Cafe Society, la review cannoise
Woody Allen ouvre la 69ème édition du festival cannois avec Cafe Society, un film jazzy, passionné, émouvant, beau, très drôle et très piquant envers le cinéma, notamment le festival.
Synopsis : L’histoire d’un jeune homme, juif new-yorkais, Bob, qui étouffe auprès de ses parents, petits bijoutiers, et qui se rend à Hollywood dans les années 1930 avec l’espoir de travailler dans l’industrie du cinéma. Il compte sur l’appui de son oncle, prestigieux agent de stars et tombe amoureux de la secrétaire de celui-ci, Vonnie, sans savoir qu’elle et son oncle sont amants. Il se trouve plongé dans la vie effervescente et superficielle d’Hollywood qui le lasse assez vite. Arrivera-t-il à conquérir la fille ? Restera-t-il en Californie ? Qu’adviendra-t-il de son frère gangster ?
Une voix-off nous parle d’individus, suivis par la caméra. Tous font partie d’une même famille juive de New-York, les Dorfman. Le plus jeune, Bobby (incarné par Jesse Eisenberg) veut avancer dans la vie. Pour ce faire, le protagoniste décide de se rendre en Californie, notamment à Hollywood, chez son oncle Phil (interprété par un Steve Carell brillant), un agent de stars qui enchaîne les succès, grâce à qui il pense trouver du boulot. Alors qu’il voit enfin son oncle pour un entretien d’embauche, il a le coup de foudre pour sa secrétaire Vonnie. Cependant, celle-ci est en couple avec un homme que Bobby connaît bien : son oncle. S’en suit un trio amoureux doux-amer, drôle et précis grâce à ses dialogues écrits avec une minutie et un sens de l’écriture dont seuls Woody Allen est capable. Si Cafe Society a des airs de « beaujolais nouveau » (il utilise les métaphores des vins pour parler de ses films dans son entretien avec Jean-Michel Frodon, Conversation avec Woody Allen, Plon, 21 décembre 1999), c’est-à-dire un jeune cru agréable et fruité, classique, mais pouvant être plus ou moins bon selon l’année, son nouveau film n’est pas juste un très bon beaujolais. Non, c’est un grand cru Allen-ien.
Oui, nous pouvons penser le film comme un best-of de Woody Allen : une famille juive, la passion de New-York, la présence du cinéma dans la diégèse, les répliques géniales des personnages, leur écriture, la présence importante de la musique Jazz, des relations amoureuses complexes, des amitiés (et alliances) se formant malgré divers événements, une intrigue policière ou des voyous / gangsters, la critique des médias (ou d’un médium), de l’humain, de la vanité, de la bêtise, entre autres. Qu’apporte alors Cafe Society ? Woody Allen travaille depuis plusieurs décennies hors du système des studios, et ici le critique, avec subtilité et humour. Quoi de plus amusant que d’entendre au début du festival de Cannes, dans une de ses salles obscures, des personnages dire ceci : « Oh tu es avec une de ces grandes stars hollywoodiennes ? » – « Non, pour qui me prends-tu, je ne suis pas superficiel ! ». Allen ne cessera d’exposer et de dénoncer la superficialité, la vacuité, l’artificialité de ce mensonge d’or nommé Hollywood.
Plus tôt en cette année 2016, précisément en février, Ave César ! des frères Coen sortait sur nos écrans français. Le film visait à nous redonner foi en le cinéma, en réaffirmant sa puissance magique, la force de ses images évocatrices avec ses couleurs, ses genres, ses corps, ses formes, ses discours. Le héros tentait de maintenir ses fantasmes, gloires et glamours, s’arrangeant malgré des vérités justement peu glorieuses. Tel un moine-guerrier d’une religion instable, le protagoniste incarné par Josh Brolin servait l’équilibre et l’unité de la grande institution Hollywood, qui n’a pas perdu toute sa foi. Cafe Society ne mâche aucun mot. Si Allen est probablement fasciné par les figures du cinéma hollywoodien, avec notamment cet agent de stars au rythme de vie délirant : il peut présenter une personne, lui dire un mot puis passer à un autre sujet pour ensuite présenter quelqu’un d’autre. Aussi il est très peu présent, souvent en mouvement, remportant ainsi de gros contrats. Fasciné n’est peut-être pas le mot juste, « amusé » l’est bien plus. Cet amusement virera souvent à la critique ironique et cynique d’Hollywood et ses sbires.
Si le bruit, les brillants et les conversations veinales de richards / stars ne font pas partie des hobbies de Woody Allen, on peut se demander pourquoi il est venu à Cannes. Pour vendre son film bien sûr. Se réaffirmant comme un juif bourgeois et cultivé – notamment au jazz – de Greenwich Village, Allen confirme et même réaffirme son identité, et pousse ainsi un petit cri d’aigreur et d’exaspération en pleine ouverture de Cannes : « Je veux retourner à New-York, chez moi, loin d’ici, loin de ces conneries. »
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Café Society
Un film de Woody Allen
Avec Jesse Eisenberg, Kristen Stewart, Steve Carell…
Distributeur: Mars Films
Durée : 96 minutes
Genre : Comédie dramatique
Date de sortie: 11 mai 2016
Etats-Unis – 2016