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The Zone Of Interest |Copyright Bac Films

Cannes 2023 : La Zone d’Intérêt, le dédale de l’ordre

Jérémy Chommanivong Responsable Cinéma

Le banal portrait d’une famille nazi devient un terrain de jeu expérimental dans The Zone Of Interest. Jonathan Glazer réussit à détourner son regard de l’horreur de l’Holocauste pour la rendre encore plus cruelle et d’autant plus sensorielle.

Synopsis : Le commandant d’Auschwitz, Rudolf Höss, et sa femme Hedwig s’efforcent de construire une vie de rêve pour leur famille dans une maison avec jardin à côté du camp.

Si vous avez le tournis, vous ne vous trompez pas. Vous êtes bien chez Jonathan Glazer, l’artisan derrière Sexy Beast, Birth, The Fall et le voyage psychédélique et hypnotique qu’est Under The Skin. Dans son dernier long-métrage, le cinéaste britannique convoquait pleinement les ténèbres pour y enterrer la masculinité, laissant Scarlett Johansson performer au-delà du standing hollywoodien. A présent, sa patte rôde autour du roman éponyme de Martin Amis et la représentation déshumanisée du nazisme, dont l’astuce consiste à citer des éléments de la Shoah, en dépassant les caricatures ou ce qu’on aurait déjà pu voir dans d’autres œuvres de fiction. Ajoutons à cela une fibre expérimentale, le cocktail promet d’être explosif.

Masquer l’odeur

Pourtant, il ne faut pas oublier que le cinéma de Glazer est régi par le mouvement de ses sujets, contrairement au cadre. Ici, les points de vue sont multiples, mais les plans restent fixes. On y discerne les lignes de fuites et autant de cadres possibles pouvant enfermer les protagonistes dans leur cocon, à l’abri des crimes qu’ils orchestrent passivement. C’est ainsi que l’on suivra tous les déplacements, dans « la zone d’intérêt », dont le voisinage n’est autre que le camp de concentration d’Auschwitz.

Le commandant Rudolf Höss (Christian Friedel) est à sa tête et accomplit davantage le devoir d’un fonctionnaire que d’un soldat de la « paix », sachant qu’on ne passera jamais de l’autre côté des barbelés. Mais le mal existe bel et bien dans le hors champ, à travers le son de la main ouvrière ou la fumée d’une locomotive, qui ramène du nouveau carburant à la machine meurtrière de l’Holocauste. Et par-dessus tout, le cinéaste a la ferme intention de prolonger sa réflexion concernant cette branche de l’humanité.

De quoi sommes-nous faits à l’intérieur ? Nous méditons encore dessus après le dénouement d’Under The Skin, et ce sera à peu près la même réflexion lorsque le rideau noir se baisse sur le quotidien d’une famille de colons. La banalité s’empare de chaque plan, avec un rythme qui s’évertue à robotiser les déplacements des officiers, tandis que l’épouse du commandant, Hedwig (Sandra Hüller), redécore sa maison et son jardin comme si de rien n’était.

Et c’est grâce à tout le travail du son, des transitions et de la hauteur de la caméra que Jonathan Glazer parvient à cacher l’horreur des gaz toxiques et de la fournaise. Les grands angles donnent le vertige et trouvent quelque chose d’inconfortable dans la symétrie des lieux. L’ordre règne, mais l’ordre effraie. Il suffit de s’arrêter sur le plan zénithal de la couchette du couple pour comprendre l’ambiguïté. Ils ont beau déclarer leur amour au bord de l’eau, Rudolf et Hedwig dorment dans des lits séparés. Ce sera ainsi tout du long et ce mode opératoire défiera le spectateur, qui devra reconstituer tous les éléments qui font des camps des enclos qui enferment aussi bien ses sujets à l’intérieur qu’à l’extérieur.

Après la forte impression que Monster nous a fait d’entrée de jeu, il est également passionnant de se laisser distraire par cette relecture contemporaine d’un régime dont on ne superpose jamais le regard à l’horreur de son idéologie. The Zone Of Interest est incontestablement un concurrent sérieux dans la compétition, quitte à laisser à moitié de son audience sur le côté. C’est ce que Sans Filtre (Triangle of Sadness) a fait l’an passé, alors pourquoi pas lui.

The Zone Of Interest de Jonathan Glazer est présenté en Compétition au Festival de Cannes 2023.

Par Jonathan Glazer
Avec Sandra Hüller, Christian Friedel, Ralph Herforth
Prochainement en salle / 1h 46min / Guerre, Drame, Historique
Distributeur : Bac Films

Responsable Cinéma