Nelly et Nadine : L’amour lesbien en temps de guerre

Berenice Thevenet Rédactrice LeMagduCiné

Deux femmes que tout paraît opposer tombent follement amoureuses dans un camp de concentration. Elles s’appellent Nelly et Nadine. Non, vous ne lisez pas le prochain scénario d’un film hollywoodien mais celui d’un (vrai) documentaire de Magnus Gertten. Projeté dans le cadre du Festival Chéries Chéris, Nelly et Nadine offre un récit de la généalogie familiale qui rend hommage aux histoires d’amour lesbiennes injustement effacées (par l’Histoire). Si le documentaire n’est pas encore sorti en France, son visionnage paraît plus que nécessaire.

Quand Nelly rencontra Nadine

1945. Noir et Blanc. Fin de la guerre. Libération des camps. Une caméra filme une foule de femmes soulagées d’en avoir fini avec l’enfer. Enfin presque. Il y en a une qui ne sourit pas en regardant l’objectif. Le visage est fermé. Pas une once d’émotion ne semble s’en dégager. A quoi pense-t-elle ? Pourquoi cette tristesse ? Magnus Gertten a longtemps cherché à répondre à ces questions – revenant sans cesse à cette femme aussi mélancolique qu’indéchiffrable. Qui est-elle ? Comment a-t-elle atterri à Ravensbrück ? Pour le savoir, direction le nord de la France, dans une ferme nichée au cœur de la campagne.

Nelly et Nadine est un documentaire en quête de son objet. Car, Magnus Gertten n’est pas le seul à se demander qui est Nadine. La petite fille de Nelly est elle aussi en quête de vérité. Ainsi, le long-métrage se transforme-t-il en enquête familiale. Sylvie Bianchi a décidé de se confronter au passé de sa grand-mère Nelly. Arrêtée en 1943 pour espionnage, Nelly Mousset-Vos – cantatrice respectée dans les années 30 – est déportée en avril 1943. C’est durant sa captivité au camp de Ravensbrück qu’elle fait la rencontre de l’avocate Nadine Hwang, fille d’un diplomate et haut fonctionnaire chinois.

L’archéologie (cinématographique) du savoir (familial)

Nelly et Nadine exhibe des archives familiales restées dans l’ombre d’un tiroir pendant des décennies. La narration épouse les découvertes de la petite-fille de Nelly qui, tel un spéléologue qui explore les recoins d’une cavité, tente de remonter le fil du passé à travers les vestiges du présent. Tout travail documentaire nécessite de décortiquer une matière brute. Celle-ci possède, dans le film, une valeur symbolique, historique et politique. La généalogie familiale et cinématographique s’appuie sur les traces laissées par Nelly – à commencer par le journal qu’elle écrit depuis le camp de Ravensbrück. De ce document ressort évidemment l’horreur d’une expérience indicible, mais également la lumière de l’inattendu, de l’inespéré – nommée Nadine. La lecture de la rencontre entre les deux, racontée par les mots de Nelly, donne à voir et à entendre l’amour dans la façon qu’il a de vous saisir – même et lorsqu’il ne (vous) paraît plus possible. Nelly et Nadine décideront, à la fin de la guerre, d’écrire l’histoire de leur rencontre. Si ce geste se solde par un refus de publication, il témoigne, cependant, de la volonté de se réapproprier le récit historique traditionnel – en l’évoquant à travers le regard de deux femmes qui s’aiment.

Un portrait du couple se dessine progressivement. On découvre des images de Nelly et Nadine dans leur appartement à Caracas au Venezuela où elles se sont installées au sortir de la guerre. On y perçoit la symbiose entre les deux, mais également une autre manière de faire société. Ces dernières vivaient leur amour en dépit des interdits sociaux et politiques qui pesaient à l’époque. Nelly et Nadine a l’élégance d’émouvoir tout en ayant la décence d’éviter une romantisation teintée de misérabilisme. S’il n’y a pas d’histoire d’amour à l’eau de rose, il n’y a pas non plus d’effacement du contexte historique qui, de fait, a permis la rencontre amoureuse. Le camp de concentration fait, ainsi, pleinement partie du film. Magnus Gertten n’omet pas non de montrer la difficulté du long travail de reconstruction de la mémoire familiale, impliqué par la déportation de Nelly.

Pallier le silence discursif au moyen d’une caméra 

Nelly et Nadine est un documentaire d’utilité publique. D’abord en tant qu’il évoque une histoire d’amour entre deux femmes, nées dans un camp de concentration – chose suffisamment rare pour qu’on omette de la mentionner. Des histoires d’amour lesbiennes nées durant la guerre, il y en a eu –, pourtant, jamais personne ne les mentionne ou presque. Se seraient-elles égarées dans les limbes de l’histoires ? N’ont-elle pas plutôt été – en grande partie – invisibilisées par l’Histoire au profit de récits plus consensuels (et respectueux des normes) ? Qui ne connaît pas l’histoire de Lucie Aubrac et de son mari résistant ? Qui pour parler de celle de Claude Cahun et de sa campagne Marcel Moore, artistes et résistantes de la premières heure ?

Nelly et Nadine vient combler un manque. Le documentaire se fond dans un récit pluriel où la mise au jour des archives familiales recoupent des enjeux intimes et universels, familiaux et politiques. Deux femmes s’aiment. Elles se moquent du « qu’en dira-t-on » et décident de partir au bout du monde pour vivre leur amour. On n’invente pas une telle liberté. On lui rend hommage. Comme on rend hommage à travers elle à toutes ces femmes (et ces hommes) qui se sont aimées et n’ont pu vivre cet amour tel qu’elles l’auraient voulu, empêchées par la bêtise d’une société toujours en guerre contre ce qui lui fait peur.

Bande-annonce – Nelly et Nadine

Fiche technique – Nelly et Nadine

Réalisation: Magnus Gertten
Scénario: Magnus Gertten
Photographie: Caroline Troedsson
Montage: Jesper Osmund, Phil Jandaly
Son: Are Åberg, Krister Johnson, Jørgen Meyer, Audun Røstad, Katarzyna Maria Wieczorek
Musique:  Marthe Belsvik Stavrum
Production: Ove Rishøj Jensen (Auto Images)
Durée: 1h32
Sortie : Prochainement

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