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Conann |Copyright UFO Distribution

Cannes 2023 : Conann, le festin barbare

Jérémy Chommanivong Responsable Cinéma
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Ce qui est amoral peut également être de bon goût. Conann de Bertrand Mandico le prouve avec une esthétique qui n’appartient qu’à son univers gothique et fantastique, très librement inspiré du roman de Robert E. Howard.

Synopsis : Parcourant les abîmes, le chien des enfers Rainer raconte les six vies de Conann, perpétuellement mise à mort par son propre avenir, à travers les époques, les mythes et les âges. Depuis son enfance, esclave de Sanja et de sa horde barbare, jusqu’à son accession aux sommets de la cruauté aux portes de notre monde.

Il faut le voir pour y croire. Pourtant le style de Mandico fait toujours parler, avant même le purgatoire chez Les Garçons Sauvages ou son récent western féminin After Blue. La fibre expérimentale trouve toujours un écho dans la fosse métaphysique qu’il bâtit, à même la structure de son récit ou bien dans les différents décors fantastiques. Anna Le Mouël parvient toujours à les renouveler et Nicolas Eveilleau à les sublimer dans le noir et blanc granuleux qu’il projette, quand il ne travaille pas sa patine colorée, au rythme des clichés que Rainer saisit à tour de bras.

Il y a donc là de quoi dérouter les aficionados de la célèbre version de John Milius, où la musculature d’Arnold Schwarzenegger le rendait pratiquement invincible. Mais la faiblesse du barbare ne se situe pas dans les combats au corps-à-corps, mais bien dans les sentiments qu’il éprouve. D’abord animé d’un désir de vengeance, c’est ensuite face à l’amour que la nouvelle Conann s’oppose. La guerrière de Mandico est ainsi auscultée d’une décennie à l’autre, à la force d’une succession d’interprètes de qualité (Claire Duburcq, Christa Théret, Sandra Parfait, Agata Buzek, Nathalie Richard).

Manger sa mère fait partie de ces nombreuses obligations, dont Conann devra s’acquitter pour enfin briser la malédiction qui s’abat sur sa modeste vie de mortelle. Elle fréquente des demi-dieux, comme ce Rainer (Elina Löwensohn) qui traine toujours à des pattes, un appareil photo à la main. Ce personnage hybride entre l’homme et le chien devient à la fois le gardien des enfers et celui des secrets les plus sombres. Romantique du macabre, il sert de passerelle pour Conann qui va rapidement sombrer dans un cercle vicieux où elle embrasse son avenir et tue son passé dans le même plan.

Si tout cela est encore difficile à suivre, le geste initial du cinéaste dans les premières scènes nous avertissait du saut de l’ange qui se préparait. Bertrand Mandico capte ainsi le mouvement de manière à ce que la scène de théâtre, voire de l’opéra, trouve l’appétence et la fibre cinématographique, une denrée rare dans un paysage aussi atypique et franchement bien restitué. Il constitue alors une galerie de comédiennes qui n’est pas ici pour s’approprier une quelconque virilité, mais il s’agit plutôt d’investir un récit, où le genre ne serait plus le sujet et où le corps féminin ne serait plus un tabou. Le résultat fascine et ne manque pas de tourmenter le spectateur dans un festin barbare.

Tuer la jeunesse et trahir ses ambitions sont les enjeux de l’héroïne, qui apprendra à ses dépens que tout ce qui ne la tue pas la rend plus émotive. En puisant dans la mythologie celte, Mandico déroute sans relâche le spectateur, à travers un rapport à notre époque qui échelonne la morale d’un bon coup d’épée et parfois directement dans la trachée. Appuyé par une mise en scène d’une grande fluidité, nous découvrons en Conann un conte et une mise en garde contre la barbarie, dont on s’en souviendra encore un moment, pour le plaisir de nos pupilles et pour certains de leurs papilles.

Conan de Bertrand Mandico est présenté à la Quinzaine des Cinéastes au Festival de Cannes 2023

Avec Elina Löwensohn, Christa Théret, Julia Riedler…
Prochainement en salle / 1h 45min / Action, Fantastique
Distributeur : UFO Distribution

Responsable Cinéma