La Mort de Dante Lazarescu, un film de Cristi Puiu : Critique

Synopsis : Dante Lazarescu, retraité solitaire, ne se sent pas bien. Malgré les cachets, la douleur persiste. Il fait appel à ses voisins, qui eux-mêmes appellent une ambulance. Le vieux Lazarescu va se faire transporter d’hôpital en hôpital toute la nuit.

Dante Lazarescu est bel et bien vivant. Ce vieux papy ronchon passe le plus clair de sa journée à s’occuper de ses chats et à se disputer avec sa sœur au téléphone. D’emblée, le spectateur scrute les moindres faits et gestes du personnage, dans l’espoir d’y déceler un signe de faiblesse. Habile technique du metteur en scène qui capte l’attention de l’auditoire instantanément en annonçant le prétendu sujet du film. Il ne sera pas question d’un décès, mais plutôt de la lente agonie qui le précède. Chaque élément du décor frôle la mort, ne serait-ce que l’appartement décrépi du bonhomme, qui s’ajoute à la médiocrité qui le définit. Lazarescu est pathétique et rien ne donne envie de s’y attacher, d’autant plus qu’il ne cesse de se plaindre pour un rien. Pas de quoi s’inquiéter pour cet alcoolique donc, jusqu’à ce que les choses se compliquent : il crache du sang. Petit à petit, la figure de Dante Lazarescu va s’affaiblir, s’avachir, et devenir un poids. Le corps devient pour lui un fardeau incontrôlable. Puisqu’il ne peut plus s’occuper de son corps, celui-ci va être confié aux hôpitaux, où chaque personne a un rang et une fonction déterminée par son uniforme.

Le film a été vu comme traitant du mécanisme hospitalier de la Roumanie, pays du réalisateur, et plus métaphoriquement comme une critique du gouvernement. Il ne faut cependant pas réduire La Mort de Dante Lazarescu a sa simple dimension politique. Le scénario de ce grand-père trimballé dans son brancard, passant de mains en mains, donne un sentiment étrange, un mélange d’humour noir et d’injustice. Encore une fois, l’intrigue joue sur ce suspense édifiant : mais qu’a donc Dante Lazarescu ? Puiu brouille les pistes, remettant en doute la crédibilité du vieillard à travers les voisins, les médecins, et parfois Lazarescu lui-même, qui est persuadé avoir un ulcère. Va-t-il mourir, et de quoi ? Plus le film avance, et plus il est laborieux. A chaque nouveau protagoniste, il faut repartir de zéro, réexpliquer la situation de Lazarescu, qui va en s’empirant. Progressivement, la parole est passée l’infirmière, qui devra s’occuper de ce boulet, en essuyant les refus et le mépris des infirmières et des médecins. La caméra épouse parfaitement le sujet qu’elle filme, et vibre au rythme des personnages. Quand Lazarescu est calme, plan fixe, quand il flanche, elle l’accompagne. Tout naturellement, elle passera donc sur l’ambulancière lorsque le protagoniste principal ne sera plus en capacité d’apparaître de manière convenable dans le cadre.

A travers ce réalisme oppressant, Cristi Puiu entend montrer la réalité de Bucarest, la capitale roumaine, dont le film est le premier d’une série de six longs-métrages. C’est pour lui une manière de cerner son sujet, un peu à la manière d’un Rohmer et de ses Contes Moraux. Loin du réalisateur de Ma Nuit chez Maud, Puiu ne narre pas une histoire d’amour légère, mais se demande plutôt comment on peut exister pour les autres et par les autres. Dante Lazarescu veut trouver sa place, mais n’y arrive pas. La communication est de plus en plus difficile à mesure que le film avance, les mots et les phrases deviennent pénibles. Rien que pour ça, Ioan Fiscuteanu, qui nous a quitté deux ans après le film, joue un rôle exceptionnel en se décomposant littéralement devant l’écran, et en se dépossédant de lui-même.

La Mort de Dante Lazarescu : Extrait

La Mort de Dante Lazarescu : Fiche Technique

Titre original : Moartea domnului Lazarescu
Réalisation : Cristi Puiu
Scénario : Cristi Puiu, Razvan Radulescu
Interprétation : Ion Fiscuteanu (M.Lazarescu), Luminita Gheorghiu, Doru Ana, Dorian Boguta
Image : Andrei Butica, Oleg Mutu
Montage : Dana Bunescu
Musique : Andreea Paduraru
Producteurs : Alexandru Munteanu, Bobby Paunescu, Anca Puiu
Sociétés de production : Mandragora
Sociétés de distribution (France) : Bac Films
Genre : Drame
Durée : 153 minutes
Dates de sortie : 11 janvier 2006

Roumanie – 2005