Festival Clermont 2016, les coups de cœur de la Rédaction CineSeriesMag
Bienvenue dans le laboratoire, où les réalisateurs expérimentent tous azimuts, sans tubes ni éprouvettes, leurs idées les plus folles. La rationalité n’est pas toujours le meilleur outil pour appréhender ce bouillant maelström créatif. Parfois, l’image est plus forte que les dialogues (totalement absents mêmes, dans certains cas). D’autres fois, elle devient psychédélique, épileptique, sans accord véritable avec le texte ou en total décalage. Peut-être l’imagination ou une certaine sensibilité alors… Quoiqu’il en soit, même si le labo n’est pas toujours facilement accessible, il est représentatif du pluralisme du genre et d’une formidable créativité cinématographique. Parmi ce tourbillon de trente films au programme de cette quinzième édition de la compétition Labo du Festival International du Court Métrage de Clermont-Ferrand 2016, voici quelques quelques Objets Filmiques Non Identifiés et baroques, que nous avons dénichés pour vous.
[COMPÉTITION LABO]
5) The Atom Station, Nick Jordan (Royaume-Uni, Angleterre, 2015), Documentaire expérimental, 13’20
Synopsis: regard sur les paysages naturels et industriels de l’Islande, où convergent les forces culturelles, politiques et écologiques qui façonnent le pays. Avec la voix de W. H. Auden lisant son poème « Voyage en Islande » (1937), et celle du militant écologiste Ómar Ragnarsson.
Pour l’engagement environnemental de l’oeuvre, The Atom Station vaut le détour. Très bien réalisé et totalement immersif, ce film est centré sur le paysage industriel et naturel de l’Islande et relate le mélange des forces culturelles, économiques et écologiques qui sont présentent sur l’île. La poésie contemplative d’Auden exprime le désir de s’échapper de sa patrie britannique, d’abandonner les attributs de la modernité et la guerre prochaine. Ragnarsson quant à lui, lance un cri d’alarme pour protéger un désert vital, menacé par les sociétés internationales d’aluminium qui exploitent l’Islande, au péril de son écosystème, de ses volcans, de ses baleines… Nick Jordan réalise ici un documentaire profond, et partage son inquiétude face à l’inégalité du combat entre les fonderies d’aluminium (des multinationales américaines pour la plupart), et les rares voix écologiques qui essaient de se faire entendre.
4) Greener Grass, Paul Briganti (Etats-Unis, 2015), Fiction, 14’57
Synopsis: deux super mamans, Jill et Lisa, feraient vraiment n’importe quoi pour se faire bien voir. Un univers surréaliste où l’on s’inflige une souffrance dans l’espoir d’une récompense future – ou du moins, d’un sourire impeccable.
Greener Grass (L’herbe sera plus verte) de Paul Briganti est une comédie loufoque et drôle, où deux « desperate housewives » cherchent l’approbation de leurs amis, à tout prix. Les couleurs sont volontairement saturées, les personnages sont caricaturés, les dialogues déjantés frôlent l’absurde. On nage en plein univers surréaliste, et on aime ça!
3) Hotaru, William Laboury (France, 2015), Expérimental, fiction, 21’37
Synopsis: ils m’ont dit : « Tu as un don, Martha. Ici, ce don ne te sert à rien. Alors on te montrera les plus belles choses. Tu ne te réveilleras jamais. Mais tu porteras les souvenirs les plus précieux. »
Hotaru de William Laboury, issu de la Fémis, est une fiction expérimentale d’une poésie profonde. Cette oeuvre empreinte les codes de la science-fiction pour mieux interroger nos plus anciens souvenirs de l’altérité. L’histoire est touchante et très bien écrite. L’utilisation de la 3D et des glitchs est incroyable. Les éléments sonores nous embarquent dans cet univers intime où nous explorons la conscience de Martha. Très beau!
2) Freedom & Independence, Bjørn Melhus (Allemagne, 2014), Expérimental, fiction, 15’01
Synopsis: entre comédie musicale, film d’horreur et conte de fées, le film évoque l’élitisme néo-libéral et les scénarios fantasmés d’une fin du monde annoncée, dans un cadre de vie façonné par une architecture mégalomaniaque.
Et c’est parti pour un quart d’heure de folie douce futuriste, vitaminée et chorégraphiée. Ce court expérimental interroge les changements idéologiques mondiaux s’orientant vers une nouvelle forme de capitalisme religieux, à travers la confrontation des idées et des citations du philosophe objectiviste autoproclamé et romancier Ayn Rand, avec des contenus évangéliques de films grand public aux Etats Unis. Les protagonistes citent des concepts du néo-libéralisme élitiste dans un mélange de délires religieux et d’hallucinations sur l’apocalypse. Tout un programme! Ce conte de fées contemporain, dans lequel Melhus exécute tous les personnages lui-même, a été en partie tourné dans une morgue de Berlin et dans de nouveaux milieux urbains à Istanbul. Jouissif et drôle, et qui questionne…
1) Voor Film, Douwe Dijkstra (Pays-Bas, 2015), Documentaire, expérimental, 11’37
Synopsis: regarder un film… Ce documentaire se penche sur ce rituel complexe en donnant la parole à une dizaine de spectateurs. Comment se passe cette expérience pour ceux qui ont un handicap sensoriel, des croyances religieuses très fortes ou un chagrin d’amour ? Un essai sur le cinéma et son public.
Voor Film de Douwe Dijkstra est une tentative drôle et habile de mise en abyme du cinéma, un film sur les films. Ce documentaire explore notre petit rituel qui consiste à regarder des film, une histoire sur les images en mouvement et leur public. Certains éprouvent des difficultés sensorielles, d’autres ont de fortes croyances religieuses ou connaissent un chagrin d’amour, l’un s’arrime à l’intrigue, l’autre aux acteurs. Voor Film exploite toutes ces impressions subjectives, ces croyances ou sentiments, notre imaginaire, tandis que nous assistons avec plaisir à la projection d’une fabrique d’images et de sons, de mouvements et couleurs en kaléidoscope. Le cinéaste ou son double apparaît parfois en buste géant au-dessus de maquettes d’avions ou de voitures miniatures sur sols de carton en se demandant comment ce drôle d’étalage va pouvoir se transformer en grand spectacle. Une expérience fine de cinéma.