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L’Homme à la croix : dernier volet d’une trilogie de régime

Roberto Rossellini, figure emblématique du cinéma de régime puis néoréaliste italien, termine son triptyque de films fascistes (réalisé entre 1941 et 1943) avec L’Homme à la croix (L’uomo dalla croce) : une œuvre de guerre conçue avec un grand respect des codes du cinéma de propagande.

Un film de guerre propagandiste 

Dans les années 30 naît un mouvement artistique controversé qui a marqué la première moitié du XXe siècle en Europe et tout particulièrement en Italie. À l’instar du cinéma du Troisième Reich, le cinéma de régime – aussi connu sous le nom de cinéma de propagande fasciste – fût utilisé par l’État italien afin d’instrumentaliser la population. Il sert dès lors à imposer, par le biais d’un soft power cinématographique, des idéaux fascistes. L’art étant une matière très réglementée à l’époque, le cinéma n’a pas échappé à un contrôle sévère et récurrent. Mussolini décrète alors que le cinéma est ‘l’arme la plus forte’. Il décide en conséquence de censurer les œuvres qui ne répondent pas aux codes propagandistes imposés par son régime. C’est dans ce contexte que vient s’inscrire L’Homme à la croix, dernier volet de la ‘trilogie fasciste’ réalisée par Roberto Rossellini.

Tourné en noir et blanc, le film raconte l’histoire d’un aumônier de guerre italien qui, après avoir échappé à l’armée soviétique, porte secours à des hommes, des femmes et des enfants russes cachés dans une ferme située au centre des lignes italiennes et soviétiques. Dans sa réalisation, Rossellini adopte une approche manichéenne avec d’une part l’ennemi, dangereux et véhicule d’une idéologie immorale et funeste. Puis, d’autre part, les Italiens, représentés comme des héros de guerre.

La scène finale  : le dramatisme au service du message 

La construction de L’Homme à la croix est extrêmement simple et s’organise autour d’une morale délivrée lors de la scène de fin. Par le biais de dialogues courts et de nombreux gros plans sur le personnage de l’aumônier, toute la mise en scène est au service d’une sacralisation de l’homme d’église et par conséquent de l’institution, cruciale pour l’Italie fasciste. L’axe minimaliste choisi par Rossellini (majorité des scènes dans un lieu unique : la grange, peu de matérialisme dans les décors, un personnage principal) semble laisser plus de place à l’aumônier, présenté comme un Christ, un homme pieux qui guérit et vient en aide à la veuve et l’orphelin.

C’est cependant le dramatisme de la scène de fin qui va venir clarifier le message général du film. Après avoir effectué un plan d’insert sur le corps de l’aumônier gisant au sol (et sur la croix rouge de son uniforme), le réalisateur affiche un message clair doublé d’une musique dramatique au ton orchestral.

Ce film est dédié à la mémoire des aumôniers militaires qui sont tombés lors de la croisade contre les « impies » – pour défendre la patrie et apporter la lumière de la vérité et de la justice également sur la terre de l’ennemi barbare.

(Questo film è dedicato alla memoria dei cappellani militaria caduti nella crociata contro i ‘senza dio’ – In difesa della patria e per recare la luce della verita e della giustizia anche nella terra del barbaro nemico.)

Cette scène de fin semble donner une vocation documentaire à une œuvre de fiction. Dès lors, le film devient sans équivoque un hommage doublé d’une critique exacerbée de l’ennemi, à savoir ici : les russes.

L’Homme à la Croix sort en 1943, année d’effondrement du régime fasciste de Benito Mussolini. Dans une  perspective cinématographique, cette temporalité s’avère cruciale puisqu’elle marque un tournant dans l’œuvre du réalisateur. Paradoxalement, la trilogie fasciste de Rossellini vient presque directement s’opposer à ses films postérieurs, qui resteront considérés comme les prémices du cinéma néoréaliste italien à l’échelle internationale.

L’Homme à la croix – Bande-annonce

L’Homme à la croix – Fiche technique

Titre original : L’uomo dalla croce
Réalisation : Roberto Rossellini
Scénario : Asvero Gravelli, Alberto Consiglio, Giovanni D’Alicandro, Roberto Rossellini
Acteurs principaux : Alberto Tavazzi (l’aûmonier), Roswitha Smith (Irina), Aldo Capacci (soldat étudiant), Franco Soldati (le soldat russe blessé), Attilio Dottesio (le tankiste blessé), Doris Hild (un paysan russe),  Gualtiero Islenghi (le soldat russe avec la carte du parti), Antonio Majetti (Sergej, le commissaire du peuple), Piero Pastore (mari d’Irina), Marcello Tanzi (soldat), Zoia Weeda (paysanne russe), Antonio Suriano (le soldat témoin du baptême), Franco Pompili (soldat)
Musique : Renzo Rossellini
Scénographie : Gastone Medin
Photographie : Guglielmo Lombardi
Montage : Eraldo Da Roma
Production : Contientalcine, Cines (Roma)
Sociétés de distribution : ENIC Ente Nazionale Industrie
Genre : Film de Guerre, Film dramatique
Durée : 88 minutes
Date de sortie : 3 février 1943, Italie