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Retour à Reims de Jean-Gabriel Périot : au cœur du Monde ouvrier depuis les années 50

En 1h23 Jean-Gabriel Périot parcourt en archives une histoire intime et politique du monde ouvrier français depuis la libération. A travers un texte de Didier Eribon et sur la voix off d’Adèle Haenel, un récit humain, dense et ambitieux se tisse dans un grand film documentaire.

Les temps sont durs pour les élections. L’abstention a grondé lors des derniers scrutions nationaux et municipaux, pointant le manque de repères d’une large partie de l’électorat français. C’est ici que naît l’intérêt d’imaginer un cinéma courant après une quête de sens à la fois personnelle et collective. Pourquoi et pour qui vais-je voter, mais surtout qu’est ce que cela dit profondément de moi?

D’une densité incroyable sur ces questions dans le fond, le film comprend par le biais d’un parcours autobiographique des questions de groupe et de citoyenneté. Ces images d’archives, souvent connotées négativement quand on les convoque, sont ici sélectionnées avec autant d’empathie qu’elles en évoquent. Revoir des ouvriers et des ouvrières sur les machines-outils, d’autres évoquer leur quotidien compliqué interpelle. Une mère de famille raconte qu’un fruit par jour représente un budget énorme. Les combats changent, mais certains ne devraient pas être occultés dans notre société des images.

Avec un fond rappelant la caméra-stylo, le cinéma direct et militant des années soixante et d’un Marin Karmitz tournant des films co-écrits avec des ouvrières avant qu’il ne fonde MK2 (coup pour coup, 1972), on pourrait percevoir le grand film de Jean-Gabriel Périot pour ce qu’il n’est pas. Pourtant, malgré ou plutôt grâce à cette galerie de portraits poignants, personne ne tend une urne à sa sortie. Des visages sont mis en scène, des noms se posent sur les maux traversant la société actuelle française. Le racisme par exemple. Il est étudié ici au sein de familles délaissées, échappant à l’abstraction avec laquelle il est souvent mentionné. Chaque grand mot est évoqué à hauteur humaine, car le récit apporte une profondeur historique par des touches vibrantes : les témoignages de ceux qui les ont vécus.

Un ouvrier évoque ses mains douloureuses, lui empêchant de toucher tendrement sa femme en rentrant le soir. Un autre, la vingtaine, parle de ces lycéens qu’il croise en allant à l’usine, parce qu’il pensait que l’école après 14 ans, ce n’était pas fait pour lui. Une mère de famille témoigne de la vie  de famille très compliquée à tenir entre deux boulots. Une large partie de ses propos ont été entendus et sont connus, mais peu l’ont été en regard caméra. C’est une des grandes forces de ce film, rendant à leurs auteurs une parole devenue collective et souvent détricotée dans l’Histoire, noyée de chiffres.

Ce documentaire rappelle également qu’un tel film s’écrit, se pense et se dirige. Pour Notre-Dame brûle, Jean-Jacques Annaud a refusé de réaliser un documentaire. La raison invoquée se retrouve dans une featurette Pathé où il déclare que « le documentaire informe, quand la fiction provoque des émotions » . C’est ici qu’il est important de rappeler que ce cinéma-là est celui non seulement des émotions, mais aussi des sensations et de la réflexion. Celui dans lequel on peut regarder pour trouver ce qu’on y projette.

Bande annonce : Retour à Reims de Jean-Gabriel Périot

Fiche technique : Retour à Reims

Scénario Jean-Gabriel Périot
Image Julia Mingo
Son Yoland Decarsin, Xavier Thibault, Laure Arto
Montage Jean-Gabriel Périot
Musique Michel Cloup
Voix-off Adèle Haenel