Reçu à Lyon au Festival Lumière pour présenter une (somptueuse) copie 4K restaurée de son chef d’œuvre Heat, le réalisateur américain Michael Mann s’est confié dans une master class rétrospective laissant apercevoir les contours d’un cinéaste humble mais aussi très déterminé. Portrait.
Des cheveux blancs, une paire de lunettes cerclant des yeux fins et calculateurs, un ton froid : rencontrer Michael Mann est toujours une petite déconvenue en soi. Il faut dire que, sous cet apparat de banquier scrupuleux, se cache l’un des cinéastes les plus lucides et intéressants de son temps. Une image forcément triviale quand on la compare à sa réputation (monstrueuse), mais une image avant tout. Car Michael Mann, outre d’en créer, est capable de les contrôler. Et on lui en sait gré, puisqu’au détour d’une filmographie que d’aucuns s’accorderont à dire brève (11 films), l’américain nous as gratifié de quelques grands morceaux de cinéma : Le Solitaire, Le Dernier des Mohicans, Révélations, Miami Vice, Ali, Public Enemies. Autant de films qui laissent forcément pantois tant leur maitrise, incandescente et inoubliable, semble presque trancher avec l’homme assis dans ce fauteuil rouge, tout ému (voire gêné) de discuter de son œuvre. Et bien que l’on adorerait l’entendre parler de sa carrière ou de ses débuts, c’est à l’un de ses films les plus connus (et appréciés) auquel on aura droit : Heat. L’occasion d’apprendre que, malgré ses 74 ans au compteur, l’américain n’a pas perdu de son mordant et paradoxalement, de son humilité.
Michael Mann, l’artiste
Se décrivant comme un « artiste convaincu avec une fougue digne d’un quarantenaire », le cinéaste semble, dans un premier temps, désireux à rappeler son mode opératoire : « je suis prévoyant. Méthodique. Je cerne mes projets, les visualise en amont, les travaille » (presque tous ses films sont écrits de ses mains). Un fait rare à Hollywood qu’il chérit autant dans les bons que les mauvais moments. Car en plus d’être doué, il est lucide. Il sait en tant qu’artiste que « tout est de son fait dans un film, que ça soit le choix du rideau ou le décor ». Un recul que certains n’hésiteront pas à qualifier de perfectionnisme dans son cas ; ce qui n’est pas loin de la vérité quand on se penche plus en détail sur Heat. Derrière ces 4 lettres se cache en effet un culte du thriller/polar ; une rencontre mémorable entre Al Pacino et Robert de Niro ; une maitrise restée dans les annales et notamment une certaine scène de fusillade. Et pourtant, Mann botte en touche dès lors qu’il est question de se montrer extatique sur le sujet. Avec le sens de la mesure, Mann se fend de quelques révélations, la plupart d’entre elles réfléchies. Ainsi, tout juste apprendra-t-on qu’« Heat fut un projet de longue haleine, ayant nécessité 12 années de travail pour passer d’un simple jet à un script apte à être présenté à la Warner ». On découvre qu’il a provoqué l’ire de la Warner : « les studios n’a pas apprécié ma prise d’initiative que celle de me présenter auprès d’eux avec le projet (presque) clé en mains » (comprendre avec le casting déjà échafaudé). Mais à l’arrivée, on retient surtout les mots mesurés et justes du cinéaste qui n’hésite pas à revenir sur l’un des faits distinctifs du film : sa durée. « Elle était jugée problématique » par les studios, celle-ci a même été à l’aune d’une blague que ne feront finalement jamais les exécutifs : avant même de voir le film, ces derniers avaient opté pour une série de pile ou face pour déterminer qui devrait annoncer au réalisateur que son film serait amputé de 30 minutes. La suite, on la connait moins : Mann, anxieux, présente le film au studio. A l’issue de la projection, le studio, enthousiasmé, annonce, sans doute non sans ravaler sa fierté, que le film restera inchangé, soit crédité d’une durée frôlant les 3h (ce qui est rare pour un thriller). Mais ce qui prime quand on entend Mann, c’est bien la discipline de fer à laquelle il s’est frottée. Une discipline que l’on retrouve sans surprises sur deux facettes majeures de Heat : le tournage et les images. Saluant la vivacité des spectateurs, il révèle ainsi que, pour lui, le soin conféré aux images est essentiel, comme l’accomplissement d’un devoir de cinéaste de capter l’attention, attirer l’œil du public. Un degré d’investissement que l’on retrouve par ailleurs dans l’autre facette du cinéaste. N’hésitant pas à parcourir la ville de fond en comble (aucune scène n’a été tournée en studio), le réalisateur a pu prendre le temps d’expliquer que c’est la case prison qui l’a aidé dans son processus artistique. Il nous rassure, il n’a jamais fait de prison, mais dans le cadre de ses recherches, il a été amené à intégrer le milieu carcéral. Une initiative qu’il nous as rappelé ici, indiquant que c’est le personnage de De Niro qui en a profité tout comme lui, parvenant à insuffler sur le tournage un vrai sentiment d’unité. Une union symbolisée d’ailleurs par cette anecdote assez étonnante : « les jours ou seuls quelques acteurs étaient attendues sur le plateau, ceux étant en « congés » venaient malgré tout pour prendre de la graine et assister au spectacle ».
Mais ne l’enterrez pas trop vite. Bien que son dernier film Hacker ait eu du mal à trouver son public et qu’il couve actuellement un projet de grande envergure sur la figure du sport automobile Enzo Ferrari (que devrait interpréter Hugh Jackman), le réalisateur a admis qu’il se sentait comme un cinéaste de 40 ans, empli de fougue et d’énergie, faute à ne pas avoir tous les films qu’il souhaite.