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Festival Clermont-Ferrand 2016: Interview de Jean-Claude Saurel

« Le terrain d’expérimentation pour le renouvellement de l’écriture cinématographique »

De son visage plissé et de sa moustache grisonnante se dégage une bonhomie naturelle. Le pas est tranquille et posé. Jean-Claude Saurel, s’avance vers nous, et nous conduit près de son QG dans un bureau adjacent « pour être au calme ». Sa délicatesse le pousse à chercher lui-même une chaise supplémentaire afin de nous mettre d’emblée à l’aise. Il nous confesse prendre parfois son temps, sortant tout droit d’une séance scolaire, avant deux réunions avec le CNC et l’ADAMI prévues pour l’après-midi. Mais ne nous méprenons pas. De cette force tranquille, émane l’homme de convictions: le regard est fixe lorsqu’il s’exprime, la voix assurée, le ton posé. Jean-Claude Saurel est un amoureux de la libre expression artistique et du format court auquel il a consacré la plus grande partie de sa vie. Président de l’association Sauve qui peut le Court Métrage, il demeure le digne ambassadeur de son festival, sachant le défendre par monts et par vaux. Face à son immense succès, l’homme préserve la simplicité, la modestie et la franchise des grandes figures.

Interview de Jean-Claude Saurel, président de Sauve qui peut le court métrage

festival-clermont-2016-jean-claude-saurelNous avons eu le privilège de rencontrer cette personnalité importante du 7ème Art lors d’un entretien matinal le 8 février 2016; où il retrace l’historique de son association et de son festival, tout en acceptant de se livrer sur son parcours exceptionnel. Bonne humeur garantie!

– JCS, commençons si vous le voulez bien par une petite anecdote. La présentatrice de la cérémonie d’ouverture de cette 38è édition a éveillé notre curiosité… Le vent souffle très fort aujourd’hui dans le rues clermontoises… Êtes-vous « Le Diable »? Portez-vous fièrement ce pseudonyme?

Comme beaucoup de pseudonymes, c’est quelque chose de totalement accidentel. Au siècle dernier, quand j’étais étudiant débutant à Clermont, on avait l’habitude de jouer au baby-foot dans un bistrot branché de l’époque, pas très loin d’ici d’ailleurs le « Bar du Jardin ». Un soir, un de mes adversaires a qualifié un de mes coups de diabolique. C’est devenu accidentellement le lendemain « Le Diable » (…) Il y a eu plusieurs versions sur l’origine, mais je donne ici l’authentique! Quand j’ai rencontré ma femme, je lui racontais que c’était parce que je buvais des diabolos menthe mais c’était une fausse piste (rires)…

– Depuis 1999, vous êtes président de l’association Sauve qui peut le Court Métrage (ndlr: créée en 1981), qui vous a confié l’organisation de l’Evènement. Dans l’intitulé même de votre association, on trouve un cri d’alarme, l’idée même d’une urgence… En 2016, malgré l’immense succès de votre festival, le format court vous semble-t-il toujours en danger?

Il est compliqué de répondre à cette question. Une précision sur l’origine de Sauve qui peut le Court Métrage: oui, il s’agissait bien d’un cri d’alerte puisque qu’à l’époque le court-métrage était dans une situation d’hyper-confidentialité. Mais c’est aussi parce que Antoine (ndlr: Antoine Lopez, l’un des trois fondateurs du Festival international du court-métrage de Clermont-Ferrand), que je qualifierais de Niel Amstrong, avait beaucoup de sens de l’humour lors de l’ouverture. Il l’a toujours d’ailleurs, on est encore proche malgré sa retraite. C’était aussi un clin d’œil au film de Godard Sauve qui peut la vie. Les deux étaient mélangés.

Aujourd’hui, cette urgence est moins présente. Dans notre sillage pleins de festivals se sont créées et ont réhabilité petit à petit une certaine légitimité du court, même si ce n’est pas complètement abouti. Les gens comprennent quand même progressivement que le court c’est pas seulement un genre en danger, mais c’est aussi l’avenir de fait du long-métrage, puisque c’est le terrain d’expérimentation pour le renouvellement de l’écriture cinématographique entre autres, que je mets en premier. On dit souvent que c’est un passeport pour le long, ou un passage. Je le mettrais en dernier. Parce que passer au long métrage, c’est tout de même une sacrée course d’obstacles.

Bien-entendu, vu l’ampleur du festival de Clermont, on peut citer quelques grands réalisateurs actuels qui ont commencé par le court. J’en dirais 4 ou cinq à la volée: Jean-Pierre Jeunet, Cédric Klapisch… Mais l’immense majorité des réalisateurs ont souvent du mal à passer au long ou quelques uns restent dans le court-métrage (…) On a baptisé l’amphithéâtre de Gergovia « Agnès Varda« , qui est « une papesse » du court-métrage, puisqu’elle en a réalisé 17, en alternant longs et courts. C’est un parcours original. Mais elle est coiffée par notre animateur de débat Claude Duty, le « pape » du court-métrage, puisqu’il en a réalisé 21, avant de passer au long un peu accidentellement (…) Personnellement, je partage l’idée avec l’immense partie de l’équipe de Sauve qui peut, que le format court c’est d’abord en premier l’avenir du long, c’est le terrain d’expérimentation du renouvellement du long métrage, et du cinéma en général. Et aussi quelque chose qu’on oublie souvent, un lieu de formation exceptionnel pas seulement pour les réalisateurs, mais aussi pour tout un tas de métiers du cinéma. Un seul exemple: j’ai connu Christophe Rossignon, c’est un grand maintenant, mais il débuta tout petit en produisant des courts-métrages. Maintenant, c’est le patron de « Nord-Ouest Productions » avec un palmarès exceptionnel. Je citerais un film qu’il a produit, Bienvenue chez les Ch’tis, où il apparaît même en tant que figurant (ndlr: le serveur de la brasserie)… Sans mentionner tous les techniciens qui ayant commencé par le court, sont maintenant dans le long, et bien reconnus.

– Vous avez lancé le festival de Clermont-Ferrand en 1979 avec Antoine Lopez et Georges Bollon, après des études en droit puis en lettres, et l’entame de cotre carrière de sculpteur et graveur de pierres. Vous avez co-réalisé en 2001 un film Comme un seul homme, 20 prix, 20 mentions, qui aborde avec justesse la dimension humaine d’un sport qui vous passionne (comme tout bon clermontois qui se respecte) et que vous avez pratiqué, le rugby. Quel parcours! Atypique pourrait-on dire… Pourquoi avoir consacré la plus grande partie de votre vie au court-métrage? Quelle(s) spécificité(s) trouvez-vous dans ce mode d’expression artistique?

Je suis tombé dans le bain comme spectateur et compagnon de route des fondateurs, puisque c’était des gens que j’avais connus animateurs du CCUC. Il est important de rappeler que si le festival a démarré avec autant de succès, c’est dû en grande partie à la fidélité du public du CCUC, ce fameux Cercle Cinématographique Universitaire de Clermont-Ferrand, qui était le premier de France tout de même, avec 1700 adhérents. J’étais alors un festivalier très assidu et en 1999 quand il y a eu un problème de croissance de l’association, il fallait un président présent et actif (…) C’est comme ça que les « vieux » Antoine et Georges m’ont demandé de devenir président de l’association. Mais il ne faut jamais perdre de vue que nous avons un fonctionnement atypique, c’est la collégialité intégrale. Je joue le rôle d’un président d’association loi 1901, mon rôle est de représenter l’association et de m’occuper de la partie administrative.

Après, on a évoqué mon expérience de co-réalisateur, puisque j’ai travaillé avec Jean-Louis Gonnet (ndlr, pour Comme un seul homme, 2001). Je peux signaler aussi à titre anecdotique, un vidéaste local très connu dans le monde entier, mais pas connu à Clermont, Michel Coste, qui en 1991 a construit un scénario où je suis le personnage central par rapport à mon métier de graveur sur pierres. Ça s’appelle J’irais gravé sur vos tombes (rires), un film remarquable puisqu’il commence comme un documentaire classique et finit dans le fantastique. Il y a 3 morts qui sortent de leur tombe dans un cimetière typique et qui viennent me déranger dans mon travail, mais je ne dirai pas ce qu’ils leur arrivent (rires).

Je garde un œil sur le court-métrage parce que ça me passionne toujours autant (…) Le court-métrage, c’est tout simplement la richesse et le pluralisme du genre. Du fait des conditions économiques beaucoup moins contraignantes que pour le long, ça permet une liberté totale d’exploration et de recherche.

– On parle de « Cannes du Court », du plus grand festival de court-métrage au monde. Êtes-vous fier de ces qualificatifs laudatifs ou gardez-vous une certaine distance? 

Il est reconnu comme tel par les professionnels depuis un quart de siècle. C’est une réalité incontournable. Souvenez-vous qu’en 1995, c’est le centenaire du cinéma. Il y a ici une coïncidence: c’est lors du centenaire du cinéma que la fréquentation du festival par le public a atteint le seuil des 100 000 entrées. C’est à partir de ce moment là à peu près 1993-1995 qu’on est reconnu comme la première manifestation mondiale en termes de fréquentation par un public assidu. Par ailleurs, on accueille actuellement à peu près 3200 professionnels venus du monde entier.

Ce sont les seuls points de comparaison avec Cannes, car Cannes c’est pas du tout la même chose. Un, la compétition officielle est hyper médiatisée, et n’est réservée qu’aux professionnels, une énorme différence avec Clermont (…) On a institué ici un système dans l’esprit du départ qui veut qu’il n’y a pas de rupture entre les professionnels et le public. Les professionnels sont badgés, ils font la queue comme tout le monde, et ça change tout. Exemple très important: depuis quelques années on essaie de toucher les publics les plus divers et on envoie des places d’accès gratuit à toutes les associations caritatives, « Secours Populaire », « Secours Catholique », et « Restos du Cœur ». Les gens qui bénéficient de ces tickets du fait de l’ambiance particulière de Clermont-Ferrand, notamment du point de vue vestimentaire, n’hésitent pas à venir. Vous donnez des tickets gratuits à Cannes, les gens n’oseront jamais monter les marches, par exemple (rires)

– Une question de politique territoriale à présent. Êtes-vous préoccupé par le nouveau découpage régional et votre rattachement avec Rhône-Alpes?

On arrive à la question qui « fâche » avec cette réforme territoriale totalement incohérente. On va en discuter tout à l’heure avec le CNC, car il y a danger. En 2015, lors du festival avec l’ancienne Région Auvergne, qui était la principale partenaire du festival, on a signé une convention dans un but précis, celui de sanctuariser au moins pendant trois ans nos actions. On a calculé tout simplement. Avec cette nouvelle région Rhône-Alpes-Auvergne, si nous perdions, je schématise, le pilotage de la Commission du Film, le pilotage de Pôle d’éducation à l’image, on serait mal parce que ce sont des actions étroitement imbriquées avec le festival, qui nous nourrissent et qui se nourrissent du festival (…) Cette région qui passe de 4 départements à 12, pose le problème de la proximité, ou alors il nous faut des moyens énormes pour gérer un seul Pôle d’éducation à l’image sur 12 départements. Une des qualités de notre action locale du point de vue du Pole d’éducation à l’image, c’est que l’on ne s’occupe que de 4 départements (…) On travaille sur la proximité (…) A l’échelle de la nouvelle région, nos équivalents en Rhône-Alpes, ne fonctionnent pas du tout de la même manière que nous. Nous ici on est totalement indépendants donc ils vont passer sur les fourches caudines de notre organisme (…) On risque de perdre de l’efficacité. Deux gestions différentes. Laquelle va l’emporter? Vu le rapport de force entre les deux régions, je pense que c’est Lyon (…)

– Une question de genre à présent. L’année dernière, nous avons été charmés par certaines comédies, telles que Pierrot La fontaine Mon cul, People are strange ou encore De Smet qui a remporté le prix Canal +… Même si les thématiques sociales sont récurrentes à chaque édition, pensez-vous qu’une comédie puisse à nouveau remporter un Vercingétorix? 

Si on fait l’historique, plusieurs fois des comédies ont été récompensées, notamment une qui a fait le tour du monde, elle a même été oscarisée, Le Mozart des pickpockets (2006). Les jurys ici sont totalement indépendants (…), c’est très variable. Ce qui guide la sélection, c’est l’esprit des sélectionneurs, nos sélectionneurs, notre équipe: un, les tripes du réalisateur contre les tripes du sélectionneur et deux, respecter le pluralisme du genre qui me semble infini (…) il y a toujours quelques comédies, mais il faut qu’elles soient de haute qualité.

– Quelle est selon vous l’influence des attentats de 2015 sur cette 38è édition?

L’an dernier, le festival s’est ouvert trois semaines après les attentats contre Charlie Hebdo. Nous étions sous le plan Vigipirate. On a un directeur de cabinet du Préfet, qui est très bien, qui ne sort pas de l’ENA, un ancien prof, donc il a le sens des réalités, Il a remarquablement mis en place le plan Vigipirate lors de l’édition 2015, parce qu’il connait le festival, c’est un fan, et ça s’est très bien passé. Cette année c’est plus compliqué, l’état d’urgence est quelques degrés au-dessus. On a eu des petits soucis mais ça à l’air de pas trop mal se passer. Les 27 000 euros (ndlr: liés à la sécurité du festival) sont de notre poche pour l’instant. On espère que cela va changer (…)

– Une question plus personnelle pour conclure. Certaines anciennes figures du festival ont quitté le navire (Antoine Lopez, Jacques Curtil, Christian Guinot…). Votre mandat arrive à son terme en 2017. Après tout le chemin parcouru, avez-vous l’envie de tirer votre révérence, de passer le témoin, ou pas?

Le mandat de trois ans arrive à échéance en juin 2017. Je fais un trait d’humour. Je pense que je vais survivre à Hollande (rires) (…) Bien-entendu, comme pour le reste du fonctionnement de l’équipe, c’est eux qui décident. Moi personnellement tant que je suis en forme physique, s’ils me demandent de faire un septième mandat, je le ferai, ce qui m’amènerait en 2020. Là c’est une question interne (…) Vous savez, Gilles Jacob mon équivalent de Cannes, a tenu les rennes jusqu’à 82 ans, donc ça me laisse de la marge (rires).

Merci infiniment JCS!

Jean-Claude Saurel en quelques dates:

1947
Naissance à La Terrisse, dans l’Aveyron. Ses parents étaient agriculteurs.
1967
Après un bac de philosophie à Rodez, Jean-Claude Saurel poursuit ses études à Clermont-Ferrand. D’abord en Droit, puis en Lettres.
1974
Débute sa carrière de sculpteur et graveur sur pierre
1979
Lancement du festival du court métrage à Clermont-Ferrand avec Antoine Lopez et Georges Bollon
1999
Devient président de « Sauve Qui Peut Le Court Métrage »
2007
Représente le secteur culturel au Conseil Economique, Social et Environnemental Régional