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Festival Clermont-Ferrand 2016: Interview de Sélim Azzazi

Entretien avec Sélim Azzazi, réalisateur de Ennemis intérieurs

Synopsis: Dans les années 90, le terrorisme algérien s’invite en France. Deux hommes. Deux mémoires. Deux identités. Un affrontement.

– Bonjour Sélim Azzazi, pouvez-vous nous révéler votre parcours cinématographique? Avez-vous déjà une expérience du format court?

festival-clermont-2016-selim-azzaziNon, c’est mon premier court-métrage. J’ai 40 ans, je suis de banlieue lyonnaise. Je suis monteur son de cinéma. Ça fait 15 ans que je travaille dans la production cinématographique en post-production (…) Je suis venu au cinéma un peu accidentellement. Je m’intéressais plus au son. En gros, je faisais de la radio et de la musique. J’ai fait une école de cinéma qui est aussi une école d’ingénieur du son, qui s’appelle « l’École Louis Lumière » en région parisienne. J’y suis allé pour faire de la musique et je suis ressorti pour faire du cinéma.

Parallèlement, j’ai toujours beaucoup aimé le théâtre (…) Par ailleurs, je me suis professionnalisé dans l’apprentissage du métier d’acteur et de la direction d’acteurs, et les deux se sont rejoints sur le court métrage.

– Rentrons dans le vif du sujet. Qualifieriez-vous votre œuvre de « politique »? Si oui, pourquoi?

Oui certainement (…) Pour moi, tout est politique. Vous posez une caméra, vous choisissez quelqu’un en fonction de son âge, son aspect, la manière dont vous le représentez. C’est un choix qui a une couleur politique de toute façon. Dès que l’on fait le choix de représenter quelqu’un de telle ou telle manière, il y là quelque chose qui touche pour moi à la politique. Après, mon court métrage est plus associé à une thématique qui est l’identité, l’histoire de France, la décolonisation, la naturalisation avec en toile de fonds le terrorisme. Donc forcément, ça touche à l’actualité, ça touche à la politique.

– Vous avez réalisé et scénarisé ce film qui aborde en toile de fonds la question du terrorisme algérien arrivant en France dans les années 1990. Votre scénario met en scène deux personnages, l’un subissant un interrogatoire serré alors qu’il cherche à être naturalisé (interprété par Hassam Ghancy), l’autre représentant une administration intransigeante dans ses interrogations (interprété par Najib Oudghiri), deux hommes, deux parcours différents, deux caractères opposés, dans un quasi huit-clos et une tension permanente. Avez-vous beaucoup travaillé le scénario et la force des dialogues pour rendre votre film aussi percutant?

Le scénario s’est écrit en pointillés, et ça a pris beaucoup de temps. Je suis venu à cette histoire à travers un travail que j’avais fait au théâtre sur les interrogatoires de la commission des affaires antiaméricaines aux États-Unis dans les années 50, sur la « chasse au sorcières », le maccarthysme (…) La problématique m’a fasciné parce que le destin des personnages se jouait sur une question: « êtes-vous ou avez-vous déjà été membres du parti communiste? ». L’idée du format et du sujet, je l’ai trouvé là. J’ai même écrit un scénario rapidement, qui plaisait à des producteurs avec lesquels je suis associé, mais qui posait la question de la légitimité à financer un court-métrage sur une histoire qui n’est pas la nôtre, qui ne se situe pas en France, mais aux États-Unis qui produisent déjà beaucoup de films. La question s’est posé de le transformer ici. Mon père était algérien, j’ai très vite compris que ce qui m’intéressait dans cette histoire de suspicion, et d’appartenance ou pas à la nation, c’était la notion d’ennemis intérieurs, développée au cours de la Guerre d’Algérie, pas que d’ailleurs. Le sujet qui se cachait derrière mon intérêt pour le maccarthysme, (…) c’était l‘interrogatoire lié à l’enquête de naturalisation. En l’occurrence là, c’est pas une demande de naturalisation, c’est une demande de réintégration, puisque mon sujet traite de gens qui ont déjà été français, qui étaient des citoyens entre guillemets, des « sous citoyens », c’est pas vraiment le mot, mais des citoyens au statut particulier, et qui sont devenus algériens suite à l’Indépendance.

(…) Pour le scénario, on a eu l’aide de la région Rhône-Alpes. Après, on a bénéficié de l’appui du CNC, avec une aide à la réécriture, Le processus a duré deux ans environ (…) La source liés aux attentats, elle existe, c’était dans les années 90 Khaled Kelkal, un terrorisme lié  la guerre civile algérienne et qui avait eu comme acteur ce jeune homme qui est mort au cours de sa traque, et qui est impliqué dans plusieurs affaires de terrorisme en France dans les années 90 (…) S’est rajoutée bien sûr l’affaire Merah,

Le gros du travail c’est ça avec tous les écueils que ça comporte (…) C’est vraiment mon premier scénario abouti. Je ne savais pas écrire, je connaissais l’écriture cinématographique, le jeu d’acteurs. J’ai bataillé pour apprendre. J’ai fait la même erreur que font 9 scénaristes sur 10, c’est de commencer par les dialogues (…) Comme je suis un peu obsessionnel, j’ai continué à muscler le scénario jusqu’au bout, et même avant le tournage, pendant les répétitions que je filmais, je ramenais à mes comédiens tous les deux jours des nouveaux textes (…) J’ai impliqué mes comédiens, en particulier Hassam Ghancy, dans cette écriture, cette bataille, pour confronter nos idées. Et puis au montage, vous allez aux nerfs, vous gardez la substantifique moelle.

– Votre réalisation est aboutie. Les plans serrés sur les visages, les lumières tamisées, ou encore les flous artistiques lorsque vous filmez les réunions de votre personnage principal avec ses amis. Tout cela donne un aspect très réaliste. Vous êtes-vous inspirés de votre vécu personnel?

La partie interrogatoire, plutôt non. C’est un interrogatoire fantasmé. c’est un point de départ qui existe, qui est le chantage à la naturalisation qui se pratique par les services de police (…): « Est-ce que vous êtes disposés à nous parler  de personnes que vous connaîtriez? (…) Moi ce que j’ai fantasmé à travers ce scénario, c’est cette histoire de deux personnes d’origine maghrébine qui vont se frotter sur cette notion de justice.

Par contre effectivement, pour tout ce qui touche au passé du requérant, je me suis nourri de la mythologie familiale. Mon père était algérien, c’est un immigré qui est venu en France enfant, qui lui-même a été nourri de l’immigration de son père, qui est venu travailler. Tout ça c’est une espèce de bain familial avec ses points d’interrogation, ses flous. Oui, ça nourrit des images mentales, notamment le rapport au père. On voit le père blessé à l’hôpital marchant avec son fils, tout ça c’est assez personnel. Et puis les réunions pareil. Je ne suis pas croyant, je suis de famille maghrébine culture musulmane, mais par contre j’ai la connaissance de ces réunions, le souvenir d’enfant aussi, parce que c’est aussi un peu un regard d’enfant que je porte sur ces hommes, et c’est vrai que je suis allé chercher dans ma mémoire d’enfant pour donner un peu de dignité à ces visages proches. J’ai fait appel comme je tournais à Lyon à des gens que je connaissais, il y a des gens de ma famille dans ces réunions. Donc il y a un côté autobiographique, oui.

– L’image, la photographie, sont impeccables pour un premier film. Pour la réalisation, vous êtes-vous fait aider?

(…) Vous vous faîtes évidemment aider, dans le sens où vous avez une idée de ce que vous voulez faire, vous cherchez des images. En fait, avec chaque collaborateur, vous avez une relation de création. En plus, je suis moi-même collaborateur de réalisateurs, en tant que monteur son. Donc je sais bien ce qu’on attend de vous. Après en court métrage, il y a beaucoup moins de moyens. Les gens sont moins investis forcément (…) Mais le processus est le suivant: vous faîtes votre travail de recherche, pour les photos, pour l’image, et puis vous la communiquez  à votre chef opérateur, Frédéric Serve, qui est également associé de production et coproducteur du film. Il a la connaissance technique (…) Pour l’image, c’est plus aisé parce que c’est concret. J’ai vu des milliers de photos (…) Vous avez votre histoire un peu en tête. Même si vous ne savez dire pourquoi, vous savez que cette photo vous intéresse plus que les autres. Puis, vous faîtes un patchwork et après vous distribuez à la chef déco, Françoise Arnaud, au chef opérateur, à la costumière. On en parle on essaie. c’est éminemment un travail collaboratif, d’équipe. Chacun, sous la direction de votre regard, fait avancer le film. On a tourné cinq jours, trois jours les interrogatoires, deux jours les autres plans. les extérieurs, les réunions, la prison, qui est une maquette (…)

 –  Le père de votre personnage principal faisait partie du FLN, ce dernier n’y est pour rien. Le fonctionnaire de police est dans sa logique purement administrative. Est-ce cette contradiction, cette opposition que vous avez voulu filmer lors de l’interrogatoire?

Ce qui m’intéressait, c’est le fossé qu’il y a entre la réalité de ce que les gens ont vécu pendant ce qu’on l’on appelle la Guerre d’Algérie, et la mythologie qu’il en reste aujourd’hui. La récupération politique du FLN aussi, qui veut faire de tous les algériens des combattants éminents  de la liberté. Il y a beaucoup plus d’algériens qui ne savaient pas, qui étaient entre les deux, Il y en a beaucoup qui n’étaient pas nécessairement pour la France, mais qui n’étaient pas forcément non plus pour l’Indépendance. La situation était beaucoup plus complexe, que ce que le mythe qu’on se raconte aujourd’hui, c’est-à-dire tous résistants ou tous collabos (…) C’est cette zone d’ombre que je voulais explorer. En fait le type qui demande la naturalisation, là ou ça lui fait mal, ce sont toutes ces questions auxquelles il n’a pas voulu réfléchir. Il se sent français. Tout ce qu’il sait, c’est que oui il y a des contradictions, oui c’est douloureux, oui je ne sais pas pourquoi mon père faisait cela. Il est comme tout le monde : il ne connaît ses parents que par un angle de vision. Donc oui, le flic appuie là-dessus lourdement. Lui est dans sa logique administrative.

– Votre sujet traite de l’identité. L’actualité récente sur le débat de la déchéance de nationalité notamment, ancre profondément votre oeuvre dans l’actualité et lui donne une portée universelle, hors contexte. Y avez-vous pensé par la suite?

Oui pour moi, le fonds du sujet c’est l’identité et la manière dont on vous demande de la définir dans un cadre précis de demande de naturalisation. Et ce sur quoi ça fait mal. Le terrorisme, c’est une toile de fonds. (…) Cela rappelle ce que l’on appelait le terrorisme pendant d’autres époques, notamment la Guerre d’Algérie. Je voulais inviter les spectateurs à être dans la peau de quelqu’un qui va malgré lui à cause de son origine, son parcours, être sommé de devoir se positionner sur cette question, en l’occurrence en dénonçant des gens, à cause d’un conflit dans lequel il est impliqué malgré lui. C’est vrai que ça m’intéresse toujours, notamment dans de futures fictions. On revit d’une certaine manière des débats, et nos parlementaires en sont je pense très conscients, qui étaient en question dans les années 60. Même la guerre police-justice, c’est exactement les mêmes interrogation en Algérie département français, quand vous avez les militaires qui débarquent. Pour eux ce qui compte c’est l’efficacité et la justice pose des freins à leur action. Si on ne va pas vite, si on perd trois jours parce qu’il faut faire telle démarche alors qu’on a un suspect, on ne va peut-être pas empêcher un attentat qui se prépare. Et donc c’est cette frontière là qui m’intéresse, ces deux logiques, de protéger et de défendre, et du coup jusqu’où on va dans ce but.

– Vous avez indéniablement ici la matière pour faire un long. Y songez-vous? D’autres projets en route? 

Oui, j’ai plusieurs projets. Certains ont à voir un peu avec cette thématique mais dans une manière de raconter un peu différente. Et puis d’autres n’ont rien à voir (…) Je voulais faire une proposition qui nous amène à réfléchir au delà des clichés, à toutes les nuances qu’il y a, et les fausses mythologies. Quand je vois certains débats, c’est un peu déprimant, ces jeunes issus de l’immigration s’invectiver, traiter tout le monde de harkis, alors qu’ils connaissent plutôt mal cette histoire. L’histoire de la Guerre d’Algérie et de la décolonisation est beaucoup plus complexe que ce qu’on en raconte, et c’est très douloureux pour tout le monde (…) J’aimerais bien continuer à creuser cette question.  (…) Par ailleurs, j’aime la fiction, je continuerai sur d’autres sujets.

Merci Sélim Azzazi.

 Ennemis Intérieurs : Trailer

Ennemis Intérieurs: Fiche technique

Réalisateur: Sélim Azzazi
Scénariste: Sélim Azzazi
Directeur photographie: Frédéric Serve
Ingénieur du son: Vincent Cosson, Pascal Jacquet
Musique: Sélim Azzazi
Montage: Anita Roth
Interprète: Najib Oudghiri, Stéphane Perrichon, Hassam Ghancy
Décors: Françoise Arnaud
Mixage Son: Vincent Cosson