L’hôpital souffre, ses soignants sont à bout de souffle. C’est ce plaidoyer qui est à l’origine de la saison 2 d’Hippocrate, la série de Thomas Lilti. Si la réalité a rejoint la fiction, la dépassant de manière inattendue avec la crise sanitaire, la série dégage une force née d’un rythme ultra maitrisé et d’un équilibre entre une écriture à la fois documentaire et fictionnelle qui offre la part belle à ceux qui soignent sans le pouvoir toujours convenablement.
A bout de souffle
La saison 2 commence sur un constat sévère mais juste : les urgences prennent l’eau. Si c’est au sens propre que les urgences d’Hippocrate se noient, le spectateur va vite découvrir qu’au sens figuré, c’est encore plus vrai. On entre les pieds dans l’eau avec Igor (la belle surprise de cette saison, l’acteur Théo Navarro-Mussy que l’on voit pour la première fois à l’écran). L’interne des urgences, très impliqué, est un nouveau personnage bientôt rejoint par Olivier Brun, chef de service. Bien sûr, quand les urgences sont inondées, elles rejoignent les locaux de la médecin interne. Il n’en fallait pas moins pour mettre sur le pont nos trois internes préférés : Alyson, Hugo et Chloé. Encore marqués des stigmates de la saison précédente, ils se jettent pourtant sans réfléchir dans cette nouvelle tâche titanesque. Les deux premiers épisodes ne leur laissent pas le temps de s’apitoyer sur leur sort, puisqu’on est dans le vif de l’action. Les urgences sont un marathon, dixit Olivier Brun (l’immense Bouli Lanners, sorte de nounours punk de la saison), et nos héros démarrent fort. Il est encore question de souffle, puisque ce sont par des intoxiqués au monoxyde de carbone que tout débute. Alyson fonce, fait des promesses intenables, s’implique, Hugo est de nouveau confronté au manque de confiance de sa mère. Quant à Chloé, la force vive de la saison 1, elle se bagarre avec sa « main morte » et ses angoisses.
Comment en est-on arrivé là ?
Chloé est la première à flancher, à montrer des signes de faiblesses. A ne pas parvenir à diagnostiquer, se lancer, décider, avoir les bons réflexes. Autour d’elle pourtant des vies attendent d’être sauvées. La responsabilité est immense et Thomas Lilti nous le démontre avec une scène de réanimation dans une salle de bain digne des meilleurs films d’action. On retient son souffle, encore lui, tout le temps que dure ce moment suspendu et plein de tension. Après ces deux premiers épisodes, Thomas Lilti fait semblant de faire retomber la pression, il prépare le drame à venir. Arben (le toujours aussi puissant Karim Leklou) reprend du service, on s’inquiète que son secret devienne un obstacle à sa pratique si fine de la médecine. Alyson s’épanouit de plus en plus, quant Chloé semble se ressaisir (ou presque!), et qu’Hugo se questionne sans relâche. Igor sera finalement le symbole d’une souffrance sourde, qui ne peut pas se dire, qui ne peut que s’écrire, même trop tard. La force de la série est de nous faire toujours refaire le film à l’envers en se demandant : comment en est-on arrivé là ? Et de se rendre compte que l’attention à l’autre, les moyens simplement auraient pu faire la différence. On ne soigne pas bien en étant soi-même au bord du gouffre.
Quand les soignants ne dorment plus
Moins drôle qu’en première saison, ou que dans le film Hippocrate dont la série est une extension, cette saison est un véritable plaidoyer pour un hôpital qui en ne prenant pas soin de ses soignants, court à la catastrophe. Et tout ça, c’est avant la crise sanitaire, la surcharge supplémentaire et une société pendue aux lèvres des soignants qui jaugent si oui ou non, nous allons pouvoir continuer à vivre. Car c’est ça que montre fortement Hippocrate : quand l’hôpital fait face à l’urgence, on y trie les patients ou plutôt on score parce qu’on ne peut se résoudre à choisir soi-même qui aura le plus de chance de survie. Cela est déjà dur quand tout va bien alors si tout flanche et qu’on n’a plus le choix que de choisir sans raisonnement, la terre tremble et tout se renverse.
Ce « tri » des patients se lit notamment dans la manière dont est abordée la psychiatrie dans la série. Avec la fameuse « boîte à fous » ou les patients qui continuent de souffrir parce que leurs troubles psy sont secondaires dans un monde d’urgence permanente. Les patients représentés cette saison ont cette force-là qu’ils souffrent au-delà de leurs troubles physiques. Le réalisateur s’intéressent à tous les maux: des soignants comme des malades, ceux de la société surtout. Lilti sait tout de même ménager ses spectateurs, notamment par le jeu de ces citations plus légères qui ouvrent tous les épisodes et que l’on se plait à entendre, à scruter au cours des minutes qui s’égrènent. Mais aussi avec des personnages plus inattendus comme ce lapin géant des Flandres qui promène ses grands yeux sur ce monde en perdition. Ou encore une ritournelle qui de sonnerie de portable passe à la scène de détente au son de Femme like you de K. Maro.
Fiction toujours
Preuve que si Lilti intellectualise l’hôpital et la série française en n’ayant pas peur des sigles, des vrais moments de médecine (ce n’est pas Alyson qui dira le contraire!), il est aussi un auteur populaire, qui sait parler de la société qui l’entoure sans en oublier la fiction. La fiction, c’est cette voiture qui tourne dans un parking avec à son bord Hugo et Igor. C’est Chloé et Arben qui d’un regard se donnent la force de continuer, la conviction que c’est possible. C’est encore la main d’Alyson dans celle de Lazare une fois le lapin remis en cage. C’est enfin Brun qui sermonne ses équipes aussi bien qu’il les rassemble. Ce sont quelques mots sur un mur au milieu des tags sexuels. C’est un bouleversement permanent et une finesse d’écriture jamais égalés dans le monde de la série médicale, dans le monde de la série tout court peut être.
Hippocrate Saison 2 : Bande annonce
Hippocrate saison 2 : Fiche technique
Synopsis : C’est l’hiver. Une vague de froid s’est abattue sur la France, les hôpitaux sont submergés. Une canalisation a sauté, inondant les urgences de l’hôpital Poincaré. Les soignants et les malades doivent se replier en médecine interne. Alyson et Hugo poursuivent leur stage dans le service. Chloé fait tout pour revenir pratiquer malgré une santé fragile. Aucun des trois n’a de nouvelles d’Arben, disparu sans laisser un mot. Ils vont devoir affronter un hôpital en crise, sous l’autorité du docteur Olivier Brun, le nouveau chef du service des urgences.
Réalisation : Thomas Lilti
Scénario : Thomas Lilti, Anaïs Carpita, Claude Le Pape
Interprètes : Louise Bourgoin, Zacharie Chasseriaud, Alice Belaïdi, Karim Leklou, Bouli Lanners, Théo Navarro-Mussy, Anne Consigny, Geraldine Nakache, Bellamine Abdelmalek…
Production : Scope Pictures, 31 juin Films, Les Films de Benjamin, Canal +
Date de diffusion : à partir du 5 avril 2021 sur Canal +
France -2020