A mi-chemin entre le biopic et le film-catastrophe, Sully panse et pense l’Amérique post-11 septembre.
Synopsis : Le 15 janvier 2009, le vol 1549 perd ses deux moteurs, quelques minutes après avoir décollé. Au-dessus de New York, le commandant Chesley « Sully » Sullenberger tente l’impossible : amerrir dans la rivière Hudson. Les 155 personnes à bord ont pu rentrer chez elles.
A 86 ans, Clint Eastwood remet le couvert, deux ans après son dernier film American Sniper. Avec Sully, Eastwood passe du film de guerre au film catastrophe, en adoptant comme toujours une mise en scène tout ce qu’il y a de plus sobre. La structure narrative est assez simple : après l’exploit de Sully, la compagnie enquête sur les conséquences de l’accident et la réaction des pilotes. Ainsi, tout le film consiste en un interrogatoire dans un bureau (comme The Social Network) avant de finir dans une cour d’audience, lorgnant du côté des films de plaidoirie (M. Smith au Sénat, 12 hommes en colère ou bien Philadelphia).
Les séances d’interrogatoire permettent à Sully de se souvenir de l’événement à travers des flashbacks . Il y a donc un va-et-vient entre le présent, la vie normale et banale de Sully (quoique transformée après l’exploit) et le passé, au cœur de l’action, reprenant cette alternance de American Sniper. Cette alternance entre le passé et le présent permet une introspection, une interrogation du passé en mettant en avant ici le doute que peut avoir le « héros » sur ses actes et sur sa vraie valeur, donc sur la signification du mot « héros » lui-même. En effet, le cinéma américain a mis et met toujours en avant ses héros infaillibles et indéfectibles, ne cessant au fil des années d’imaginer des postures de plus en plus difficiles. Plus que tout autre, le cinéma de Clint Eastwood met cette question de l’héroïsme au centre de son cinéma comme il le fait avec Impitoyable ou American Sniper. Sully n’est pas sûr d’être un héros ni de vouloir en être un. Les accusations de la compagnie n’en finissent pas de le faire douter. Peut-être n’a-t-il pas fait les bons choix, peut être aurait-il pu rejoindre un aéroport ? Après l’amerrissage, la première obsession de Sully est le comptage. Combien de personnes ont réussi à rejoindre la terre ferme ? L’éventualité d’avoir perdu dans l’événement un voyageur, par sa faute, est sa première peur. Un profond soulagement le gagne quand il entend le chiffre tant attendu : 155 passagers, aucun disparu.
Or cette introspection est non seulement une introspection de Sully mais plus encore, du cinéma américain, et carrément de la société américaine. Dès la scène d’ouverture, la ligne du film est claire : un avion traversant la skyline newyorkaise finit par se crasher sur un immeuble au plein cœur de la Grosse Pomme. Puis Sully se réveille en sursaut. Impossible de ne pas penser ici au traumatisme du 11 septembre 2001, dont les stigmates se font toujours sentir, hantant le peuple américain comme un cauchemar. Cette réminiscence du passé reviendra à plusieurs reprises de telle sorte qu’il est impossible de ne pas passer à côté. Ainsi l’exploit de Sully, qui réussit à éviter le pire, revient quasiment à rendre justice à l’attaque de 2001, comme pour montrer que cette attaque est derrière les américains, et que désormais ils ne sont plus obligés de subir la catastrophe mais au contraire de la maîtriser.
La quête de la vérité se fait de deux manières, d’une part par les témoignages et les souvenirs des différents protagonistes et d’autre part par les simulations informatiques de la compagnie. Ainsi, Sully montre l’événement au travers d’une multitude de points de vue, des plus faux (le rêve du début) aux plus vrais (la séquence où nous sommes dans le cockpit avec Sully). De ce fait, c’est la réinterrogation de ce vieux principe fordien qui se joue « When the legend becomes fact, print the legend ». La pluralité des points de vue permet de construire une vérité plus complexe qu’il n’en a l’air, déconstruisant ainsi la légende au profit des faits, pour réinterroger la légende elle-même. Sully a-t-il vraiment sauvé les passagers ou au contraire a-t-il mal jugé en se précipitant dans l’Hudson ? Est-il le vraiment le héros que l’on veut croire ?
Dans Sully, la dimension humaine prend une place toute particulière. Sully est en proie aux doutes, et ses décisions sont mises à mal par les simulations informatiques. Si l’on en croit les faits bruts, Sully aurait pu retourner à l’aéroport. Ce qui est important pour rétablir la vérité c’est de prendre en compte la dimension humaine, non seulement celle de Sully mais aussi celle de tous les autres membres de l’équipage ainsi que les équipes de secours. En fait, Sully est glorifié en héros car les américains ont besoin de leader et d’un nom sur lequel s’appuyer. Mais ce que montre Eastwood, c’est que l’exploit accompli n’est que la somme des parties. Si le héros est grand c’est parce que le peuple l’est tout autant, et sans le peuple le héros n’est rien.
Le film de Eastwood ne serait de la même manière rien sans le jeu de Tom Hanks. L’acteur livre une interprétation brillante de Sully, tout en subtilité et en nuances. Il est totalement crédible dans le rôle d’un homme plus âgé, qui plus est un pilote vétéran face à une situation extrême. Son jeu atteint bien plus de profondeur que dans Inferno, autre film sur le doute d’un homme et sur sa responsabilité héroïque. Mais Sully préfère le propos intelligent au divertissement pur.