Le Festival Lumière vient d’ouvrir ses portes en grande pompe et commence déjà à faire venir le public dans les salles obscures lyonnaises : à commencer par une nuit Romero, dédiée à la trilogie Zombies du réalisateur. Une soirée sous le signe du frisson, du gore et du message politique toujours aussi actuel.
La nuit des morts vivants (1968)
Dès les premiers instants du film, le ton est farouchement donné : un drapeau américain flotte au beau milieu d’un cimetière et demeure l’un des derniers vestiges humains d’un monde en décrépitude. Avec son noir et blanc qui aime accentuer ses effets et son petit budget, son mixage sonore effrayant et sa mise en scène horrifique, La nuit des morts vivants va vite se transformer en huis clos où plusieurs personnes vont s’enfermer dans une maison pour se protéger de l’attaque de zombies, qui prolifèrent rapidement sur le sol américain. A l’image de cette première agression sur le personnage de Johnny, Romero ne fait pas de ses morts vivants, des bêtes invincibles : tant sur le fond que sur la forme, ils gardent une apparence bien humaine. Et c’est cet aspect-là du film, et cette écriture du cinéaste, qui font aussi toute la renommée de ses zombies. Outre une bonne utilisation de la tension, un huis clos asphyxiant qui voit l’humain se conditionner par la peur ou l’instinct de survie et s’observer lui même par le biais de la trahison, Romero nous montrera que malgré l’apparition de ces morts vivants, êtres assoiffés de chair et de sang, l’humain restera lui même son principal ennemi. Cette incursion dans le genre « zombie » permet à Romero de magnifier le genre par une esthétique unique, portraitiste, baroque et presque post-apocalyptique, mais aussi d’y insérer un message politique fort, allant du regard sur une Amérique raciste et mortifère, jusqu’à y dénoncer les essais nucléaires et de la bombe atomique.
Zombie (1978)
Romero continue ses pérégrinations dans le genre zombie mais cette fois-ci avec plus de force, de puissance de frappe et de grandiloquence. L’action s’intensifie, le chaos endémique aussi, dans un dédale de tirs où les morts s’empilent les uns sur les autres, et logiquement, le gore se fera plus tenace et viscéral. Passer de La nuit des morts vivants à Zombie, c’est un peu comme passer de Alien, le huitième passager à Aliens : quitter le territoire sensoriel et invisible de la menace pour après se retrancher dans la puissance de feu et une mise en scène qui augmente sa prolifération de l’espace. L’armée et la police tuent des zombies à la pelle et la jubilation forcenée à ce « meurtre de masse » rend l’action parfois incandescente, émotionnelle et nauséeuse. Cette fois-ci, ce n’est pas une maison et un cimetière qui seront le siège du film : mais au contraire, ce sera un centre commercial. Le temple consumériste de tous les américains, l’antre de toute la vanité humaine, selon Romero. Les zombies ont beau être morts, c’est comme si des souvenirs les envahissaient lorsqu’ils déambulent mécaniquement dans les couloirs du centre commercial, un lieu funeste qui verra les humains les empiler les uns sur les autres pour les amener à l’abattoir. Ils deviennent le point final d’une certaine forme de capitalisme. Ce deuxième volet de la trilogie ne perd absolument pas sa qualité politique et son introspection de l’insanité humaine : cette fois-ci, la critique politique est plus globalisante et sociale, et voit les zombies comme un groupe ethnique en tant que tel, où il sera parfois plus facile de rentrer en empathie avec les morts-vivants qu’avec l’humain et sa décrépitude. Un film marquant et qui aura influencé beaucoup d’autres (Nocturama…).
Le jour des morts vivants (1985)
Troisième film sous la joute du zombie et le huis clos est une nouvelle fois de mise. Le lieu sera un bunker où des survivants (scientifiques et militaires) vont essayer de trouver un antidote à l’épidémie dans un monde où les morts-vivants ont pris les commandes, comme en atteste cette première séquence présentant une ville décharnée et délavée de toute son humanité. Plus que jamais l’ennemi silencieux de l’humain, est l’humain lui-même. Alors que les zombies s’humanisent de plus en plus, s’éduquent, prennent presque conscience de ce qu’ils sont ou de ce qui les entoure, l’Homme noie sa putréfaction dans la haine et se vautre dans son machiavélisme et sa peur d’extinction. Romero arrive avec Le jour des morts vivants à trouver un équilibre parfait entre le sérieux du récit (critique fortement antimilitariste) et la joyeuseté de la parodie (les relations avec les zombies), tout en y ajoutant un sens du gore encore plus dévastateur que lors des deux précédents films, notamment à travers son final vorace à souhait. Alors que le génocide des zombies dans Zombie pouvait parfois émouvoir, ici, le sort des scientifiques et des militaires qui seront éviscérés comme de la simple chair fraiche, n’amène aucune empathie : comment être touché par une espèce humaine dénuée de sentiments ? Romero, par le biais de ce message, égratignera encore et toujours, une humanité en perdition.