Deux frères de cœur se battent pour un rêve commun, celui de voir leur ville natale prospérer. Un homme en fuite évoque leur trajectoire, de moins en moins parallèle au fur et à mesure qu’une succession d’injustices les rappelle à l’ordre. Si les intentions d’en extraire une figure mystique sont nobles, ce polar se heurte toutefois à une mauvaise appréciation dans le ton donné aux sujets traités. Ni l’enquête policière au ralenti, ni la révolte sociale qui montre ses crocs, ni la quête de réconciliation entre deux amis d’enfance ne peuvent maintenir à flot cette intrigue, aussi bancale que léthargique.
Synopsis : Rochebrune est au bord du chaos. Johnny, leader du mouvement de protestation de la ville, a disparu après avoir braqué un fourgon. Lorsque Paul Ligre apprend la nouvelle, il revient dans la ville qui l’a vu grandir pour retrouver son ami d’enfance avant la police. Seulement, l’enquête d’Anna Werner la mène inéluctablement vers le secret qui unit Paul et Johnny…
Il est coutume de manquer de maturité dans un premier long-métrage, bien qu’il existe des exceptions. Baptiste Debraux se retrouve malheureusement piégé par ses propres ambitions, trop grandes pour que son récit puisse contenir autant de clichés et d’imperfections qui alourdissent le tout. Pourtant, nul besoin d’apporter du neuf dans une histoire motivée par la mélancolie du cinéaste. Si la ville fictive de Rochebrune lui sert de socle pour immerger les spectateurs dans ce cadre spécifique des plateaux ardennais, il manque de donner vie à cette petite ville minière, où les destins des personnages se croisent et se décroisent.
Ma patrie, mon trésor
Comme pour son protagoniste Paul, il redécouvre des lieux familiers, propres à son enfance avec un recul romanesque qui devrait bien trancher avec le présent, plus sombre et plus froid. Cependant, les articulations du récit sont mécaniques, rien ne semble naturel, pas même les dialogues, trop romancés pour qu’on se sente bouleversés par la tragédie d’un groupe d’amis. Cela aurait pu, en un sens, contribuer à son aura littéraire si ces motifs ne déglutinaient pas d’une temporalité à une autre. Tout semble écrit et joué au même niveau, avec des approximations qui n’aident certainement pas la vraisemblance du scénario. Si cette fiction peut trouver tout son sens sur le papier, c’est beaucoup moins le cas à l’écran, du moins en l’état.
Que se passe-t-il donc dans ces Ardennes et que s’est-il passé auparavant pour que tout parte à la dérive ? Tels Jim Hawkins et Billy Bones, dont le serment de mettre la main sur le trésor constitue un prétexte pour échapper à une vie monotone et sans issue, Paul et Johnny ont bâti un refuge, une cabane dans les bois, au milieu de la Meuse. Nombreuses sont les citations ouvertes à l’œuvre emblématique de Robert Louis Stevenson, mais l’analogie à L’île au trésor s’arrête là, à ce fameux butin qui semble représenter un fil rouge, bientôt rongé par des affaires de sentiments. Ce nouvel enjeu ajoute une couche de complexité supplémentaire à leur relation et fragilise une amitié qui est mise à l’épreuve. Dommage qu’il faille se satisfaire de flashbacks pour en dégager une substance suffisante pour que le récit démarre enfin.
Dan cette tentative de répondre à de nombreuses interrogations en suspens, Paul a choisi de déserter Rochebrune, tandis que Johnny continue de sévir comme un « pirate ». Ce dernier s’est rapidement imposé comme la figure légendaire d’une révolte qui marche à grands pas. Les citoyens de cette bourgade ont besoin d’un tel guide, un justicier qui sait prendre des risques dans une bourgade qui tombe en ruine et qui s’enfonce de plus en plus dans la brume. Pierre Lottin prête ainsi ses traits à ce héros que tout le monde acclame, pour sa générosité et sa résistance. À l’opposé, issu d’une famille aisée, Paul, campé par un Bastien Bouillon dont la force tranquille dans La nuit du 12 est plus mémorable, cherche encore son chemin. Les retrouvailles avec ses proches sont alors à moitié réjouissantes. Il faut dire que la situation n’a pas beaucoup changé dans cette ville à l’arrêt, en grève même, avec un détachement spécial de la police qui doit résoudre un homicide.
« Moi vivant, vous ne serez jamais morts ! »
C’est à cet instant précis que l’on découvre Anna Radoszewski, en charge de l’affaire. Elle possède également une trajectoire similaire à Paul. Son retour dans sa ville d’origine n’est pas des plus reposants non plus. Et à ce titre, Léa Drucker insuffle une aura assez singulière dans la figure d’autorité qu’elle incarne. Malgré cela, il est difficile à comprendre la mise en avant d’un tel personnage, si ce n’est pour lui rajouter une étiquette d’empathie pour cette ville abandonnée à son sort et alimenter le portrait d’une femme dans une lutte perpétuelle avec son passé. La lutte sociale qui est déroulée dans le fond ne passe jamais au-dessus de la recherche de Johnny, suite au braquage d’un fourgon qui a mal tourné.
S’ajoute alors Charlène, d’abord sujette à un triangle amoureux peu exploité, jusqu’à ce qu’on découvre sa vulnérabilité, celle-là même qu’elle partage avec les citoyens de Rochebrune. Elle constitue ainsi leur porte-parole et un point de repère précieux pour Paul, toujours assommé par son absence de quinze ans. Elle est incarnée par Marion Barbeau, danseuse de ballet de profession, mais qui a toutefois démontré une certaine aisance devant la caméra de Cédric Klapisch dans En Corps. Ce qui n’est pas le cas ici, où le réalisateur peine à amorcer l’histoire d’une légende, toujours introuvable, même dans la foi des protagonistes divisés par leurs remords qu’ils ont empilés dans des boîtes à secret. La caméra a beau rester ferme face à une montée en tension entre les autorités et des salariés en colère, tout le propos politique est dilué dans le montage, le faux-rythme en flashback et des personnages qui infusent plus qu’ils n’implosent.
Sélectionné pour clôturer la dernière édition de Reims Polar, Un homme en fuite laisse encore un arrière-goût amer derrière lui. Malgré de bonnes ambitions, Baptiste Debraux parvient rarement ou péniblement à obtenir le résultat escompté, à savoir sublimer une fable acerbe sur une liberté inaccessible, dans un monde partagé entre un désir de survie et une soif folle d’évasion. Quelle que soit l’option choisie, la démarche du cinéaste est noyée dans une incertitude qui ne profite pas à un récit autant ancré dans le réalisme, à tel point que son scénario perd toute pertinence et crédibilité.
Bande-annonce : Un homme en fuite
Fiche technique : Un homme en fuite
Réalisation : BAPTISTE DEBRAUX
Scénario : BAPTISTE DEBRAUX, ARMEL GOURVENNEC
Photographie : FABIEN BENZAQUEN
Montage : MARION MONNIER
Musique : CLEMENT DOUMIC, RAPHAËL DE PRESSIGNY, ANTOINE WILSON, SEBASTIEN WOLF (du groupe FEU! CHATTERTON)
Décors : MICHEL SCHMITT
Son : PIERRE GAUTHIER
Monteurs son : BORIS CHAPELLE, CAROLINE REYNAUD
Bruiteur : BENJAMIN ROSIER
Mixeur : DANIEL SOBRINO
Costumes : HYAT LUSZPINSKI
Casting : NADIA NATAF
Première assistante réalisateur : MAUD MATHERY
Scripte : ELMA TIMOTEO
Maquillage : LISE GAILLAGUET
Coiffure : BONY ONDARRA
Accessoiriste : IRÈNE MOATI
Direction de production : MARIE-FRÉDÉRIQUE LAURIOT-DIT-PREVOST
Producteur : MARC BORDURE
Production : AGAT FILMS
Pays de production : FRANCE
Ventes internationales : ORANGE STUDIO
Distribution France : TANDEM
Durée : 1h46
Genre : Policier
Date de sortie : 8 mai 2024