Port-au-Prince, Dimanche 4 janvier, un film de François Marthouret : critique

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Sanglant bicentenaire

Port-au-Prince, dimanche 4 janvier est l’adaptation du roman Bicentenaire de l’écrivain haïtien Lyonel Trouillot, écrit peu après les événements sanglants qui avaient conduit à la chute du président Haïtien. Le film et le roman sont structurés autour de trois enjeux :

La tragédie : Le héros qui se prépare pour la manifestation est un véritable héros de tragédie. L’histoire respecte les unités de temps (tout se passe en une journée), de lieu (on ne sort jamais de Port-au-Prince) et d’action (le héros part de chez lui pour se rendre à la manifestation). Surtout, elle met en scène deux personnages principaux aux buts radicalement contraires : Lucien est un des leaders du mouvement étudiant, force de progrès d’un Haïti qui souhaite aller de l’avant, tandis que Little Joe est un adolescent à la dérive, qui ne respecte que la loi du plus fort et de l’argent facile. Chacun va se retrouver d’un côté de la barrière et la confrontation ne pourra avoir que de terribles conséquences.

Le portrait d’Haïti : comme Aujourd’hui, le film d’Alain Gomis où un Saul Williams qui se savait mourant rendait visite à ses amis pour sa dernière journée, Port-au-Prince, dimanche 4 janvier est autant le portrait d’un homme que celui d’une ville. Sur son chemin, Lucien va rencontrer plusieurs personnages emblématiques : son petit-frère est le jeune désœuvré qui s’est engagé auprès des chimères, faute de mieux ; sa mère, ancienne paysanne, est la voix de la sagesse terrestre du pays ; l’épicier est nostalgique d’un Haïti heureux où l’on pouvait aller danser au son des orchestres locaux ; le docteur représente les classes supérieures du pays, compatissantes en apparence mais en réalité surtout préoccupées à garder leur statut.

– Le titre original du roman : Bicentenaire renvoie à la célébration de l’indépendance d’Haïti. Si le thème n’est pas directement traité, on comprend que la lutte des étudiants demandant une vraie démocratie est parent de l’esprit de révolte des fondateurs du pays. La répression qu’elle subit est aussi la preuve qu’Haïti a tourné le dos à ses idéaux, pour devenir un lieu où le rêve cède sa place à la tragédie.

Le récit est donc très ambitieux : à la fois métaphorique et très concret, à la fois portrait d’un pays et itinéraire de deux personnages voués à se détruire. Mais le résultat est-il à la hauteur ?

A l’impossible nul n’est tenu

Lors de la présentation du film au cinéma Le Grand Action, le producteur du film a félicité le réalisateur François Marthouret pour avoir réussi à mener à bien ce projet cinématographique malgré un budget qui en aurait poussé plus d’un à abandonner. Ce n’est pas un bon signal. Si bien sûr des chefs d’œuvre ont été tournés dans des conditions économiques minimales, le fait d’avoir réussi à terminer un film ne peut jamais être quelque chose de suffisant.
Malheureusement Port-au-Prince, dimanche 4 janvier, est un film qui n’a pas les moyens de ses ambitions. Si l’histoire du tournage doit être proprement passionnante, d’autant plus que la majeure partie des scènes a été tournée en Haïti même, le résultat à l’écran est assez décevant.

Premier défaut : en 01h20, le film n’a pas le temps de donner de présence à ses personnages. Résultat, le film priorise assez étrangement lesquels seront développés. S’il est logique que les deux frères soient mis en avant, on ne comprend pas très bien pourquoi l’épicier et sa femme possèdent leur intrigue, alors que la petite amie du héros ou la journaliste française qui suit le mouvement sont proches de la figuration.

Deuxième et plus grave défaut : le film est techniquement décevant et assez mal interprété. Si les scènes où Lucien se déplace dans Port-au-Prince sont très intéressantes, car on y sent la vie de la ville, la mise en scène ne suit pas quand il s’agit de raconter quelque chose. Certains mouvements d’image sont saccadés, la lumière n’est pas très belle, les plans peu inventifs. Surtout, les acteurs ont un jeu assez particulier. L’équipe du film a pris le parti tout à fait louable de former des acteurs sur place. Si les deux acteurs principaux s’en tirent assez bien, les autres ont un jeu peu naturel et théâtral. Alors que le film vise à un certain réalisme, chaque réplique met à distance le spectateur, tellement elles sonnent faux.

Enfin, troisième défaut : le film ne rend pas honneur à l’ambition littéraire du texte. Si l’intrigue semble respectée, le roman étant assez court pour pouvoir être adapté en entier, le style lui est forcément différent. Lyonel Trouillot est un auteur très littéraire : il utilise une langue poétique, ou,  pour mieux le dire puisqu’il refuse ce qualificatif,  «  un style spiralique et baroque ». Le film rend assez peu hommage à la voix de l’auteur, sauf dans le personnage de la mère, qui par son jeu de tragédienne à la Sarah Bernhardt et par son texte mi-prophétique, mi-imprécateur, est assez décalé par rapport à la tonalité du film. Il s’agit certainement des conséquences du budget, mais là où le texte semble être très ambitieux dans son rapport à la langue, le film tente d’en faire le minimum, d’assurer la compréhension de l’histoire, le réduisant à un simple témoignage sans personnalité.

L’intention est bonne, le film moins

Il y a au départ de Port-au-Prince, dimanche 4 janvier une intention très noble : adapter un grand auteur contemporain, mettre l’éclairage sur un pays dont on ne parle pas assez, raconter une tragédie personnelle au milieu d’un drame collectif. Malheureusement le film manque trop d’argent et possiblement aussi de talent pour convaincre : intrigue squelettique et pas très bien rythmée, jeu d’acteur déconcertant, image hésitante. Un tout petit film donc que l’on ira voir plus pour ce qu’il aurait pu être que pour ce qu’il est.

Synopsis : Lucien Saint-Hilaire, étudiant en droit et en philosophie, a l’avenir devant lui. Vivant en Haïti, à Port-au-Prince, il vient de recevoir une bourse pour partir étudier en France. Son petit-frère, « Little Joe » est quant à lui en train de mal tourner et a rejoint les chimères, ces milices sanglantes au service du pouvoir. Nous sommes le dimanche 4 janvier 2004, les étudiants s’apprêtent à défiler contre Jean-Bertrand Aristide, et la tragédie est au coin de la rue.

Port-au-Prince, Dimanche 4 janvier >> Bande annonce

Port-au-Prince, Dimanche 4 janvier : Fiche technique 

Date de sortie : 29 juillet 2015
Nationalité : France
Réalisation : François Marthouret
Scénario : Sylvain Bursztejn, Marc Guilbert, Peter Kassovitz, François Marthouret, d’après le roman de Lyonel Trouillot
Interprétation : Emmanuel Vilsaint, James Star Pierre, Daniel Marcelin
Musique : Pascal Contet
Photographie : Gilles Porte
Décors : Sylvie Fennec
Montage : Margot Meynier
Production : Sylvain Bursztejn, Serge Guez, Peter Kassovitz, Richard Mayoute
Sociétés de production : Crescendo films
Sociétés de distribution : Sophie Dulac Distribution
Budget : NR
Genre : Drame historique
Durée : 01h20
Récompense(s) : aucune pour l’instant.