Hafsia Herzi a fait ses preuves en tant que réalisatrice en mai dernier sur la Croisette alors que Tu mérites un amour était présenté en séance spéciale à la Semaine de la Critique. Le film sort en salles aujourd’hui et Le Mag du Ciné l’a rencontrée pour parler du talent dont elle a fait preuve dans ce premier film.
J’imagine que vous en avez marre de l’entendre mais on pense beaucoup à Kechiche devant votre film, dans le naturel et la spontanéité qui en ressort et justement, c’est la première fois que vous dirigez des acteurs sur un long métrage, est ce que vous vous êtes inspirée de collaborations précédentes pour établir votre relation avec les acteurs ?
J’en n’ai pas marre, c’est une bonne référence. (rires) Alors j’avais fait un court métrage il y a dix ans, et à l’époque, leur jeu avait été bien salué. Je pense que je me suis inspirée oui, je n’ai pas fait d’école de cinéma donc c’est vraiment toutes les expériences que j’ai pu avoir en tant qu’actrice qui m’ont inspirée. Et après en tant qu’actrice, on se connaît donc on sait comment on veut être dirigée donc c’est plus simple.
C’est marrant parce que justement les garçons (Anthony Bajon, Jérémie Laheurte, Djanis Bouzyani : ndlr) disaient que votre métier d’actrice faisait que vous arriviez à être très attentionnée sur le tournage, à faire oublier l’équipe technique, à vous mettre à leur place…
C’est ça, à les comprendre, à les mettre en confiance. Un acteur s’il n’est pas en confiance, il arrivera pas à s’abandonner. Là en plus, c’est beaucoup de jeunes dont c’est la première fois. Il y en a qui débutent et même pour ceux qui ont déjà un peu d’expérience, c’est important de se sentir en confiance.
Et comment vous avez fait pour arriver à jouer comme ça sans direction d’acteurs du coup ?
L’expérience. Ça aurait été il y a dix ans, franchement je n’aurais pas pu. Puis la technique, le fait de se connaître aussi, de savoir à quel moment je me suis sentie sincère ou pas, d’essayer de ressentir, voir quand c’est fabriqué ou pas. Après j’ai écrit le rôle donc je savais comment j’avais envie qu’il soit joué.
Et qu’est ce que ça crée sur le plateau quand vous jouez avec les acteurs ? Est ce que vous oubliez que c’est votre film, vous êtes juste en partenaire de jeu ou alors en même temps vous êtes en évaluation permanente de ce qui est en train de se passer ?
Finalement, à partir du moment où je passais le cadre et je disais « action », c’est comme s’il n’y avait plus de réalisatrice et je devenais le personnage. C’est comme s’il n’y avait plus de caméra et je voyais en direct. Ça a été super de jouer en fait car c’était mieux qu’un retour, j’étais face à la personne, je voyais la sincérité.
La caméra n’est quasiment jamais fixe dans le film, c’est à cause des conditions de tournage sans autorisation ou c’était une vraie volonté ?
Non pas du tout, c’est un choix artistique parce que le personnage est dans l’urgence d’aller mieux. Et j’avais envie que la caméra soit dans la même émotion. C’était vraiment un choix, je n’aime pas trop quand c’est fixe, enfin ça dépend des plans. Mais là pour l’histoire, il fallait que ce soit nerveux.
Le poème de Frida Kahlo, qui est juste sublime, c’est la base du film ? Vous l’avez écrit avec le poème en tête ou c’est l’inverse et vous avez eu envie d’insérer le poème dans le film ?
Je savais que je voulais écrire le film et ça a été la confirmation, quand j’ai découvert le poème, pour moi qu’il fallait l’écrire et aller au bout. Ça m’a encore confirmé que l’amour est un problème qui existe depuis la nuit des temps et là je crois qu’elle aurait eu un peu plus de cent ans et qu’elle était déjà confrontée à ce questionnement, à tout ça. Je l’ai trouvé tellement magnifique et il va très bien avec le film.
Justement l’amour c’est un sujet qu’on voit partout, comment on fait pour faire un film qui ajoute encore quelque chose à ce sentiment là ?
C’est vrai qu’il y a beaucoup de films d’amour mais il me semble qu’il y en a peu qui parlent du chagrin d’amour de cette manière là en le montrant vraiment comme un deuil. Parce que c’est un deuil quand on est quitté, quand on est trahi, on comprend qu’il faut accepter le deuil et que cette personne, on ne la reverra plus, on ne partagera plus de moments avec elle et que c’est terminé. Le film parle de ça. Quand il lui dit le poème justement, c’est là où elle comprend qu’il faut accepter le deuil alors qu’avant, elle est encore dans le déni. Je n’ai pas le souvenir de film qui ont traité ce sujet : le chagrin d’amour, la reconstruction. Et le sentiment d’échec, l’égo et l’humiliation aussi comme la première scène, elle s’humilie plus qu’autre chose en allant en bas, en demandant des explications.
Ce qui est intéressant dans le film, c’est que justement dans ces trois personnages, ils balayent cette manière de voir l’amour. Ce sont trois visages de voir le sentiment assez différemment et donc comment est venue cette idée de tout brasser en un film ? Pas tout, parce qu’on ne peut jamais tout saisir mais comment vous avez rapproché ces acteurs-là à ces rôles-là ?
Alors pour Anthony Bajon qui joue le photographe, je l’ai découvert dans La prière de Cédric Kahn et après je l’ai rencontré au Festival de Cabourg, on a échangé un petit peu et puis c’était une évidence. Je trouve qu’il dégage beaucoup de tendresse, une générosité, une belle âme en fait et même si c’est pas le plus grand, le plus fort, il est rassurant. Jérémie Laheurte, c’est complètement l’opposé de son personnage mais ce que j’aimais c’était son visage angélique. Justement, quand on est amoureux de quelqu’un, et que cette personne n’est pas très claire, on a souvent l’impression qu’elle est parfaite, que c’est un ange, que c’est le plus beau. Il a ça, mais il a surtout quelque chose de sincère et je voulais que le personnage de Rémi soit perdu. Il a très vite compris la psychologie du personnage, d’ailleurs quand je lui en ai parlé, c’était très étrange. Je lui disais « donc voilà le personnage, il est comme ci, comme ça » et il me répondait toujours « oui oui j’ai compris, il est comme ça ». Il a compris tout de suite pourquoi le personnage réagissait ainsi donc encore une fois, une évidence. Pour Djanis, c’était important pour moi d’avoir un acteur qui n’ait pas peur des mots, qui n’ait pas peur d’assumer le personnage parce que si ce n’est pas le cas, ça se voit à l’image donc il me fallait un garçon courageux. Ils sont tous courageux de toute façon, vraiment, Jérémie d’interpréter un rôle comme ça, c’est le non aimé quoi.
Dans L’amour des hommes, c’est vous qui photographiez les hommes, dans Mektoub, my love dans lequel vous jouez, il y a aussi une relation entre un photographe et une modèle et là vous remettez encore une fois cette relation. C’est ça pour vous le désir ? C’était essentiel et évident pour vous de mettre cette relation-là dans le film ?
Ça passe par la photo parce que j’aime la photo, j’aime le regard d’un artiste sur sa muse et vice-versa. C’était important que ça passe par l’art en fait, qu’elle réapprenne à avoir confiance en elle par l’art. Il la regarde différemment, il l’écoute et un artiste, ça doit être à l’écoute pour capturer des choses et des moments donc c’était important que ça passe par cette douceur-là.
Il y a pas eu de trajet avec ces précédents films ?
Pas du tout non, c’était vraiment le hasard. D’ailleurs, quand on a fait Mektoub, j’avais déjà écrit le scénario. L’amour des hommes, aussi, c’était totalement le hasard. C’est des petits clins d’œil aussi aux cinéastes qui m’ont forgée. Abdellatif Kechiche n’avait pas vu le film mais Mehdi (Mehdi Ben Attia, réalisateur de L’amour des hommes : ndlr) oui, il avait vu une version du montage et je lui avais dit qu’il y avait un petit clin d’œil. (les réalisateurs sont dans les remerciements du film : ndlr)