Dernière rencontre du festival de films francophones Cinemania nous concernant et c’est toujours à l’hôtel Humanity de Montréal. Et cette fois, c’est Franck Dubosc qui sera le talent interviewé à l’occasion de sa venue pour présenter Un ours dans le Jura, son nouveau film en tant que réalisateur et dans lequel il joue. Un film entre comédie noire et polar assez surprenant que nous avons adoré.
C’est un marathon pour l’inénarrable interprète de Patrick Chirac puisqu’il présente son film sur plusieurs projections suivies de questions-réponses, qu’il participe à la conférence « Regards croisées » avec le cinéaste québécois Ken Stott, qu’il enchaîne les interviews avec les journalistes tout en rencontrant des distributeurs pour vendre son film au Québec. C’est la fin de journée et le bar de l’hôtel est trop bruyant, l’attachée de presse nous propose donc d’aller dans le restaurant plus calme pour l’entretien. Et c’est un Franck Dubosc adorable, ouvert, sincère, loquace et plein d’entrain pour son film qui nous répond.
Et, comme le veut la tradition de lendemain de projection, on lui demande comment s’est déroulée la première nord-américaine d’Un ours dans le Jura, en salles cette semaine en France et vendredi prochain au Québec.
Franck Dubosc : Très bien. C’était super ! Et j’étais curieux de voir le ressenti des spectateurs d’un autre pays et j’ai pu constater qu’il y avait autant de rires qu’en France et, surtout, aux mêmes moments. Donc je suis très content.
Le Mag du Ciné : J’aurais aimé d’abord savoir d’où vous est venue cette idée d’un ours dans le Jura puisque comme c’est dit plusieurs fois dans le film, à la base il n’y en a pas. Donc cela aurait pu être une biche, un chien ou tout autre chose mais vous avez choisi cet animal ?
Je cherchais une « couille dans le potage » comme on dit, mais je ne suis pas du tout parti de l’ours. L’idée est venue en plusieurs étapes et la première d’entre elles était de faire un film dans une France rurale avec des gens de la campagne. Quitter la ville, c’était déjà ma première envie. Ensuite, j’ai voulu utiliser les codes des films que moi j’aime, notamment des films de genre ou ceux de cinéastes comme les frères Coen, mais sans les copier non plus. Je ne voulais justement surtout pas faire un film des frères Coen situé en France mais plutôt une histoire de ce type là mais à la française, complètement inscrite dans notre culture à nous.
On le coupe en lui avouant qu’on a beaucoup penser à eux et au « Fargo » des frères Cohen par bien des aspects. Il acquiesce.
Et justement, la force de leurs films c’est de mettre des personnages ordinaires dans des situations extraordinaires. Et si j’avais voulu singer leur cinéma, je serai venu tourner ici. Et si l’idée m’est venue un moment, je l’ai vite abandonnée pour les raisons que je viens de vous citer.
D’ailleurs vous êtes déjà venu tourner ici ?
Oui exactement pour Chien et chat mais je viens ici souvent et depuis longtemps. Mais dans tous les cas, je voulais la ruralité de chez nous alliée au film de genre. Je me suis dit « Qu’est-ce qui se passe chez des gens qui habitent la campagne – et notamment une campagne rude – et à qui il arrive ce genre d’aventures et qui restent en milieu presque clos et fermé. » Et j’ai souhaité situer le film durant la période de Noël pour montrer que la tradition des Fêtes est pour eux plus importante que tous ces morts. Donc c’était un peu toutes ces envies-là et un jour j’en ai parlé à Sarah Kaminski, qui n’était pas encore ma co-scénariste et qui devait écrire un autre film à l’époque. Je lui ai dit que je voulais écrire quelque chose de rural avec des truands et avec des gentils. Et j’avais juste une scène en tête : celle de l’accident du début avec les billets dans le coffre. Et on est parti de là. Et comme je voulais aussi une histoire humaine et d’amour, quel qu’il soit, j’ai pris comme personnages principaux ce couple qui ne se parle plus tout ainsi que ce gendarme avec sa fille.
On sent l’envie de changer de genre après vos deux premiers films en tant que réalisateur; d’ailleurs bravo parce qu’ils étaient très réussis. Il y a eu la comédie romantique avec Tout le monde debout qui a cartonné puis une sorte de feel-good movie avec Rumba la vie qui n’a pas trouvé son public mais qui est surtout sorti à une très mauvaise période (à la fin de l’ère Covid ndlr.). Alors que là on est clairement plus dans le polar.
Merci beaucoup ! Et je pense aussi que Rumba la vie manquait peut-être d’un axe bien défini, surtout pour le public. Et oui j’avais vraiment envie de me faire plaisir et de tenter autre chose. J’aime bien sûr le style de mes deux premiers films mais j’avais envie d’un cinéma de genre, d’un film pour lequel j’aurais envie d’être spectateur. M’asseoir dans la salle et prendre un plaisir ludique à regarder un film de genre. Et je me suis donc fait ce plaisir en me donnant aucune limite. S’il y a autant de morts dans le script, alors il y en aura autant à l’écran. Et s’il doit y avoir du sang qui sort d’une tête et bien c’est comme ça. Je ne me suis pas bloqué en tant qu’auteur et je ne me suis jamais demandé si le public allait accepter ou pas. Je me suis dit au contraire, est-ce que moi en tant que spectateur j’accepte. D’habitude je suis l’auteur pour les spectateurs et là j’ai été l’auteur pour moi en tant que spectateur.
Et il faut dire qu’une œuvre comme Un ours dans le Jura est peu courante dans le paysage cinématographique français, ce mélange de comédie et de violence. Récemment en bien plus noir et acide on a eu Les Pistolets en plastique mais ici cela reste gentil dans le bon sens du terme et grand public.
Oui c’est ça, c’était le but. Mais je n’ai pas non plus essayé de copier un genre particulier parce qu’en fait dans le film il y a un petit peu tous les genres, c’est un mélange, je me suis laissé aller. Et vous savez quand j’y pense et ça me revient maintenant, lorsque j’ai fait mon premier spectacle, je ne connaissais rien à l’humour et encore moins aux one-man-shows. Donc à l’époque, je n’avais personne à copier, pas vraiment d’inspiration et ma source d’inspiration elle tenait en une phrase : « Moi qu’est-ce qui me fait rire ? ». Et le spectacle a fonctionné et j’ai utilisé ici un peu la même méthode en tentant de ne m’inspirer que comme cela. Alors bien sûr oui, tout le monde me le dit et pense au Fargo des frères Coen.
D’ailleurs plus la série au final que le film…
Exactement. Et avant d’écrire le film, je ne l’avais d’ailleurs pas vue. Et ce qui est drôle, c’est que je pensais mettre également un encart du style « Le film est inspiré de faits réels » mais, du coup, je ne l’ai pas fait. Car j’ai fini par la regarder et j’ai dit à ma co-scénariste que comme ils l’avaient mis on ne pouvait pas le mettre. Un peu comme cette scène où le shérif vomit, qu’on retrouve dans la série, et qu’on avait écrite aussi mais quand même gardée. J’ai regardé la série comme ça et je me suis rendu compte des similitudes en effet.
De toute façon vous n’avez jamais imaginé votre film comme un hommage ou une variation sur Fargo ?
Ah non pas du tout. Et après on dit les frères Coen mais ils ne se limitent pas à Fargo. Et dans tous les cas, c’est un compliment. Mais je n’ai jamais tenté de calquer les codes, à aucun moment. Et au niveau de la tonalité, je ne peux nier que le film s’en approche et que c’est flatteur.
Avec votre co-scénariste, au moment de l’écriture, une fois le processus lancé, est-ce que vous aviez tout en tête dans les grandes lignes hormis l’accident du départ ou cela s’est fait progressivement ?
Non, non, cela s’est fait à petit pas. Ce n’était pas un scénario qu’on écrit A + B + C – D etc… Cependant, le processus s’est fait très méthodiquement. Il y avait quand même beaucoup de personnages importants contrairement à mes précédents films et il fallait que ça se recoupe correctement. Naturellement même. Mais on a écrit pour le coup assez rapidement, je connais le nombre de jours mais je ne vous le dirais pas (il rit).
D’ailleurs, est-ce que ça a été facile de trouver un financement ? Parce que vos producteurs habituels ont peut-être eu peur d’un tel projet, qui n’est pas forcément ce qu’ils attendaient de vous.
Non, pas vraiment, parce qu’ils ont aimé le script tout de suite. Je ne me souviens plus en détail mais quand j’ai raconté les grandes lignes à Gaumont, parce que ce sont encore eux qui m’ont produit, j’ai senti l’envie de me suivre directement dans ce nouveau genre. Ils me suivent depuis le début et j’ai trouvé ça vraiment bien de leur part de me soutenir encore dans quelque chose de peut-être moins évident de prime abord. Et puis aujourd’hui on est tellement désorienté dans le monde du cinéma, on se rend compte qu’il n’y a plus de recettes gagnantes, que les recettes ont même tendance à davantage se planter. Il vaut donc mieux surprendre et aller vers ce que l’on aime même si ça passe ou ça casse.
Et alors comment avez-vous choisi ce délicieux casting ?
Alors j’avais déjà les trois en tête (Benoit Poelvoorde, Laure Calamy et Joséphine de Meaux ndlr.). Tous ont dit oui, sauf Laure Calamy qui a d’abord dit non puis oui car au début le fils était plus jeune et Laure ne se sentait pas assez âgée pour avoir un enfant de cet âge. Le script était écrit comme ça mais on a donc changé. Et il faut savoir qu’elle aurait préféré au début le rôle tenu par Joséphine de Meaux, celui de la gendarme. Et en ce qui concerne Benoît, je voulais un homme d’une soixantaine d’années en fin de course avec le poids de sa carrière de gendarme sur les épaules. Et je trouve que s’il n’est pas en fin de course, il a le poids de sa carrière sur les épaules. Il a les cernes sous les yeux qu’il faut, il a le lâcher prise qu’il faut. Je lui ai donc proposé et il a dit oui tout de suite. Et je lui ai dit que cela faisait longtemps qu’on ne l’avait pas vu dans un rôle comme celui-là. Pas que ça ne soit jamais arrivé mais ça faisait un bail.
En ce qui concerne Laure, c’est parce que je l’avais vue et aimée dans plusieurs films. Je ne l’avais pas vue dans la série 10 pour cent bien que j’aie joué dedans mais je ne m’en souvenais pas. En revanche, je l’ai trouvé formidable récemment dans À plein temps. Je trouve que cette actrice a quelque chose de madame Tout-le-monde qui peut me faire rire et m’émouvoir dans la même phrase. Il y avait plein d’autres comédiennes potentielles mais je ne la connaissais pas bien et j’avais envie de prendre quelqu’un d’un autre univers que le mien, que celui de ma famille de cinéma. Et quant à Joséphine, je souhaitais une excellente actrice mais qui ne soit pas une star, pas célèbre. En gros, je ne voulais pas un quatrième gros nom sur l’affiche mais quelqu’un qui fasse plus authentique, plus proche du public, qu’on ne voit pas partout tout le temps. Tout comme Kim Higelin par exemple, je ne voulais pas un casting de comédie classique et usuel. Le seul que j’ai repris dans cette veine-là, c’est celui qui joue le rôle du curé et qui est dans tous mes films. C’est aussi pour cela que j’ai changé de directeur de casting pour prendre quelqu’un qui fait des films disons plus pointus.
Pourquoi avez-vous encore choisi de vous mettre en scène une nouvelle fois ? Parce que les producteurs vous l’ont demandé, par plaisir ou les deux peut-être ?
Non, non, c’est moi et parce que j’aime ça. Ce sont les seuls moments quand je tourne où je peux en quelque sorte me détendre. Ce sont les moments les moins fatigants en fait car je n’ai pas à regarder l’autre. Et comme j’ai écrit le film, je sais ce que je veux. C’est paradoxalement plus facile pour moi de jouer que de regarder les autres jouer et de les diriger. J’y viendrai probablement à ne plus être dans mes films car ce n’est pas de tout repos de mettre un film en scène. Et puis je vais vous dire aussi, la raison pour laquelle j’ai pris le rôle, c’est qu’en tant qu’acteur qui aime jouer, j’avais aussi envie de me servir.
Avez-vous un autre projet sur le feu actuellement en tant que réalisateur ?
Non. Enfin je ne suis pas en stand-by mais je suis en « bouillonnement ». Mais je n’en dirai pas plus.
Y-a-t-il un style de rôle vers lequel vous aimeriez aller ?
Alors là, en tant qu’acteur, j’ai des films sur le feu et des projets. Il y a d’abord une comédie, puis une « pas comédie du tout ». Et j’en ai un aussi qui sort la semaine prochaine, plus sérieux (Prodigieuses, qui sortait le 22 novembre en France, alors que l’interview a eu lieu le 15 du même mois). Je ne veux pas me limiter à des films qui ne soient pas de la comédie, je veux faire les deux. Il n’y a pas de changement de carrière de prévu. J’aime faire rire, j’aime la réaction du public et quand il rit. Et si je vais dans l’humour, je veux que ce soient des films drôles mais réalistes.
Et d’autres horizons, comme les films de genre tels que polar, SF ou même horreur ?
Non rien de tout cela mais je serai bientôt dans le numéro deux d’un très gros film français mais je n’ai pas le droit d’en dire plus.
J’avais d’ailleurs découvert une autre facette de votre talent il y a une quinzaine d’années dans Incognito.
Oui et bien voilà. Eric Lavaine écrit plus des rôles de comédie mais dans des contextes réalistes et des histoires crédibles. Et c’est vers ce genre de films comiques que je veux aller désormais en priorité dans ce domaine. Et je sais qu’ici au Québec, en tout cas ceux que l’on voit nous en France, il y a beaucoup de comédies dites sérieuses même si je me doute qu’il y doit y avoir aussi des films plus « olé olé ».
Et donc arrêter de faire des films plus light et populaires comme ceux que vous tourniez avec Fabien Onteniente (réalisateur des Camping) à qui vous êtes très fidèle, des films du style All Inclusive ?
Alors là oui. All Inclusive, je l’ai fait pour les mauvaises raisons. Onteniente voulait qu’on se retrouve mais c’était déjà à l’époque plus le genre de films que je voulais faire et ça l’est encore moins maintenant. Mais attention, pas de regrets. Je ne vais pas cracher dessus, je l’ai fait et j’assume.
En ce qui concerne le tournage dans le Jura, comment cela s’est-il déroulé avec des conditions hivernales comme celles-là ?
Pas de complications particulières. En tout cas, moins qu’on ne l’aurait pensé. Durant les repérages, quand on a été voir pour les lieux de tournage, il faisait très froid et j’ai prévenu tout le monde de prendre des affaires en conséquence. Moi j’ai pris la même valise que quand je viens au Québec mais il a fait plutôt bon. On a même eu un problème de manque de neige mais, hormis cela, tout s’est très bien passé.
Il est temps de vous poser ma dernière question. Avez-vous déjà trouvé un distributeur ici pour le film au Québec ?
Oui, oui (très content). C’est TVA Films qui l’a acheté et il prend l’affiche le 10 janvier au Québec, donc dans la foulée de sa sortie en France le 1er janvier.
On le remercie chaleureusement pour sa gentillesse et sa sincérité. Et voilà que la dernière interview du jour et du festival se termine !