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Sept hivers à Téhéran : l’impasse du talion

Jérémy Chommanivong Responsable Cinéma

La loi du talion est une constante dans les décisions de justice en Iran. La peine de mort est prononcée pour une jeune femme qui a ôté la vie de son agresseur. La légitime défense est loin d’y être reconnue, c’est pourquoi ce documentaire porte la charge de toutes les victimes, à travers le destin d’une famille dans l’impasse, brisée par le système et les dogmes d’un pays qui ne leur appartient plus.

Pour l’amour de l’innocence

Téhéran, une cité où somnolent en permanence la toxicomanie et la misogynie. Nombre de cinéastes ont ainsi tourné leur caméra vers leur pays, afin de témoigner de la terreur qui y règne, passivement comme dans le bouleversant Leila et ses frères et le captivant Un Héros, ou bien activement, à l’image de La Loi de Téhéran et Le Diable n’existe pas. La fiction a toujours été apte à surligner les plaies et les cicatrices des individus laissés-pour-compte. Ici, nous allons plus loin que la docu-fiction de Jafar Panahi, avec son Taxi Téhéran, car l’intention de la réalisatrice allemande, Steffi Niederzoll, n’est autre que de capturer cette spontanéité dans la détresse d’une famille, qui plonge dans un combat trop épuisant pour elle.

Les premières images nous dévoilent une grande complicité dans le foyer Jabbari, une communion que l’on cherchera à préserver, au-delà de ce souvenir numérique, à la fois palpable et insaisissable. L’empilement chronologique des vidéos clandestines, obtenues par cette famille soudée, renforce le sentiment d’injustice, que l’on entrecoupe avec des témoignages plus récents, avec un recul finalement assez proche des sept années qui ont succédé l’arrestation de la jeune Reyhaneh Jabbari. Cette dernière n’est plus disposée à se soumettre à la volonté des hommes, qu’ils soient policiers ou hauts fonctionnaires de l’État. La vérité, elle la détient et la soutient, malgré les menaces qui planent sur elle et ses proches.

Et pour documenter au mieux cette tragédie, des décors miniatures ont été façonné entre le lieu de l’agression et la prison, afin de redonner vie à ces traumatismes, le temps d’une réflexion et le temps d’un deuil. La voix de Zar Amir Ebrahimi, triomphant récemment dans Les Nuits de Mashhad, remplit également ces espaces vides, que l’on scrute avec suffisamment d’interrogations pour y projeter les fantômes de celles et ceux qui ont tutoyé le même fléau.

Œil pour œil, dent pour dent

De l’autre côté du miroir, ce sont des accusations que nous entendons et que nous devons appréhender. La justice est dans le déni et la corruption devient une banalité dans les échanges. La dernière voix qui s’élève face à tout ce chaos, c’est celle de Shole Pakravan, une mère qui s’est métamorphosée en martyre, afin de pouvoir changer le destin de sa fille, enchainée pour avoir résisté. Elle soutient donc son enfant, jusqu’à devoir encaisser la pression psychologique et médiatique de l’État. Mais ce qui frappe par-dessus tout, c’est cette fierté ou cet ego, au choix, qui positionne la famille de l’agresseur, nouant ainsi la corde qui attend Reyhaneh, au bout de son supplice.

Le pardon est de rigueur, mais l’accepter, c’est également se déshonorer, c’est ruiner sa réputation. Quand ces sentiments viennent se mêler avec une justice qui se souhaite évidemment élémentaire, plus rien n’a de sens. Il ne reste donc plus que les mots les plus sincères, pour espérer apaiser les souffrances. Les femmes prisonnières n’ont alors aucun mal à se confesser, plus aucun mal à se lier, malgré leurs différences et malgré leurs similitudes.

C’est là le point fort de la démarche, qui évoque la sororité, au-delà des murs et des chaines qui les séparent les unes des autres. Le droit des femmes peut ainsi exister.  Cet engagement soulève également toute la problématique de la liberté d’expression, à même le générique de fin, où les techniciens et les partenaires ont choisi l’anonymat pour le salut de cette œuvre testamentaire. Un choix qui n’est ni le premier, ni le dernier geste attestant du régime qui incite passivement l’individu à se fondre dans la masse et dans l’oubli.

Le premier long-métrage de Steffi Niederzoll en est conscient et relève le défi d’immortaliser la détermination des femmes ou de quiconque embrassant ce deuil et cette lutte, pour que leur mémoire vienne intimement se mêler à l’histoire de l’Iran, dans toutes ses contradictions. Sept hivers à Téhéran n’est donc pas plus un reportage militant sur la révolte d’une nation qu’un documentaire qui porte ses martyrs, essentiellement féminins, comme porte-étendard d’une génération libre. Libre de se défendre et libre d’exister. Il s’agit d’une lutte contre la déshumanisation, que l’on dénonce bien évidemment, mais dont on n’adoptera pas le point de vue, afin de donner de l’impulsion à cet infime espoir de voir la jeunesse aller jusqu’au bout de ses convictions.

Bande-annonce : Sept hivers à Téhéran

Fiche technique : Sept hivers à Téhéran

Réalisation : Steffi Niederzoll
Photographie : Julia Daschner, bvk
Son : César Fernández Borrás, Andreas Hildebrandt, Jocelyn Robert
Montage : Nicole Kortlüke
Musique : Flemming Nordkrog
Production : Made in Germany Filmproduktion, Gloria Films Production & TS Productions, WDR
Pays de production : Allemagne, France
Distribution France : Nour Films
Durée : 1h37
Genre : Documentaire
Date de sortie : 29 mars 2023

Synopsis : En 2007 à Téhéran, Reyhaneh Jabbari, 19 ans, poignarde l’homme sur le point de la violer. Elle est accusée de meurtre et condamnée à mort. A partir d’images filmées clandestinement, « Sept hivers à Téhéran » montre le combat de la famille pour tenter de sauver Reyhaneh, devenue symbole de la lutte pour les droits des femmes en Iran.

Sept hivers à Téhéran : l’impasse du talion
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