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L’an 01, un jour pour tous les rassembler

C’est beau une utopie, la nuit. En adaptant en 1973 l’album de Gébé, Jacques Doillon, Alain Resnais et Jean Rouch réalisent avec l’an 01 et quelques potes un des films les plus libres de l’Histoire du cinéma français. Affranchi de toutes les conventions qui aujourd’hui encore minent tant de petites œuvres, il échappe au vampirisme de la taxinomie. Non, pas la Peugeot blanche qui roule vite, ce qui est en soi aussi une utopie, je vous le concède.

Synopsis: Un jour, on décide d’un abandon utopique, consensuel et festif de l’économie de marché et du productivisme. La population décide d’un certain nombre de résolutions dont la 1ère est « On arrête tout » et la 2ème « Après un temps d’arrêt total, ne seront ranimés que les services et les productions dont le manque se révélera intolérable ». L’entrée en vigueur de ces résolutions correspond au premier jour d’une ère nouvelle, l’an 01.

Et si ?

Et si on s’arrêtait de bosser, comme ça, sans raisons ? Et si on sapait les bases de toute une civilisation consumériste, productiviste, entre deux cafés ? Et si on écrivait un film là-dessus, avec des centaines de mains, celles du courrier des lecteurs, tendance Charlie Hebdo cuvée seventies, qu’on envisageait l’avenir en se posant sur un banc, comme ça, sans avoir besoin de raisons ? En 1973, les illusions passées sont pourtant bien moribondes, juste à côté du caniveau. Le premier choc pétrolier vient de fracasser tous les rêves d’architectes, des grands fous des années soixante qui rêvaient de danser sous la croûte terrestre sous un ciel de villes flottantes.

On ne réalise pas

L’an 01, c’est d’abord un générique de gribouillis, très chargé, entassés par bulles de BD en cascades sur du papier bon marché. Gérard Depardieu, Romain Bouteille, Nelly Kaplan, Daniel Auteuil et bien d’autres, collés les uns contre les autres, sans aucune volonté de rendre beau ce chapelet manuscrit de noms d’artistes qui constitue somme toute un large éventail du patrimoine cinématographique et contre-culturel de l’Histoire de France. Ah, mince, l’expression est pompeuse. Elle n’a rien à faire ici. Tout comme la réalisation, elle devrait se faire discrète, ténue, au service d’une mise en scène laissant respirer les sujets dans la vérité de l’instant. Les réalisateurs ? Oh, 3 petits gars, Jacques Doillon, Alain Resnais, Jean Rouch. Ils ont juste apporté à la direction d’acteurs en France certainement leurs plus beaux éclats de la nouvelle vague, et ils se répartissent les tâches ici en bons soldats.

Bien redistribuer

Une partie en France, une partie en Afrique, quelques scènes aux Etats-Unis : l’an 01 s’internationalise, pousse les portes et écarte les murs. Un beau panel de critiques de 1973 effare : du Monde en passant par le Figaro, le film reçoit à droite à gauche des soutiens, des marques d’affection, d’amusement parfois, des vacheries condescendantes mal déguisées pour certaines, mais ne masquant pas la très difficile attaque critique d’une telle œuvre par la face Nord. 10 ans après le joli mai de Chris Marker, l’an 01 boucle à sa façon les recherches archéologiques de tous les cinéphiles se demandant ce qu’on a foutu de Mai 68 au cinéma : la réponse est digne d’un Saladin. Rien… Et tout. Jamais représenté comme il faut dans un joli film historique, toujours évoqué indirectement, par fables interposées.

Un grand discours, peu d’écho ?

Presque 50 ans plus tard, inutile de se dire que dans 3 années révolues, on ne fêtera certainement pas les 50 ans d’un grand film qui a rassemblé au casting Gérard Jugnot et Stan Lee. Le monde d’après n’est pas prêt pour ça, et rien que pour cette outrance il devrait perdre son titre ronflant. L’an 01, ce sont très peu de diffusions télés, très peu de critiques, de bouquins, pour un film, tout comme la belle verte,(Coline Serreau, 1996) boudé parce qu’il a eu raison. Écologie, filières courtes, production mesurée, juste exploitation des ressources : il a vu l’avenir. Et tous ces acteurs y ayant traversé un petit bout de plan ont du bien se marrer ces dernières semaines. Certains ne sont plus là, trop, sûrement, pour rappeler qu’il a souvent tort, également, comme toute utopie, qui ne cherche jamais à naître de raison, mais qui n’explique pas les voix enrouées au moment de rappeler qu’en 1973 en France un chef d’œuvre iconoclaste était en salles, et qu’il ne ferait absolument pas tâche aux chaînes aujourd’hui de nous laisser espérer l’honneur fait à nos écrans de le projeter une nouvelle fois, entre deux séries ricaines et un feuilleton où une magicienne claque des doigts. Et si on arrêtait les conneries ?

Bande annonce

Fiche technique

Réalisateurs : Jacques Doillon, avec Alain Resnais et Jean Rouch
Scénariste : Gébé
Photographie : Renan Pollès
Monteur : Noëlle Boisson et Jacques Doillon
Musique : François Béranger et Jean-Marie Dusuzeau, paroles de Gébé
Société de production : UZ Production
Producteur délégué : Jean-Jacques Schakmundès
Directeur de production : Michael Hauseman
Société de distribution : LCJ Éditions et Productions, Pari Films, Cinémas Associés
Début du tournage le 11 septembre 1971
Format : noir et blanc – 35 mm – Son mono
Durée : 87 minutes
Date de sortie :
France – 22 février 1973

Distribution

Daniel Auteuil : l’ex-banquier qui ne sait rien faire d’autre
Josiane Balasko
François Béranger : le chanteur guitariste des « clés »
Alain Bert
Isabelle de Botton
Madeleine Bouchez
Romain Bouteille : le collectionneur de vieux billets de banque
Cabu : un membre des conspirateurs
Jacques Canselier
Antoine Carillon
François Cavanna: un membre des conspirateurs
Professeur Choron : un membre des conspirateurs
Christian Clavier
Coluche : le chef de bureau
Véronique Colucci : la dactylo assise
Maurice Coussonneau
Christine Dejoux
Albert Delpy
Gérard Depardieu : le voyageur qui ne veut plus prendre le train
Delfeil de Ton : un membre des conspirateurs
Jean-Paul Farré : le pompiste
Lee Falk : le banquier
Marcel Gassouk
Gébé
Gotlib: le gardien de prison
Henri Guybet : le gars au réveille-matin
Jacques Higelin : le joueur de banjo
Gérard Jugnot : un goûteur, qui suggère qu’il est possible de manger du papier
Daniel Laloux
Patrice Leconte
Stan Lee : le narrateur (scènes à New York)
Thierry Lhermitte : le goûteur d’alcool
René Marjac
Miou-Miou : la fille au réveille-matin
Patrice Minet
David Pascal : le vendeur de journaux
Marie Pillet : la cliente de l’épicerie
Daniel Prévost
Maud Rayer
Jacques Robiolles : l’homme nu
Alain Scoff
Philippe Starck : un publicitaire
Jean-Paul Tribout : l’amoureux scientifique
Frédéric Tuten
Georges Wolinski: un membre des conspirateurs
Guillaume Weill-Raynal : un manifestant, en patins à roulettes
Charlotte Dubreuil

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