Après la découverte en avant-première de Sparring lors de l’Arras Film Festival, place à la rencontre avec son réalisateur Samuel Jouy.
Le Quotidien du Cinéma – Votre film est d’une certaine façon l’histoire d’un homme qui n’a jamais eu son épopée, à l’inverse de Rocky. Qu’est-ce qui vous a donné envie de raconter cette contre-histoire de la boxe à travers un personnage qui n’a jamais été destiné à briller sous les spotlights ?
Samuel Jouy : « Déjà, il y avait quelque chose qui m’intéressait dans la fonction de sparring partenaire. Il y avait autre chose : il y a quatre-vingt à quatre-vingt-cinq pour cent des boxeurs professionnels qui sont des boxeurs comme Steve. C’est-à-dire des mecs qui ne seront jamais destinés à être en haut du panier, qui sont juste là pour donner la réplique. Ça m’intéressait de parler de ces gens là, parce que je trouve qu’on ne les montre jamais au cinéma. Et je ne voulais surtout pas qu’il y ait de possible accès à une étoile ou de possible rédemption, ou autre. Donc c’était un pari risqué parce qu’on peut avoir un personnage qui a une trajectoire horizontale. Mais je faisais confiance au personnage et à l’acteur qui allait l’incarner. Et voilà, c’était rendre hommage à ces hommes de l’ombre. Si j’avais voulu faire un film sur le cinéma, j’aurais fait un film sur un figurant. »
CineSeriesMag – La scène où la fille voit son père se faire moquer, c’est une scène d’humiliation terrible. Elle est très psychologique, et il y a aussi une violence physique, plus intime que spectaculaire. On pense par exemple au personnage de Steve qui explique avoir des pertes de mémoire… C’est très fort de la représenter au cinéma.
Samuel Jouy : « Oui, eh bien merci beaucoup. C’est vrai. J’ai été bien aidé par les acteurs, parce qu’il y avait un parti pris avant le tournage que j’avais imposé. Je voulais que les coups soient portés. Donc ça change déjà par rapport à des films où il n’y a que des poings qui passent devant les visages, etcetera. Ici, dans les yeux des acteurs, on sent la violence. Et puis, il y avait Souleymane (M’Baye, champion du monde de boxe des super-légers), et tous les autres sont de très bons boxeurs aussi. »
Le Quotidien du Cinéma – Vous capturez des moments qui sont parfois un peu délaissés dans les films de boxe. Par exemple, il y a cette scène où on voit Matthieu Kassovitz qui entre pour la première fois dans l’hôtel qui sert aussi de salle d’entrainement. Vous filmez en plan-séquence, on ressent tout, sa nervosité, sa peur de monter sur le ring… Et ça passe par des éléments de mise en scène qui ne sont pas forcément ostentatoires, mais travaillés de manière discrète sur le son, le cadrage… Comment avez-vous pensé cela ?
Samuel Jouy : « Complètement, ça me fait plaisir que vous l’ayez remarqué, déjà. Parce que ce sont des paris assez risqués, parce que je voulais quelque chose de sobre, de délicat. Je voulais exprimer des sentiments forts avec des moyens sobres. Alors c’est toujours risqué parce qu’il y a déjà des gens qui ne voient pas le film. Il y en a qui passent à côté de mon film. Je peux le comprendre. Par exemple, je voulais raconter la violence de la boxe de manière physique. Je me disais qu’un mec qui se réveille, qui a l’œil collé sur l’oreiller à cause des coups pris la veille, ça fait travailler l’imaginaire du spectateur sur la violence, et ça m’intéresse davantage. Le son, on l’a travaillé à mort. Le son des coups… Je fais de la boxe et je n’ai jamais entendu le son que je connais des gants de boxe dans un film du genre. Parce que c’est quelque chose de presque délicat, de soft. Alors que d’habitude, on accentue… (…) Mais nous on était dans autre chose, je voulais quelque chose de sensuel dans le bruit des gants, pas qui inspire de la violence. »
« Le mec qui fait sa lessive, qui met ses bouteilles dans ses gants, c’est par ces petits détails là que je voulais raconter la boxe. »
– Samuel Jouy –
CineSeriesMag – La délicatesse est aussi présente au niveau musical. Il y a un moment marquant dans le film, lorsque vous utilisez La Valse Triste. Est-ce que cela participait à votre vision de la boxe, c’est-à-dire un spectacle physique – il y a quelque chose de très dansant – et pathétique dans le sens de poignant ?
Samuel Jouy : « Complètement. La Valse Triste est un chef d’œuvre de la musique classique. Il y a beaucoup de metteurs en scène qui ont essayé de l’utiliser mais comme les ayant-droits sont des fous, c’est impossible. (…) Mais c’est grâce à mon producteur. Beaucoup d’autres l’ont voulue, mais les ayant-droits ont demandé des sommes astronomiques. Et moi je lui ai dit : « okay, si on n’a pas La Valse Triste, eh bien je remonte complètement le film » puisque j’ai toujours pensé à ce moment là avec La Valse Triste. Parce que, comme tu le dis, c’est une valse, il y a quelque chose qui envoûte, qui entraîne tout le mouvement. Et puis il y a une mélancolie dans ce morceau qui colle parfaitement au personnage de Steve. J’adore quand il y a le plan sur lui, que la valse repart et que lui a son coach dans le grand hôtel et que l’autre (Tarek M’Bareck, le champion sur le retour interprété par Souleymane M’Baye) est en train de se faire bander les mains… Je ne parle pas en tant que réalisateur, mais en tant que spectateur, c’est un de mes moments préférés du film. »
La Valse Triste, Jean Sibelius, orchestré par Herbert Von Karajan.
Le Quotidien du Cinéma – Cette délicatesse se ressent aussi dans le choix de Matthieu Kassovitz. Ce n’est pas quelqu’un qu’on aurait imaginé dans le rôle, mais il a en lui une délicatesse qui éponge la violence qu’il encaisse sur le ring. Aussi vous imposez une silhouette. Il semble crispé dans sa manière d’avancer. Comment avez-vous travaillé avec l’acteur ? Et est-ce que vous avez pensé ainsi le personnage dès le début du processus de création ?
Samuel Jouy : « Oui, en fait, j’ai passé beaucoup sur l’écriture du film, quatre ans. Et quatre ans c’est beaucoup pour écrire un scénario. Avec mon producteur, on avait fait le tour de tous les acteurs du cinéma français, ceux qui vous amènent de l’argent, ceux qui ne vous en amènent pas. Et je connais bien les acteurs, même ceux du théâtre (…). Je ne trouvais pas mon personnage idéal. Et je n’avais jamais pensé à Kassovitz. En fin d’écriture, un jour, j’ai eu un flash, je me suis dit : « putain mais Kassovitz ». Mais il était un peu plus vieux que le personnage que j’avais écrit qui avait trente-huit, quarante ans. Et Matthieu a déjà quarante-huit, cinquante. Et quand j’ai pensé à lui, je me suis que c’était fait pour lui. Je suis allé voir s’il faisait de la boxe, j’ai vu qu’il faisait de la boxe. Ce qui se passe, c’est que les grands acteurs sont des corps. Et Matthieu, le premier plan sur lui, avec le tatouage… Il y a le tout le personnage. Et puis, Matthieu arrive à un moment de sa vie où lui aussi a encaissé des trucs. Donc il a eu l’intelligence de le mettre dans sa démarche. Et puis c’est un instinctif, pas un mec qui intellectualise, donc au fur et à mesure des jours de tournage, je le voyais de plus en plus prendre la posture du personnage. Et même dans le rythme, dans la parole, il parlait un peu plus lentement. »
« C’est pour ça que c’est un très grand acteur. »
– Samuel Jouy à propos de Matthieu Kassovitz –
CineSeriesMag – Il y a eu un travail important sur les scènes du quotidien. On se laissait imaginer un Kassovitz assez violent, assez sombre. Et c’est tout le contraire, on a un vrai père de famille à l’écran.
Samuel Jouy : « Eh bien ça, c’est lui. Je le voyais comme ça aussi. Je vais te donner un exemple. Il y a eu la scène de famille où vers sa fin, elles (la mère et la fille) insistent pour quelque chose et lui dit « ah vous me saoulez, je me casse » et il sort fumer un joint dans le garage. J’imaginais la scène beaucoup plus violente, je lui disais : « vas-y ». Il me répondait : « non, non, non, je le sens pas si violent ». Il y avait un autre moment sur la plage… Je lui disais : « lorsqu’il te dit : « j’ai pas besoin d’un sac », tu lui rentres dedans : je suis pas un sac, d’accord ? » et lui me disait : « non, parce que c’est irrespectueux vis-à-vis de lui et que ça n’est pas le personnage ». Donc il avait un truc… C’est ça les grands acteurs, à un moment, ils vous font voir l’endroit où vous êtes surpris alors que vous avez écrit le rôle. Et il avait raison là-dessus. Je pense que si Steve avait eu cette agressivité que j’imaginais, ça l’aurait un peu diminué quelque part. Alors que là, le mec est formidable. »
CineSeriesMag – Il est surprenant, il a une humilité qui est complètement inattendue. Il se prend des coups tous les jours. D’ailleurs, même si vos coups sont portés, l’utilisation de la musique que vous faites montre à quel point ces boxeurs ne sont pas des tordus qui se mettent des coups, mais bien des sportifs. Pas juste des gladiateurs modernes, mais des êtres humains qui se donnent complètement, et cela dans le respect de l’autre ?
Samuel Jouy : « Oui, oui, complètement. Je voulais aussi qu’on sente ce truc étrange lorsqu’on ne connaît pas bien la boxe qui consiste en ce que les mecs se tapent, et à la fin, deviennent amis. C’est un truc qui est surprenant. Quand je suis avec des potes ou dans ma famille, qui connaissent pas trop la boxe, on me dit : « ils se sont tapés sur la gueule pendant une heure, et maintenant ils se prennent dans les bras ». Ma mère me disait ça l’autre fois. Je lui dis : « bah oui mais c’est ça la boxe ». Et peut-être que dans nos sociétés, on n’a pas assez la culture de la frappe, et qu’elles seraient moins violentes… »
« Les films, quand ils sont bien faits, racontent des choses à tout le monde. »
– Samuel Jouy –
Le Quotidien du Cinéma – On reproche souvent aux acteurs qui font un film de boxe d’être des acteurs qui se sont formés à la boxe « deux semaines avant », mais ici, même si on sent que Kassovitz s’est énormément entrainé, ça sert énormément le film, puisqu’on voit alors la différence de technique entre Souleymane, qui incarne le champion, et Matthieu Kassovitz. Justement, comment s’est passé leur échange ?
Samuel Jouy : « C’était génial, parce qu’une fois qu’il a accepté le rôle… Il avait des bases de boxe thaï, mais ça n’a rien à voir, c’est pas la même garde, pas les mêmes appuis. Il s’est investi à fond dans la boxe anglaise. Et Souleymane et lui se sont entraînés ensemble, j’avais mes autres potes qui font les sparring, qui sont des acteurs mais qui sont d’excellents boxeurs que je connais. Ce sont des amis. Tous les gens autour du ring sont de mon club de boxe. Donc les mecs se sont entrainés deux-trois mois, ils ont baigné dans la boxe. Et Matthieu a progressé vraiment très vite. Et c’est vrai qu’à l’inverse de ce qui se fait habituellement dans les films où ce sont des chorégraphies apprises par cœur, là je leur donnais des thèmes, pas des chorégraphies. Je leur disais : « voilà, pendant une minute, toi tu essaies de le toucher deux coups, – comme on fait dans les entraînements de boxe – et toi tu esquives un coup ». Ce qui fait que les mecs boxent vraiment, dans un canevas. (…) ça donne un truc différent je trouve. »
CineSeriesMag – Par rapport à la scène finale, lorsqu’on voit la fille passer tant bien que mal un concours. Steve l’observe, sourit, puis quitte le champ et l’espace. Peut-on dire du père qu’il a terminé son cycle, et que maintenant, c’est sa fille qui poursuit les efforts, le combat, avec ses échecs et succès dans un autre domaine ?
Samuel Jouy : « Il y a de ça, oui. (…) Pour moi, cette audition de fin, ce que je raconte, c’est qu’il l’a amenée jusque-là, et que maintenant, elle ne joue pas parfaitement bien. Il y a ce moment où on voit qu’elle hésite un peu, c’est pas une Mozart du piano, c’est pas une naze. C’est quelqu’un comme lui, mais elle a le droit d’avoir sa chance. C’est ça la dernière scène, entre autres choses. Et puis si tu vois autre chose dedans, c’est très bien. Chacun y voit ce qu’il veut. »
Remerciements : Samuel Jouy, EuropaCorp Distribution.
Sparring, sortie en salles prévue le 22 novembre 2017.