Une superproduction qui fait jeu égal avec ses homologues américains. Mais nous dresse surtout une vision des évènements de la France gaullienne.
En 1966, sort la réponse française au Jour le plus long, l’un des films de guerre les plus importants et ambitieux relatant la libération de Paris en 1944. Mais aussi une vision des évènements de l’époque tendant à la réécriture de l’Histoire.
Une fresque aussi ambitieuse que démesurée
Suite au succès du Jour le plus long, Daryl F. Zanuck veut poursuivre son épopée guerrière cinématographique en s’attaquant à la libération de Paris en août 1944, basé sur les mémoires de l’ex général Von Choltitz. Mais le projet n’aboutit pas et Paul Graetz, de la Paramount, récupère le projet auprès de la 20th Century Fox. C’est lui qui propose le projet à René Clément en adaptant le libre best-seller homonyme de Larry Collins et Dominique Lapierre. Clément a déjà travaillé avec Graetz sur Monsieur Ripois, et a également réalisé un autre classique du film de guerre français, La Bataille du rail, ode à la résistance intérieure et au sabotage des voies ferrés, ce qui lui assure une certaine légitimité. Pas moins de cinq scénaristes venant des deux côtés de l’Atlantique sont engagés dont le célèbre dialoguiste français Jean Aurenche, collaborateur notamment de Jean Delannoy et Claude Autant-Lara, l’écrivain américain Gore Vidal et le jeune Francis Ford Coppola, qui n’avait pas encore réalisé Le Parrain. La présence d’auteurs américains est censée assurer une certaine objectivité quant aux évènements historiques, le film étant une coproduction franco-américaine.
Le tournage se déroule une vingtaine d’années après les évènements, bénéficiant des lieux de l’action conservés en l’état, de conseils de différents protagonistes et de l’implication des différentes instances politiques du moment directement issues de la résistance : le pouvoir gaulliste et le parti communiste français (qui délègue Henri Rol-Tanguy) . L’implication de ces instances n’est pas sans poser un certain nombre de questions quant à l’orientation politique du film, comme nous le verrons par la suite.
À l’instar du Jour le plus long, le film peut compter sur un gigantesque casting américain, français et allemand. Au cours du tournage, Belmondo qui devait initialement interpréter Rol-Tanguy, se voit remplacer sur demande de ce dernier par Bruno Cremer, et récupère le personnage d’Yvon Morandat. Il faut d’ailleurs noter que Kirk Douglas n’accepte de participer au casting qu’après avoir obtenu la garanti que Belmondo y soit. Soulignons aussi que certains acteurs ont réellement participé à la Libération de Paris comme Claude Dauphin, et que Claude Rich, alors adolescent, porta secours à un officier blessé de la Division Leclerc. L’acteur interprète deux personnages différents, le lieutenant de La Fouchardière (sans moustache) et le fameux général Philippe Leclerc (avec moustache), décision prise en cours de tournage par Clément après avoir constaté son étonnante ressemblance physique. Pas moins de cent quatre-vingt lieux de tournages et six millions de dollars de l’époque sont nécessaires pour le tournage, moyens colossaux pour cette superproduction. Le film est tourné en noir et blanc pour éviter de montrer à l’écran des drapeaux nazis en couleurs réelles. Preuve supplémentaire, s’il en était besoin, de la vivacité du souvenir sensible de l’occupation. Maurice Jarre compose le thème musical qui allait, par la suite, devenir une chanson à succès grâce aux paroles de Maurice Vidalin et l’interprétation de Mireille Mathieu. Chaque acteur s’exprimant dans sa langue natale, deux version du film sont tournées, une française et une américaine, les deux étant sensiblement raccourcies après leur première diffusion (la première version française atteignait les 175 minutes). Sorti le 26 octobre 1966, le film est un immense succès en salle avec plus de quatre millions de spectateurs, n’étant battu que par La Grande vadrouille de Gérard Oury. Il est également nominé pour deux Oscars (photographie et décor) et un Golden Globe (musique). Il devient rapidement une référence comme film de guerre français (malgré la participation américaine) et un classique.
Un film historique qui conforte le présent
Tout comme Le jour le plus long, Paris brûle-t-il ? est réalisé peu de temps après les évènements qu’il traite et voit bon nombre des protagonistes des dits évènements encore vivants et actifs. C’est bien cela qui fait l’intérêt du film tout en marquant ses limites. Lors de sa sortie, la France vit l’apogée du pouvoir politique gaulliste, Charles de Gaulle venant d’être réélu comme Président de la République. L’influence du parti communiste est également très forte. De fait, les personnalités politiques actives à l’époque de la sortie du film sont nettement privilégiées à l’écran à l’instar de Jacques Chaban-Delmas (interprété par Alain Delon) ou Edgard Pisani, alors ministre de l’agriculture du gouvernement Pompidou (interprété par Michel Piccoli), bien qu’ils n’aient joué qu’un rôle modeste dans les évènements. À l’inverse, des personnalités éminentes de la France libre et de la résistance sont minorées ou évacuées, notamment Georges Bidault (sauf dans des documents d’archive au début), du fait de sa disgrâce depuis son soutien à l’OAS. De telles dispositions soulignent l’influence du contexte politique du film, voire son aspect propagandiste. À ce propos, Jean-Luc Godard n’hésitera pas à parler de film stalinien, en référence aux méthodes d’élimination soviétiques des personnalités dans les documents audiovisuels. Rappelons aussi que le film sort moins de six mois avant les élections législatives de 1967, ce qui fait dire à certains journaux qu’il sert de tremplin électoral aux gaullistes.
Mais la distorsion la plus importante avec la réalité historique demeure sans doute la perception du personnage du général Dietrich Von Choltitz. Il est clairement représenté comme étant hostile aux ordres d’Hitler de détruire Paris, tentant tout pour retarder et résister à cet ordre, et négociant volontairement avec les alliés. Une telle vision correspond à l’image que l’on avait alors de l’officier allemand et qui a perduré longtemps, mais elle a été largement démentie par des recherches récentes d’historiens, appuyées sur l’ouverture de nouvelles archives. Celles-ci ont montré un Von Choltitz beaucoup plus fidèle à Hitler que l’on imaginait et prompt à obéir à ce dernier. Par ailleurs, s’il n’a pas procédé à la destruction de Paris, ce serait d’avantage par manque de moyens et de temps que par réelle volonté de l’éviter, et ne serait rendu aux alliés que contraint par les circonstances. Paris brûle-t-il ? est intéressant à ce niveau car on peut constater qu’il illustre une certaine vision du conflit et de la Libération de Paris telle que perçue dans les années 1960. C’est ainsi que l’on peut voir un Von Choltitz hostile aux ordres d’Hitler, un peuple parisien unanimement soulevé contre les allemands, une résistance uniquement composée de gaullistes et de communistes. Une vision largement contredite ou nuancée par les recherches historiques récentes. Ainsi, Paris brûle-t-il ? peut se voir comme une sorte de reportage fictionnel sur sa propre époque représentant sa conception de la Seconde Guerre mondiale.
Un tel constat, qui peut laisser dubitatif quant à l’éthique, n’oblitère nullement les qualités du film, l’ampleur des moyens consacrés, le soin apporté à la reconstitution historique, l’énergie déployée dans les scènes de bataille. Paris brûle-t-il ? démontre l’ambition et l’esprit de volonté qui animaient alors le cinéma français et a bien mérité son statut de classique à grand spectacle. Cependant, il doit être vu avec recul et esprit critique. En fait, à l’instar de nombre de films de guerre, il en apprend beaucoup plus sur l’époque de sa conception que sur celle qu’il décrit et notamment comme sont perçus la résistance et la libération de la France dans les années soixante. Cette vision partiale, voire politique, des évènements, fut déjà reprochée par certains lors de la sortie nationale, et peut être encore d’avantage critiquée aujourd’hui par les historiens au vu de l’avancée des recherches et des ouvertures d’archives sur l’époque concernée. Elle n’en demeure pas moins intéressante précisément par sa partialité, et contribue à démontrer que tout film historique est une relecture a posteriori basée sur la mentalité de sa propre époque.
Fiche Technique : Paris brûle-t-il ?
Titre anglais : Is Paris Burning?
Réalisation : René Clément
Scénario : Gore Vidal, Francis Ford Coppola, Jean Aurenche, Pierre Bost et Claude Brulé, d’après le livre Paris brûle-t-il ? de Dominique Lapierre et Larry Collins
Avec Jean-Paul Belmondo, Charles Boyer, Leslie Caron…
Dialogues additionnels : Marcel Moussy (scènes françaises) et Beate von Molo (scènes allemandes)
Musique : Maurice Jarre (la chanson Paris en colère est interprétée par Mireille Mathieu)
Photographie : Marcel Grignon
Assistant réalisateur : Yves Boisset, Michel Wyn
Directeur de production : Louis Daquin
Producteur : Paul Graetz
26 octobre 1966 en salle / 2h 50min / Historique, Guerre
Synopsis : En août 1944, les armées américaines et françaises ne sont plus qu’à une centaine de kilomètres de Paris. Le général Dietrich Von Choltitz, convoqué au quartier général de Hitler, s’entend confier le commandement de la ville de Paris, avec mission, en cas de victoire alliée, de détruire la capitale sous un déluge de feu. Cependant, dans les caves parisiennes, la Résistance ne reste pas inactive. Le colonel Rol-Tanguy, chef des FFI, s’entend avec Jacques Chaban-Delmas, l’envoyé spécial du général de Gaulle, pour planifier l’insurrection de la population. Un massacre d’étudiants dans le Bois de Boulogne, perpétré par les nazis sur dénonciation d’un traître, pousse les combattants de l’ombre à déclencher plus tôt que prévu le début des hostilités. Des affiches appelant au soulèvement armé fleurissent sur les murs de la capitale. Un groupe de braves s’empare de la préfecture de police et s’y barricade…