L’année 2014 de Wes ANDERSON
Si certains se questionnaient encore sur l’empreinte que laisserait le fantasque Wes Anderson dans le petit monde des réalisateurs qui participent à l’évolution du cinéma, l’année 2014 a sans doute effacé bien des doutes. En effet, l’un des films à retenir de l’année passée est évidemment The Grand Budapest Hotel, qui marque une césure dans la carrière du réalisateur, non pas sur la qualité, toujours présente depuis une bonne décennie, mais sur sa résonance sur le grand public et sa réception auprès de ses pairs. Il est vrai qu’en Europe, et plus particulièrement en France, il n’est pas rare que l’on soit surpris du manque d’intérêt que les américains portent, parfois, aux plus brillants de leurs réalisateurs, comme Woody Allen par exemple. Il serait injuste, et surtout mensonger de crier haut et fort que la vague colorée de Wes Anderson ne trouve son public que sur le vieux continent. Mais l’œuvre déjà importante du réalisateur, qui n’est ni jeune ni vieux (intemporalité que l’on retrouve dans beaucoup de ses films par ailleurs), n’a jamais suscité l’intérêt qu’elle mérite outre atlantique, même si l’influence qu’elle exerce est déjà visible sur la nouvelle génération.
Cela dit, on remarque que son huitième long métrage, est construit sur les mêmes bases que ses précédents films. Un casting constitué d’acteurs dont on ne comprend pas que la simple réunion ne déplace pas les foules (Murray, Fiennes, Swinton, Dafoe, Norton…). Une patte scénaristique qui ne finit pas de nous surprendre, jonglant avec les codes de la comédie et du drame, et surtout une signature visuelle reconnaissable d’entre mille, qui le range dans la très petite famille des réalisateurs identifiable en cinq seconde chrono. Et même si le film peut paraître moins intimiste que Moonrise Kingdom, moins « cute » que Fantastic Mr. Fox, moins novateur que Rushmore, le film n’en reste pas moins excellent. Et cette fois ça marche ! Ça marche en salle : en France, un succès triple du Darjeeling Limited, le film qui jusqu’alors avait rempli le plus les salles de cinémas en 2007; aux States, un box office avoisinant les 60 millions de dollars ! (30% de plus que son dernier film, Moonrise Kingdom en 2012). Et surtout des revenus mondiaux qui font de lui le 39ème film le plus lucratif de l’année (du même ordre que Fury en guise de comparaison). Wes Anderson s’est donc ouvert au grand public, une éclosion qui se traduit par une pluie de récompense en fin d’année (Meilleur Comédie aux Golden Globes, Meilleur scénario original aux BAFTA), et se concrétise, par le triomphe que l’on connait aux Oscars : Pas vraiment surprenant, mais un peu grisant on l’imagine, pour le réalisateur boudé depuis ses débuts par l’académie.
Si jamais vous avez loupé The Grand Budapest Hotel, si jamais vous ne vous êtes jamais laissez tenter par les extravagances du fabuleux fabuliste Wes Anderson, les lignes qui suivent vous inviteront peut-être, à découvrir son univers à travers un court métrage qui est venu ponctuer sa filmographie. Cela s’adresse évidemment aussi aux fans de la première heure, ou encore, plus intéressant, à ses plus féroces détracteurs. Bref, que vous connaissiez ou non, que vous aimiez ou pas, Wes Anderson ne vous laissera pas insensible.
Hôtel Chevalier: l’échantillon de génie
Son second court métrage, Hôtel Chevalier, sort en 2007. Il s’agit de l’épilogue du long métrage A bord du Darjeling Limited, sorti la même année. A l’affiche : le charmant Jason Schwartzman et la sublime Natalie Portman. On apprendra que les deux acteurs n’ont pas facturé leur prestation ; élégant. D’une durée de 13 minutes, le film condense tout le génie du réalisateur, et le résultat, très digeste, est une belle vitrine du « style Anderson ». Nous sommes à Paris, dans le très chic hôtel Chevalier, théâtre des retrouvailles entre les deux protagonistes.
Il s’agit en effet d’une scène de réconciliation entre les deux amants, mais le récit n’a absolument aucune vocation explicative, et les dialogues encore moins. Distillées avec parcimonie, les phrases « érotico-comiques » disent autant que les longs silences qui s’attardent. Et Wes Anderson utilise tout autant l’environnement pour faire parler ses personnages: le décor minutieusement travaillé interagit avec ses occupants, une embrasure de porte en guise de cadre, un regard caméra dans le miroir, une musique déclenchée par Jason Schwartzman, une série de bibelots avec laquelle s’amuse Natalie Portman… Bref tout ce qui se voit doit être vu, et c’est ce qui fascine sur le rendu visuel de Wes Anderson, ici très chaudement habillé par la photographie de Robert Yeoman (habilleur officiel des films de Wes depuis ses débuts). Et on pourrait croire que ce culte de l’image, de l’esthétique aurait tendance à « manger » le personnage, car la symétrie hypnotise et les couleurs bercent ; mais Mr Schwartzman et Mme Portman livrent une performance très « physique », au delà de la consommation de leur amour retrouvé évidemment.
Leurs corps, présents, contrastent et se fondent étrangement dans cette chambre, et ils se jouent de l’image du couple : Natalie Portman, le cheveux court se présente bouquet de fleur à la main, bâtonnet de bois à la bouche qu’elle grignote négligemment. Jason Schwartzman, lui, s’est finement âpreté. Ce coup de téléphone reçu l’a apparemment réveillé d’une léthargie qui s’installait. Ils se retrouvent, ils s’enlacent. Leurs silhouettes sensiblement de la même taille se répondent, et tous deux de gris vêtus, ils finissent par se dévêtir. Et, suite à l’acte consommé, dans un ralenti d’une rare élégance, Jason rhabille Natalie d’un éclatant peignoir jaune, tandis que lui demeure dans son costume gris, et ils sortent sur le balcon dans l’air froid de Paris, sur un fond Haussmannien. Et tout est frais, on respire en quittant cette chambre dans laquelle on commençait à suffoquer. Et il y a une seconde l’homme ressortait de l’écran, assombrissant l’éclat jaunâtre de la chambre à coucher, maintenant c’est la femme qui dévore l’image, irradiant devant la ville qui grisonne. C’est 13 minutes parmi tant d’autres, un soupir, un instant de vie capturé , dans lequel s’amusent et se retrouvent deux personnes qui s’aimantent et se repoussent.
Petit aparté: Vous tomberez certainement aussi, sous le charme de la musique. Sachez qu’elle s’intitule « Where do you go to, my Lovely », interprétée par Peter Sarstedt en 1969. Et, pour les plus curieux, Wes Anderson a également réalisé un second court métrage en 2009, Castello Cavalcanti pour le compte de Prada, avec encore le même: l’excellent Jason Schwartzman.
Ce petit quart d’heure en couleur fait étal de l’essence du cinéma de W. Anderson, car le réalisateur fait encore utilisation de cette même recette qui lui réussit tant (s’en lassera t-on un jour ? La question peut être posée.).
C’est à dire, dans un premier temps l’utilisation d’acteurs, soit dans des rôles peu orthodoxes, soit en tant que figures récurrentes. En effet, les personnages endossés détonnent parfois avec leur filmographie passée (comme Natalie Portman) ou en assurent la continuité (comme Jason Scwhartzman). Par exemple, Edward Norton, à contre emploi dans Moonrise Kingdom, en chef scout désabusé. L’actrice, à la fois oscarisée et égérie, sait parfaitement alterner entre production hollywoodienne et cinéma indépendant, (catégorie prisée par le cinéaste puisque que l’on peut également citer Gwyneth Paltrow dans La famille Tenenbaum ou Tilda Swinton dans The Grand Budapest Hotel) fait don de sa personne, et fait figure de muse pour l’artiste texan. Offrant par la même occasion, ce que l’on pourrait pompeusement appeler » la quintessence de l’inspiration artistique » à savoir: le nu féminin. Et oui, on se dénude pour Wes Anderson !
Pour lui donner la réplique, le dandy moustachu: Jason Schwartzman. Acteur qu’on ne dissocie plus de l’œuvre de celui qui lui a donné son premier rôle à l’âge de 18 ans. (Rushmore, 1998). Jason compte aujourd’hui 5 apparitions (sur 8 longs métrages) autant dire que nous l’avons vu grandir à travers ces films. Il fait partie de ceux qui vous indiquent que vous regardez peut être un Wes Anderson (avec Bill Murray et Owen Wilson, respectivement 7 et 6 apparitions). Tout cela pour dire, que le cinéaste sait s’entourer, et s’est même constitué une petite équipe qui ne le lâche plus. Cela vaut également pour son entourage technique, avec, Robert Yeoman à la photo, Alexandre Desplat à la musique depuis 2009, et, aux costumes à 3 reprises Milena Canonero, ancienne collaboratrice de S. Kubrick (Barry Lyndon, Shining)
Après avoir dressé ce catalogue de ceux qui font le style Anderson, nous nous pencherons dans un second temps sur ce qui fait ce même style. Et ce, à travers le court métrage présenté ci dessus, car tout ne peut pas être détaillé. Tout d’abord, on observe qu’il y règne une certaine frontalité, lui conférant des traits assez théâtraux (où l’on joue face au public). Cette frontalité se traduit notamment dans des cadrages serrés sur les personnages et des regards caméras, mais aussi par une symétrie axiale prononcée du décor. Parfois cet affrontement dans le cadre se substitue à un plan « latéral » qui vient profiler la scène. Pour animer ces plans statiques, le cinéaste est friand des travellings, qui viennent approfondir l’environnement ou simplement suivre assez mécaniquement le personnage dans son mouvement. Cette animation est parfois atténuée par un ralenti, qui souligne la volupté des déplacements et la précision du détail. Au sein de ce ballet, les acteurs viennent et se retirent de façon très chorégraphiée pour rompre avec cette manière automate de filmer. Enfin, pour « assaisonner » le tout, la photographie et le décors confèrent toujours une atmosphère confortable mais qui questionnent le spectateur sur le lieu et la date de l’action. Et résulte alors de ces tableaux, un esthétisme aux couleurs onirique et aux odeurs poétiques.
Fiche technique – Hotel Chevalier
Titre original : Hotel Chevalier
Titre français : Hôtel Chevalier
Réalisation : Wes Anderson
Scénario : Wes Anderson
Photographie : Robert Yeoman
Direction artistique : Kris Moran
Son : Emmanuel Desmadryl
Montage : Vincent Marchand
Production : Wes Anderson
Coproduction : Alice Bamford
Exécutive : Thierry Bettas-Bégalin, Jérôme Rucki, Nicolas Saada
Associée : Pierre Cléaud
Sociétés de production : Fox Searchlight Pictures, American Empirical Pictures, en association avec Première Heure
Sociétés de distribution : Twentieth Century Fox Film Corporation
Pays d’origine : États-Unis, France
Format : couleurs – 35 mm – 2,35:1 – Son Dolby Digital
Genre : drame
Durée : 13 minutes
Dates de sortie France : 19 mars 2008