielberg, Burton ou Tarantino pour rester outre-Atlantique. Ça – « Il » est revenu s’inscrit donc dans cette transition charnière. Malheureusement, on a l’amère impression d’assister à une mauvaise scène de Dallas lorsque Annette O’Toole, actrice du petit écran prolifique entre 1970 et son rôle de Martha Kent dans Smallville, et Dennis Christopher* (La Bande des quatre de Peter Yates, aucun rapport avec David, en 1979) se disputent ou se réconcilient. Mais la principale thématique ne devrait-elle pas être les peurs enfantines? Les blocages qui découlent d’autres plus antérieurs? N’appelons pas Freud au risque de faire un hors sujet, mais plongeons nous dans ce thème premier.

« L’enfant et le sortilège »,  selon Guy Astic dans l’ouvrage collectif Stephen King : Premières Approches, est le thème préféré de l’auteur qui déclinera à de multiples reprises l’imaginaire enfantin/adolescent comme fourmillant d’items et de peurs identitaires (Shining et la suite sur l’enfant Danny dans Doctor Sleep, Carrie, Peur Bleue…). Décrivant utopiquement un passé trop vite disparu au travers d’une certaine peur de grandir, King élabore autour de ce paradoxe décrit plus haut, entre culture classique et culture de masse/populaire, des récits initiatiques questionnant la véritable nature de l’être humain sur des concepts fantastiques. Et c’est pour cela que King a tant touché la deuxième génération, dite Y par les sociologues, (ceux nés entre 80 et 90), au point de faire de la coulrophobie** un véritable problème de société, plus qu’un gage amusant pour un film dit aussi d’horreur. Cette deuxième génération a toujours baigné dans un fantastique grandiloquent, surréaliste et hautement divertissant. Si King a autant touché cette génération, c’est en partie car le terrain était déjà conquis. La première génération reconnait une corrélation avec les effets oniriques et les décors baroques des œuvres de Roger Corman et peut-être ceux de son cycle Edgar Poe paru entre 1960 et 1965 (La Chute de la maison Usher, Le Corbeau ou Le Masque de la mort rouge..). N’est-ce pas un hasard s’il confie l’écriture des scénarios à l’écrivain de romans d’épouvante et de science-fiction Richard Matheson, référence ultime pour Stephen King?

Les Goonies, véritable ode à l’épopée enfantine de Richard Donner (d’après une histoire de Steven Spielberg) laisse une empreinte indélébile sur Ça – « Il » est revenu qui a été très bien reçu par le public. Demandons aujourd’hui la même chose, il est fort probable que la réception ne sera pas la même, dû à l’écart technique et aux actuelles habitudes des spectateurs d’aujourd’hui. Les héros adolescents permettent au jeune public une meilleure identification pour une plus efficace emphase. Et par ailleurs, il n’est pas anodin de retrouver les mêmes personnages sur deux temporalités, car cela permet à deux générations de se retrouver. La volonté de King de capter un plus large public est-elle donc évidente? Quant à Tommy Lee Wallace, sa veine ne se démarque guère et l’adaptation, à 5 ans d’écart, n’est pas un bon cas d’étude littéraire et cinématographique, tant l’intemporalité du roman est trahie par une volonté de plaire et les impératifs des studio de Warner Television avec un très maigre budget. Demandez à un ouvrier de vous construire un château de cartes avec trois allumettes et vous verrez que le résultat ne sera pas à la hauteur des premières attentes. Peut-on seulement, comme en amour, s’abandonner en refrénant l’expectative? Difficile d’espérer un plaisir certain ici et non ! le film ne reste pas une bonne adaptation pour la simple et sublime interprétation de Tim Curry consoeurs mesdames les plumes autres critiques qui couvrent sur le net (combien de fois vous lirez aussi ces inepties).

*qui, âgé de 24 ans, a reçu un BAFTA et nommé aux Golden Globes!

**peur exagérée des clowns

 Ça – « Il » est revenu : Bande Annonce

Ça – « Il » est revenu : Fiche Technique

Réalisation : Tommy Lee Wallace
Scénario :  Lawrence D. Cohen d’après le roman  de Stephen King
Interprétation : Harry Anderson (Richie Tozier), Dennis Christopher (Eddie Kaspbrak), Richard Masur (Stanley Uris), Annette O’Toole (Beverly Marsh), Tim Reid  (Mike Hanlon), Jonathan Brandis (Bill Denbrough adolescent), Brandon Crane (Ben Hanscom adolescent), John Ritter (Ben Hanscom), Richard Thomas (Bill Denbrough), Adam Faraizl (Eddie Kaspbrak adolescent), Tim Curry (le clown Grippe-Sous/ Pennywise), Emily Perkins (Beverly Marsh adolescente), Marlon Taylor (Mike Hanlon adolescent), Seth Green (Richie Tozier adolescent), Ben Heller (Stanley Uris adolescent)…
Photographie : Richard Leiterman
Montage : David Blangsted, Robert F. Shugrue
Décors : Douglas Higgins
Musique : Richard Bellis
Production : Green/Epstein , Konigsberg/Sanitsky Company, Lorimar Television, Warner Bros. Television
Durée : 3h12
Genres : Fantastique, horreur, slasher
Date de sortie : 18 et 20 novembre 1990 (USA) – 16 octobre 1993 (France/ M6) ( 12 octobre 2016 (réédition dvd))

Etats-Unis – 1990