Pour la France est inspiré d’une histoire vraie: la mort d’un aspirant à Saint-Cyr au cours d’un bizutage (pardon, « bahutage ») qui a mal tourné. C’est une tragédie personnelle : celle du réalisateur Rachid Hami, ayant perdu son frère dans cet accident absolument évitable. En France, un tel film devrait parler de lui, caméra à l’épaule et acteurs qui improvisent leur colère. Mais Pour La France est un film qui fait du cinéma pour s’adresser à tout le monde en grand-écran.
Epopée intime
Balayez d’emblée tout ce que l’histoire de Pour La France peut vous inspirer à priori. Le film de Rachid Hami n’est ni un fait-divers (mal) fait film, ni une auto fiction, ni même une oeuvre à charge contre l’armée. Oui, les origines algériennes du défunt entreront en conflit avec la Grande Muette et son protocole inchangé depuis l’invention de l’uniforme. C’est justement l’un des sujets du film: comment une famille musulmane accablée par le chagrin va imposer son deuil et son rite à l’institution nationale par excellence.
« Être reconnu, c’est reconnaitre qu’on existe » comme le dit le réalisateur. Hami se raconte et se livre sans doute dans la relation entre les deux frères incarnés par Karim Leklou et Shaïn Boumedine. Mais il narre aussi un moment de grande Histoire, au sens large du terme. Bref, il fait du cinéma, et dans les moindres pores de l’image.
La composition picturale est une affaire de synchronicité. Dans Pour La France, la maitrise du moindre pixel de lumière ne s’additionne pas mais se multiplie avec la direction d’acteurs. Leur synergie font parler les non-dits et suggèrent ce qui n’est pas montré, le cinéaste sublime ses personnages en peignant le mouvement silencieux de leurs émois. On appelle ça un travail d’orfèvre, qui permet au film d’elargir l’espace d’intériorité des personnages.
Histoire d’une Nation
Car Pour la France est un film qui voyage et fait voyager, au sens géographique et romanesque du terme. Le deuil, c’est le moment où le présent se fige dans le passé, mais Ismaël vit ses souvenirs comme si c’était maintenant. Sur le papier, on appelle ça des flash-backs, mais ils surgissent à l’écran comme une aventure de l’instant. La quête romanesque est à portée de subconscient: celui d’Ismaël pour poursuivre le fantôme d’Aïssa. Ismaël, le vilain petit canard de la fratrie, qui lit dans les yeux de ses proches que la mort s’est trompé de frère.
Dans le rôle, Karim Leklou creuse 50 nuances de profondeur de son personnage à chaque scène. Chez lui, l’épaisseur est plus que jamais le meilleur ami de la finesse, et son caractère naturellement disruptif joue harmonieusement à contre temps avec la droiture de jeune premier de l’excellent Shaïn Boumedine.
Au cinéma comme dans la vie, tout le monde a ses codes, de l’armée coupable aux familles endeuillées. Mais celui d’Ismaël n’est reconnu nulle part. Dans un monde où chacun a trouvé sa place dans le paysage symbolique, lui stationne hors cadre. Aïssa, le défunt avait tout d’un héros en devenir, de l’acabit de ceux qui changent l’histoire avec un grand H. Ismaël devra s’assurer que sa mort n’en soit pas le fin mot.
Sous le drapeau
Les symboles c’est ce qui permet au récit d’avancer, qu’il soit filmique où national. On peut et on doit les déconstruire, mais impossible de faire sans. L’histoire se raconte avec des images qui valent mille mots, et Rachid Hami en a conscience. Le fait-divers qu’il porte à l’écran ne doit pas être une histoire comme une autre, sinon Aïssa sera mort pour rien. Il faut donner du sens à la tragédie, à défaut de lui trouver une raison.
C’est la mission qui incombe à Ismaël: transformer l’accident en sacrifice en organisant les funérailles de son frère avec les responsables de sa mort. Il faut prendre sur soit pour trouver un compromis sur la base d’une injustice absolue. Le deuil d’Aïssa devient ainsi une cause nationale, où le corps d’armée le plus traditionnel dialogue avec une famille musulmane pour élaborer un rite funéraire commun. Deux frères et deux France qui ne font enfin qu’un, comme de ce dernier plan où la Mafia K’Fry intègre l’hymne national. Une page d’histoire se tourne dans le bon sens: celui où Aïssa est mort pour quelque chose de plus grand que lui. Pour la France.
Bande-annonce : Pour la France
Un film de Rachid Hami
Par Rachid Hami, Ollivier Pourriol
Avec Karim Leklou, Shaïn Boumedine, Lubna Azabal
15 février 2023 en salle / 1h 53min / Drame