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Week-end chaos au PIFFF 2018

Alors que les gilets jaunes s’étaient donné rendez-vous dans la capitale pour prendre l’Élysée, Le Mag du ciné a bravé les émeutes pour se réfugier au Max Linder Panorama pour passer un week-end tout aussi mouvementé dans le cadre du PIFFF. L’occasion en 5 films de faire un petit tour du monde du genre en passant du folklore marocain aux origines du black metal norvégien, avec au passage un petit crochet par l’Asie.

Girls with Balls (France, Belgique)

Réalisé par Olivier Afonso. Avec Manon Azem, Artus, Denis Lavant, Camille Razat…

Rien de mieux pour se mettre dans le bain du PIFFF que de commencer par un plaisir coupable des plus régressifs, histoire de bien jauger l’ambiance dans la très belle salle du Max Linder. Pour cela, on peut compter sur le spécialiste des effets spéciaux Olivier Afonso, ayant notamment officié sur Grave, pour nous ressortir une recette des plus efficaces du cinéma bis, à savoir des jolies filles, des rednecks dont la consanguinité n’a d’égal que la cruauté, et surtout, surtout des hectolitres d’hémoglobine. À l’aide d’un casting à la fois charmant et étonnant, Afonso nous raconte avec l’assistance d’un cowboy ménestrel joué par Orelsan, l’histoire d’une équipe féminine de volley qui après être tombée en panne dans la cambrousse, se retrouve pourchassée par une troupe de bouseux sanguinaires menée par Denis Lavant ne communiquant que par grimaces. Le film remplit alors à partir de là pleinement son contrat, enchaînant les blagues bas du front et les têtes qui explosent. Afonso peut d’ailleurs compter sur l’humoriste Artus pour faire le show, notamment lors d’un affrontement anthologique avec un chihuahua. Malgré le fait que l’on obtienne ce qu’on est venu chercher, on ne peut pas s’empêcher de penser que le film a été fait un peu par-dessus la jambe et fait preuve d’une certaine fainéantise, recyclant assez vite ses composantes. Notamment au niveau du gore, où l’on pouvait espérer quelque chose de plus poussé que des explosions crâniennes en sang numérique de la part d’Olivier Afonso. De la même manière, les scènes d’action se noient trop souvent dans une hystérie assez agaçante. Girls with balls est typiquement un film de festival, le genre d’œuvre à apprécier sur le moment et qui gagne de l’ambiance euphorisante qui l’accompagne.

Punk Samourai Slash Down (Japon)

Réalisé par Gakuryu Ishii. Avec Gô Ayano, Masahiro Higashide, Keiko Kitagawa, Tadanobu Asano…

Ce vendredi au PIFFF était placé sous le signe des délires WTF, et ce n’est pas le japonais Gakuryu Ishii qui va nous faire dire le contraire. Anciennement connu sous le nom de Sogo Ishii, le  nippon était l’un des pionniers de la vague de cinéastes punks ayant émergé à la fin des années 70 dans le pays du soleil levant. Mentor de Shinya Tsukamoto, Ishii avait développé une esthétique débridée et survoltée avec des titres devenus cultes comme Burst City ou plus récemment Electric Dragon 80000V. Le réalisateur s’était ensuite un tantinet assagi, laissant la frénésie de côté pour un onirisme certain. Le voilà de retour accompagné de sa rage si caractéristique avec Punk Samourai Slash Down, dont le titre nous indique clairement l’intention. On reste cependant loin des titres nihilistes du début de sa carrière, et on penche plutôt du côté de Takashi Miike ou Stephen Chow. On suit ici Koke, le samouraï punk, qui se retrouve embrigadé dans une lutte de pouvoir à base de mensonges et de secte étrange répondant au nom des Bellyshakers, croyant que le monde est l’intérieur d’un ténia. Un postulat abracadabrantesque qui ne va pas aller en s’arrangeant au fur et à mesure que l’on avance dans le film. On y retrouvera notamment un général simiesque commandant une armée de singes. Dans son délire, Ishii arrive quand même à embarquer la fine fleur du cinéma japonais parmi lesquels on peut compter Tadanobu Asano, Shota Sometani ou encore Jun Kunimura qui incarnent des personnages tous plus loufoques les uns que les autres allant du gourou au déhanché endiablé au commandant ayant trouvé le sens de la vie en dressant des singes. Ishii se permet également tous les excès formels qui se manifestent surtout au travers de ces effets spéciaux et sa mise en scène aux allures cartoonesques. Malheureusement, comme souvent avec le cinéaste, le film souffre de sa longueur et l’avalanche de « what the fuck » devient assommante. Ishii aura eu au moins le mérite d’aller au bout de ses idées, renouant avec son attitude punk à l’aide de ce film complètement anarchique dans sa construction.

Achoura (Maroc, France)

Réalisé par Talal Selhami. Avec Sofia Manousha, Younes Bouab, Omar Lotfi, Ivan Gonzalez…

Dernier film présenté en compétition, Achoura est le deuxième film de Talal Selhami, un habitué du PIFFFcast. Le festival était donc pour lui l’occasion rêvée pour présenter en avant-première mondiale Achoura. Il est marqué comme beaucoup par Stephen King, et en particulier Ça auquel il emprunte la structure sur deux temporalités. Au contraire du film de Muschietti qui se concentrait dans un premier temps sur l’enfance, Selhami va tout au long alterner entre la période adulte et des flashbacks renvoyant à une mésaventure vécue par la troupe d’enfants qui resurgit dans leur vie. Avec ce mode opératoire, le cinéaste essaie de cultiver un certain suspense et un mystère sur les phénomènes fantastiques qui touchent ses protagonistes. Achoura désigne le nom de la fête de l’enfance qu’on célèbre au Maroc. Selhami va beaucoup travailler avec le folklore de son pays d’origine pour donner naissance à sa créature, un djinn maléfique. Il faut d’ailleurs tirer le chapeau au designer du monstre qui est haut la main, l’aspect le plus réussi du film. Au travers de cette apparition, il questionne le rapport à la culpabilité de ses personnages. En voyant ce travail, on distingue clairement une vision de la part de Selhami, une volonté sincère d’offrir quelque chose de consistant. C’est pourquoi il est frustrant de constater que la sauce ne prend jamais. Il y a plusieurs raisons qui expliquent cela et notamment un côté amateur qui surgit à de nombreuses reprises. Cela s’observe dans certains effets de mise en scène aux aspects assez cheaps. Là où cela pose davantage de problèmes, c’est dans la direction d’acteurs. On sait à quel point il est difficile de trouver des enfants-acteurs de qualité, mais dans Achoura cela porte clairement préjudice au film, laissant le spectateur à distance. Il faut dire que le casting adulte n’est pas pour autant meilleur. Achoura fait preuve de bonne volonté, notamment en jouant avec les légendes d’un pays un peu oublié dans le cinéma de genre, mais qui se fait plomber par un acting complètement aux fraises.

Lords of Chaos (Grande-Bretagne, Suède)

Réalisé par Jonas Akerlund. Avec  Rory Culkin, Emory Cohen, Sky Ferreira, Jack Kilmer…

Certainement le film le plus attendu festival, Lords of Chaos est un projet de longue date, qui devait dans un premier temps échouer à Sion Sono à la fin des années 2000. Il faudra attendre près de 10 ans pour voir le clippeur Jonas Akerlund enfin adapter le best-seller éponyme de Michael Moynihan et Didrik Søderlind retraçant la folle histoire du true black metal norvégien et des incidents qui en font partie intégrante. Un projet controversé, notamment par ses protagonistes originaux comme Varg Vikernes, criant sur tous les toits que le livre est un ramassis de mensonges. Akerlund va d’ailleurs jouer là-dessus en annonçant que son film est basé autant sur des vérités que sur des mensonges. Le film prend dès le début une tournure assez inattendue. Face à cette histoire très sombre, comportant son lot de meurtres et d’actes de vandalismes, Akerlund choisit une approche tournée vers la comédie, maniant une certaine ironie. Cela devient de plus en plus évident à force que l’on avance dans le film. Derrière ces meurtriers, ces personnes vouant un culte au diable, se cachent finalement des adolescents voulant se faire une place dans une société qui leur est étrangère. Lords of Chaos prend alors des tournures de teen movies, traitant d’une rébellion, qui va malheureusement monter à la tête de ses acteurs, quitte à les pousser vers un chemin des plus ténébreux. Il y a effectivement cette notion de mal-être post-adolescent qui se ressent au travers d’Oystein Aarseth ou même Kristian Vikernes, une volonté de prendre part à quelque chose, de vouloir  laisser une empreinte dans le monde.  Ils vont trouver refuge dans le black metal et fonder le Black Circle afin d’exprimer leurs émotions qui se manifestent de manière exacerbée. Même si l’on rigole beaucoup, Akerlund (ancien batteur de Bathory) maniant assez bien le monde du metal, et s’amusant à tourner en ridicule le côté trop « dark » de ses personnages, on nous rappelle aussi que cette histoire contient des faits divers particulièrement sordides. À de nombreuses reprises, Akerlund va alors calmer l’euphorie de la salle par une horreur brutale et des plus réalistes. Une sauvagerie incarnée par un coup de couteau ou un incendie d’église. Lords of Chaos est une véritable œuvre hybride, il réutilise cette histoire mythique dans le milieu du metal, non pas pour l’iconiser mais pour y apporter une réflexion sur ses acteurs. Certains « trve » fans pousseront un scandale en voyant leurs icônes se faire ridiculiser (Varg prenant particulièrement cher dans cette séquence surréaliste d’interview), mais Akerlund leur offre une certaine densité et ambiguïté.  Il faut dire qu’il est bien aidé par les performances très convaincantes de Rory Culkin dans le rôle d’Euronymous et d’Emory Cohen, absolument terrifiant, dans le rôle de Vikernes.

The Man who feels no pain (Inde)

Réalisé par Vasan Bala. Avec Abhimanyu Dasani, Radhika Madan, Gulshan Devaiah, Mahesh Manjrekar…

On termine ce petit séjour au PIFFF par une première : la présentation du premier film indien de l’histoire du festival. Rien de tel que de commencer le dimanche matin par du cinéma décomplexé et dynamique de Bollywood. Le titre est là aussi assez évocateur car il nous parle d’une véritable condition médicale qui amène son porteur à ne ressentir absolument aucune douleur. Vasan Bala nous conte l’histoire de Surya, garçon casse-cou et fan de cinéma d’action qui se fait le serment de débarrasser sa ville des voleurs à l’arraché après que l’un de ceux-ci a causé la mort de sa mère. Aidé par son amie d’enfance très badass, d’un maître karaté unijambiste et de son grand-père au grand cœur, le voilà prêt à se frotter à un gangster véritable cliché du psychopathe. Vasan Bala y a mis beaucoup du sien dans ce deuxième long-métrage. En revenant tout d’abord sur un traumatisme d’enfance, ayant vu sa mère se faire agresser et dérober ses bijoux, il exorcise cela au travers du personnage de Surya et de son côté justicier. L’autre facette de Bala qui émane de The Man who feels no pain, c’est un amour certain du cinéma et notamment celui d’arts martiaux, Bruce Lee en tête. Le long-métrage ne revisite alors pas uniquement le film de vigilante au travers de son héros voulant rendre justice lui-même, mais également au cinéma hong-kongais au cours de ces séquences d’action et de ses multiples bastons. En passant à la moulinette Bollywood ces codes du kung-fu pian, Vasan Bala donne lieu à une œuvre des plus énergiques. Il alterne à la perfection moments de comédie, moments touchants, et séquences de castagne qui tabassent, tout en incorporant la dose nécessaire de chansons. Avec sa durée plutôt courte pour un film indien (2h15), The Man who feels no pain s’avère être diablement accessible pour les occidentaux peu accoutumés du genre, malgré une outrance caractéristique au cinéma indien. Un cocktail explosif super divertissant.

Un dernier mot pour remercier toute l’organisation du PIFFF qui a fait un très beau boulot surtout avec des conditions délicates le samedi permettant que l’événement se déroule sans heurt. À préciser aussi que le grand gagnant de cette 8ème édition est le film américain Freaks, auteur d’une razzia absolue, repartant avec les 3 prix.