The Artist est le grand film français de ces dernières années sur le cinéma ayant eu un retentissement mondial. Couronné d’un Oscar, le film fait figure de regard officiel sur notre cinéma, celui en noir et blanc et sans parole. Un cinéma que le réalisateur mystifie, jusque dans les corps glorieux de ses acteurs autant que dans leurs déconvenues.
SILENCE, ça tourne
Tel Ziad découvrant un plateau de tournage les yeux écarquillés dans le dernier roman d’Isabelle Carré (Du côté des indiens), nous écarquillons également souvent les yeux devant la magie distillée par The Artist. Le film est fabriqué pour rendre hommage au cinéma. Un film surcoté aux Etats-Unis où il a reçu un Oscar, preuve qu’il surfe sur une vague nostalgique et hautement symbolique également. Ce n’est pas avec The Artist que l’on verra subtilement l’envers du décor tels que des films comme Nuits magiques (Paolo Virzi) ont pu le montrer ces dernières années. Ou encore que l’on verra l’artiste se mettre véritablement à nu à travers son histoire du cinéma comme l’a récemment très bien réussi Almodovar avec Douleur et Gloire. Mais parler de cinéma, c’est avant tout parler de magie, cette magie que Muriel ne veut pas enlever des yeux de Ziad. C’est aussi celle-là que l’on lit dans les yeux et le corps de Peppy Miller lorsqu’elle s’enroule dans la veste de George Valentin comme s’il l’enlaçait réellement. Pour rendre son hommage au cinéma muet, Hazanavicius va jusqu’à rendre son film muet lui-même, à quelques exceptions près puisque nous sommes tout de même en 2011.
A star is born
Le tour de magie ? The Artist est un film muet qui parle de la naissance du parlant… En effet, Jean Dujardin y endosse le rôle du parfait petit acteur muet hyper populaire qui fait rire tout le monde avec ses mimiques (sauf peut-être sa femme) mais qui va finir par être rattrapé (comme tous) par la nouvelle génération et surtout par le parlant (magnifique scène où le son envahi l’espace d’un Jean Dujardin privé de la parole). Le film retrace aussi un peu l’histoire du cinéma, le travail des figurants et l’ascension d’une actrice dans l’univers du parlant, forte de sa jeunesse et de son charisme. Les deux vont se croiser, se plaire et se fuir mais aussi se détester presque (scène du restaurant…). Puis c’est l’effusion, elle monte, il sombre, elle s’accroche à lui, il s’accroche à des illusions… On se croirait presque dans A Star is born, mais cette fois dans l’univers, lui aussi impitoyable, du cinéma.
Le prince oublié
Dans l’histoire du cinéma, The Artist se place comme un hommage gentillet et plutôt grand public. Sur la force du cinéma, le génie créateur (et destructeur!), on pensera notamment plus aisément à Boulevard du crépuscule ou encore Barton Fink avec ce scénariste fou dont les délires viennent habiter l’hôtel lui-même. Hazanavicus aime à recréer des univers merveilleux ou des parodies comme il l’a aisément prouvé avec OSS 117 ou le plus récent Le Prince oublié. Ce que raconte finalement The Artist, comme toute œuvre cinématographique qui parle de cinéma un tant soit peu respectable, c’est de l’oubli, de la déliquescence et de la renaissance constante d’un art qui ne fait pas de place aux plus faibles. Oui, il y a la magie, mais il y a aussi la souffrance, le corps qui est à rude épreuve, le génie qui prend l’eau.
Once upon a time… in Holywood
On en revient encore et toujours à Ziad et Muriel (les héros d’Isabelle Carré) dont les visions du cinéma diffèrent par l’expérience, voici ainsi comment Muriel parle de cinéma (ce que The Artist fait en partie oscillant entre magie et désillusion): « au fil du tournage, les yeux et les joues se creusaient, les mains tremblaient. Ce rêve avait un prix (…) La terre entière aurait voulu pénétrer ce monde, un monde où les êtres paraissaient plus libres, et dont le décor imitait si bien la réalité qu’elle les en protégeait ». Un peu comme Jean Dujardin et Bérénice Béjo propulsés dans un univers proche, presque à la virgule près, de l’Aurore de Murnau ou encore de Chantons sous la pluie. Eux aussi ont-ils eu cette sensation de repartir « retrouver le monde d’aujourd’hui, leur monde à eux » ? Rien n’est moins sûr. Au final, le plus en décalage avec la notion de monde d’aujourd’hui mais le plus en phase également, c’est le réalisateur lui-même : « Michel Hazanavicius s’empare du cinéma d’antan avec les outils du cinéma d’aujourd’hui. Plus qu’un voyage dans le temps, The Artist est une plongée dans l’histoire du cinéma qu’il transforme, un peu comme aime à le faire Quentin Tarantino, en un gigantesque terrain de jeu… » (voir le dossier Transmettre le cinéma qui reprend la critique du Monde).
Voilà peut-être le secret d’un film sur le cinéma : parler à notre imaginaire, sans limite, tout en jouant avec cet imaginaire précisément. Un fragile équilibre entre fiction et réalité: il était une fois… Chacun se réappropriant alors sa propre histoire du cinéma, un peu comme lorsque l’on voit Fellini au travail dans Nuits magiques. On pense immédiatement à son grand film sur la création Huit et demi. Véritable mise en abyme virtuose qui dit simplement : « Le monde est déjà un chaos, n’ajoutons pas de désordre au désordre ». Pourtant, c’est ce que fait le cinéma depuis toujours ajouter du désordre au désordre. Au final, parler de cinéma c’est ajouter à son tour un peu de désordre au monde.
The Artist : Bande annonce