Initiée il y a tout juste un an avec deux films sortis coup sur coup avec une terrible maladresse de la part de son distributeur (Wild Bunch, qui a sorti le premier, Miséricorde, en e-cinéma, alors que le second, Profanation, a eu droit à une sortie en salles à peine quelques jours plus tard), la saga policière danoise Les enquêtes du département V prend de l’ampleur.
Synopsis : La police danoise trouve une bouteille contenant un appel au secours. Celui-ci datant de huit ans, l’enquête est confiée au Département V, en charge des affaires non résolues. Assad va en profiter pour faire sortir Carl de son congé prolongé pour se lancer à la recherche d’un kidnappeur fanatique.
Ayant battu tous les records, d’abord en librairie et maintenant au box-office danois, il ne fait aucun doute que les six romans de Jussi Adler-Olsen (et, à long-terme, les dix prévus) se verront adaptés à l’écran, devenant ainsi une saga potentiellement longue et fructueuse. L’ambition initiale des studios Zentropa films (crée par Lars Van Trier, rappelons-le) était de confier chaque opus à un réalisateur différent, ce qui n’a pas pu être fait pour les deux premiers, réalisés coup sur coup, d’où le sentiment de redite dont souffrait quelque peu Profanation. En faisant réaliser le troisième épisode au norvégien Hans Petter Moland –dont on a remarqué le talent grâce à son savoureux Refroidis récompensé au festival de Beaume en 2014-, la saga s’assure davantage qu’une une rupture formelle, mais un renouveau qui la remet sur les meilleurs rails. A l’inverse de Mikkel Nørgaard dont la mise en scène très « fincherienne » avait tendance à noyer ses personnages dans un univers extrêmement sombre, un poncif formel de ce que l’on appelle le « scandi-noir », l’approche de Moland est de les placer dans des décors plus apaisants afin de mieux faire ressortir leur part de ténèbres.
Lorsqu’on le retrouve, la mécanique du trio que forme cette section spéciale de la police n’a pas évolué : Carl est toujours aussi irascible, poussé au bord du burn-out par le manque de travail, tandis qu’Assad fait preuve de beaucoup de flegme et que leur secrétaire Rose est pleine d’énergie. Toutefois, une nouvelle thématique va apparaitre dans cette affaire et devenir un angle d’approche intéressant dans la relation entre les deux enquêteurs, il s’agit de la religion. Lorsque Assad parle de sa foi en Dieu, il suscite une certaine défiance de la part de son collègue, mais non pas parce qu’il musulman –contrairement à certains racistes qui croiseront leur route– mais parce que la simple idée d’une divinité protectrice est une aberration pour quelqu’un d’aussi nihiliste que Carl. L’excellente interprétation de Nikolaj Lie Kaas apporte une nouvelle fois à son personnage une fragilité à fleur de peau sans s’embarrasser à évoquer les stigmates de son passé et de sa vie de famille explosée comme ça a été, légitimement, le cas dans les films précédents. De la même manière, le jeu très posé de Fares Fares assure à Assad une certaine profondeur, même si on regrettera qu’il reste une fois de plus en retrait. Mais incontestablement, le personnage le plus emblématique de ce troisième opus est son « méchant ». Incarné par l’emblématique Pål Sverre Valheim Hagen, ce tueur se définit lui-même comme un « serviteur du Diable », de quoi introduire instinctivement un affrontement manichéen au sens le plus romanesque du terme. Or Carl et Assad, malgré leurs efforts, sont incapables d’incarner cette justice divine que recherchent les parents des victimes et, implicitement, leur ravisseur. Cet état de fait va mener Carl à se remettre en question, brisant l’armure nonchalante que les deux premiers films n’avait fait finalement que renforcer.
Cette volonté de creuser les personnages pour faire ressortir leurs contradictions se ressent également dans la mise en scène. Là où le réalisateur des deux précédents opus enfermait constamment Carl, Assad et plus encore les victimes dans des lieux glauques, et que son chef opérateur lui fournissait une photographie grisonnante constante, ce troisième film assure une vision radicalement différente. S’y multiplient notamment les plans larges et ensoleillés sur les champs en fleurs, ou des lieux symboles de vie (un hôpital, la mer ou bien une église) et de mouvements (un train, des éoliennes). Même le petit bureau dans lequel travaillent les trois héros semble avoir gagné en superficie et en luminosité. C’est donc bien plus grâce à l’approfondissement psychologique, appuyé par de nombreux gros plans, qu’à la mise en place d’une atmosphère visuelle que le film parvient s’affirmer comme polar noir et tendu. Une tension qui d’ailleurs devient palpable dans les moments de suspense qui faisaient, là encore, défaut aux précédents films. On retiendra évidemment la course-poursuite du train, dans laquelle le réalisateur fait preuve d’un sens du rythme et du découpage qui nous garantissent une montée d’adrénaline magistrale. Peut-être la limite du film, et de la saga dans sa globalité, vient de sa volonté à opposer chaque fois les policiers à des psychopathes dont le sadisme est si exacerbé qu’ils en deviendraient presque granguignolesques. Evidemment, ceci est à mettre sur le compte de Jussi Adler-Olsen et non pas des réalisateurs qui vont se succéder pour donner corps à ces enquêtes macabres, même si c’est à Nikolaj Arcel, en charge des adaptations, que l’on peut reprocher d’avoir fait le parti-pris de simplifier les enjeux humains, en faisant l’impasse sur la vie privée de Carl et en délaissant complètement le personnage d’Assad, pour se concentrer sur une narration purement digne d’une série policière.
Incontestablement, ce troisième épisode des Enquêtes du Départmement V est à l’heure d’aujourd’hui le plus maitrisé de la saga, mais ce semblant de pente ascendante pourrait n’être que de courte durée. On attend maintenant de connaitre le nom du réalisateur qui sera en charge du suivant (intitulé Dossier 64) pour se donner une idée de la façon qu’il aura de faire perdurer cette franchise qui risque de rapidement être rendue ronronnante par sa mécanique scénaristique privé de réel renouveau.
Les enquêtes du Département V : Délivrance : Bande-annonce (VOST)
Les enquêtes du Département V : Délivrance : Fiche Technique
Titre original : Flaskepost fra P
Réalisateur : Hans Petter Moland
Scénario : Nikolaj Arcel, d’après l’oeuvre de Jussi Adler-Olsen
Interprétation : Nikolaj Lie Kaas (Carl Mørck), Fares Fares (Assad), Johanne Louise Schmidt (Rose Knudsen), Pål Sverre Valheim Hagen (Johannes), Jakob Oftebro (Pasgård), Soren Pilmark (Marcus Jacobsen)…
Photographie : John Andreas Andersen
Montage : Olivier Bugge Coutté
Musique : Nicklas Schmidt
Productrice: Louise Vesth
Société de production: Zentropa Entertainments
Distribution (France) : Wild Bunch
Durée : 112 minutes
Genre : Policier
Date de sortie : 6 mai 2016 en e-cinema
Danemark – 2015v