La sélection du Festival de Cannes 2019 continue à se frayer un chemin parmi les festivaliers. Aujourd’hui, retour sur Little Joe de Jessica Hausner, un film d’anticipation restreint par son incapacité à matérialiser l’envergure de ses multiples possibilités de récit. Malheureusement pour lui, Little Joe n’arrivera jamais à aller plus loin que son idée originelle.
Le High concept qui préfigure au tout début de l’oeuvre pouvait laisser croire à de nombreuses prouesses et pouvait laisser entendre une certaine réflexion sur notre manière de concevoir le bonheur et de réfléchir sur le visage de nos interactions sociales avec les autres. Le postulat de départ alimentait dès lors les hypothèses : une plante, en cours de création, rendrait les gens heureux si ces derniers, en contrepartie, s’occupent correctement d’elle. Alice, une mère de famille, qui est à l’origine du projet de cette plante, en donne une à son fils. Mais plus le temps passe, plus son fils change de comportement.
Cause à effet ? L’Homme a-t-il réellement besoin d’être heureux pour être humain ? Est-ce que le bonheur est l’émotion qui doit prédominer pour faire de nous des êtres à part entière ? Beaucoup de questions pour un film qui n’aura jamais l’audace de se lancer dans une proposition thématique, préférant cependant canaliser sa narration par le biais de son esthétisme froid et anesthésié. De fil en aiguilles, Little Joe semblera mineur, restera à quai, ne bougeant plus, trop engoncé dans ses certitudes « horrifiques » sur la possession et nous servira un attendu jeu autour de la paranoïa afin de savoir si oui ou non, cette plante opèrera des changements chez l’Homme ou pour reconnaître oui ou non ses effets nocifs sur la véracité de nos comportements et émotions. A ce petit jeu de l’étrangeté, il est indéniable que Jessica Hausner essaye de mettre tous les atouts de son côté pour faire naître ce sentiment d’aliénation : cette mise en scène quadrillée faite de travellings ou de zooms asphyxiants qui devrait attirer l’œil du membre du jury qu’est Yorgos Lanthimos, la fétichisation de la fleur au travers de son aspect presque mortifère et vivant, cette musique stridente qui en essoufflera plus d’un par sa répétitivité et son utilisation prévisible, cette photographie qui distille un panel de couleurs criardes, ou cette robotisation proche de l’absurde du phrasé des certains personnages (la jeune amie du fils). Le tout débouchant sur une ambiance parfois très anxiogène. Mais bizarrement, cette réussite technique n’aboutit sur rien : Little Joe s’avérera hésitant, subissant la portée monotone de son discours, son accumulation de scènes patinantes et son inaptitude à pouvoir agrandir l’ampleur des enjeux. Certaines séquences fonctionnent, comme celle où les deux enfants feront croire une « révélation » au personnage d’Alice ou comme celle qui voit Bella, une salariée prise pour folle par l’équipe de la société, enfermée avec les plantes.
L’imagerie donnée à ces fleurs, aussi divinatoires que sentencieuses, ferait presque penser à Rubber de Quentin Dupieux et sa dimension à décrire le mal par le burlesque de la situation : des fleurs qui voudraient posséder l’humain pour se décupler. C’est dingue. Jessica Hausner se voudrait aussi austère que du Haneke, aussi malin et machiavélique que du Lanthimos (La Mise à Mort du cerf Sacré), aussi agile avec le genre que Carpenter, mais s’avère être seulement à la tête d’un énième gadget frileux et rachitique comme peuvent l’être certains épisodes de Black Mirror.
Little Joe : Bande-annonce
Synopsis : Alice crée une nouvelle plante en faisant des croisements et la nomme « Little Joe », surnom qu’elle donne à son jeune fils. Mais soudain, toutes les personnes qui entrent en contact avec les plantations échangent leur corps…
Le film Little Joe, de Jessica Hausner est présenté en compétition au Festival de Cannes 2019.
Scénario : Jessica Hausner, Géraldine Bajard
Avec Emily Beecham, Ben Whishaw, Kit Connor…
Genres : Science fiction, Drame
Date de sortie : Prochainement
Durée : 1h 40min
Distributeur : Bac Films
Nationalités autrichien, allemand, britannique