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Le Procès de l’herboriste : cinquante nuances de contradictions

     Le 30 juin sort le nouveau film d’Agnieszka Holland Le Procès de l’herboriste. Son titre original est Charlatan. Ce film est déjà vainqueur de 9 lions tchèques dont ceux du meilleur film et de la meilleure réalisatrice, du meilleur acteur, du meilleur acteur dans un second rôle, de la meilleure actrice dans un second rôle, de la meilleure photographie, de la meilleure bande-son et du meilleur scénario. Pourtant, malgré ce prestige, le rythme du film est imprécis et il ne répond pas à ses propres questions. Retour sur un film qui aurait pu mieux user de ses qualités.

Certains individus sont dotés de dons qu’eux-mêmes ne parviennent pas à expliquer. Cartomancie, nécromancie, clairvoyance et don de guérison restent un mystère. Si des siècles plus tard, certains arrivent à expliquer quelques-uns de ces traits comme des talents d’observation acerbe ou un effet Barnum, d’autres restent un mystère complet. Jan Mikolášek fut l’un de ces hommes. Et dans ce film, la réalisatrice Agnieszka Holland retrace sa vie, et notamment un événement de sa vie : son procès par les autorités communistes. Cependant, le film ne se définit pas comme un biopic, loin de là.

Synopsis: 1957, mort du président Antonín Zápotocký. Jan Mikolášek mène sa clinique comme d’habitude. Mais les autorités l’espionnent et bientôt il est emprisonné avec son assistant. Confiant en ses talents d’herboriste et ses contacts dans les hautes sphères, il ne s’inquiète pas plus que cela, jusqu’à ce qu’il comprenne que les autorités de son pays cherchent à vraiment en finir avec ses pratiques…

Nouveau film d’Agnieszka Holland après l’Ombre de Staline, le film se concentre cette fois sur l’ex-Tchécoslovaquie communiste. La population est pieuse, pauvre, et Jan Mikolášek est une figure certes inconnue par chez nous, mais une vraie légende urbaine dans la région.

Les premiers rôles sont tenus par Ivan Trojan et son fils Joseph pour Jan Mikolášek jeune puis âgé, Juraj Loj est l’assistant Frantisek Palko et Jaroslava Pokorná est la mentor de Jan, Mühlbacherová. Nous ne pouvons pas vraiment mesurer la popularité de ces acteurs, car les cinémas tchèque et polonais nous sont inconnus, mais il semble que les acteurs soient très populaires dans leur pays d’origine. Nous ne pouvons qu’adhérer au choix du casting car les acteurs sont incroyables. L’accolade va notamment à Juraj Loj qui ne joue pas son personnage mais le possède avec l’intensité qui lui sied. Quant à Ivan Trojan, c’est sa seconde collaboration avec Holland, la première ayant eu lieu sur sa mini-série Sacrifice, sortie en 2013.

Le film regorge de qualités sur lesquelles nous allons nous attarder, mais nous allons aussi nous intéresser à ce qui fait de cette expérience cinématographique une légère déception. Nous essaierons d’expliquer notre point de vue sans révéler les moments clés de l’intrigue.

Redécouverte d’une figure :  Jan Mikolášek

Ce film a une qualité évidente, il nous a fait découvrir une figure tchécoslovaque incroyablement mystérieuse. Les informations sur Jan Mikolášek sont très rares, il n’y a que deux pages qui lui sont dédiées sur wikipédia, elles sont en polonais et en tchèque. Il n’y a quasiment aucune source anglophone ou francophone sur ce personnage historique. De ce fait, cette production répond à une qualité culturelle importante en faisant sortir de l’ombre une légende urbaine locale.

Les informations sont rares mais voici les plus récurrentes. Jan Mikolášek naît à Rokokany le 7 avril 1889 sous l’empire austro-hongrois dont la Tchécoslovaquie de l’époque était une région. Il est fils de jardinier et il continue le métier de son père. Et il a déjà une certaine connaissance des plantes. Il se forme par la suite auprès de Madame Mülbacher ou Mülbacherova, une sorte de spécialiste en herbes. Et c’est elle qui lui aurait appris à débusquer des infections et des maladies à travers l’urine. Dans les deux pages, il est souligné que Mikolášek voyait sa compétence comme un « don » et que même s’il n’était pas médecin, son activité ne comportait aucune « magie » ou sorcellerie. Il soignait par les herbes. On pourrait dire qu’il était une sorte de phytothérapeute. Il reportait le cas à un médecin lorsqu’il s’estimait impuissant.

Sous tous les régimes, il a dû collaborer d’une certaine manière. Il a soigné des Tchécoslovaques, mais aussi des autorités nazies. C’était une des charges retenues contre lui à son procès en plus d’être accusé de charlatanisme, de vendre les herbes trop chères et de fraude fiscale. Et c’est le successeur du président socialiste Antonín Zápotocký, Antonín Novotný qui cherchait à le condamner. Il est condamné à trois ans de prison, puis à cinq après qu’il a fait appel. Par la suite, les versions divergent, l’une dit qu’il est mort dans la pauvreté, l’autre qu’il a repris ses activités les cinq dernières années de sa vie. Dans tous les cas, il décède le 29 décembre 1973 à Prague.

Les aspects techniques du film

Nous traiterons de deux points dans cette partie : l’aspect visuel du film et le scénario. Nous pensons que ces deux points constituent la force et la faiblesse du film.

Esthétique du film

Au niveau visuel, nous ne pouvons qu’apprécier le choix de la réalisatrice, d’adopter des tons froids durant la majorité du long-métrage. Ils s’adaptent parfaitement à l’aspect mélancolique et oppressif du système communiste et de l’événement traversé par le personnage. L’ombre est presque présente en permanence à l’image, les regards sont sombres, les cheveux, même clairs, ont des tons ternes, les roux cuivrés deviennent des rouilles, les blonds foncés ont la couleur des feuilles mortes. Cette façon de présenter l’univers permet de mettre le spectateur mal à l’aise, voire de le faire se sentir oppressé, le souffle coupé. Cette esthétique faite de grisaille et d’ombre retranscrit parfaitement l’atmosphère suffocante de la guerre froide et de l’autoritarisme de l’époque.

Scénario

Écrit par Marek Epstein, le scénario est écrit de façon à faire des navettes entre le passé et le présent. Le flash-back est une méthode que beaucoup de films utilisent. Pulp Fiction de Quentin Tarantino par exemple joue cette carte et a gagné sa célébrité à partir de ce critère. Mais dans ce film, ce n’est pas utilisé d’une bonne manière. En effet, cela donne un effet flou et « haché » au film qui est assez désagréable. Par contre, le contraste entre les beaux jours vécus par Mikolášek et les mauvais, représentés par les scènes en prison, est très bien amené.

L’autre défaut de ce scénario est la fin. Nous ne dirons pas ce qui s’est passé mais vous enjoignons à le voir pour comprendre en quoi elle est décevante. Mais nous la résumerons ainsi: Palko n’a pas menti lorsqu’il parlait du fait qu’il était un employé loyal et fidèle. Jan, lui, ressort définitivement détestable.

Ainsi, ce que le film gagne à la mise en scène, il le perd malheureusement à cause du procédé très mal maîtrisé pendant le montage.

Un portrait nuancé de Mikolášek  

Il est intéressant de constater les différentes nuances de Jan. Tour à tour stoïque, cruel, violent, possessif, ou amoureux, le film montre un Jan Mikolášek tout en contraste. En toute franchise, il semble assez détestable même si les contrastes lui apportent de l’humanité. Mais ce n’est pas là pour nous faire aimer ou détester le personnage. C’est pour nous montrer que l’humain est fait de contrastes.

Le personnage est vraiment bizarre parce qu’il est humain et « gentil » avec ses patients, puisqu’il les aide, quitte à leur donner de l’argent pour se soigner, mais il est aussi terrible et cruel avec ses proches, que ce soit envers la personne qu’il a aimée ou sa sœur, ou même son père. Il est difficile de le plaindre, surtout après le dénouement de cette histoire.

Il est aussi difficile de le définir comme charismatique, au contraire c’est un homme effacé. Dans d’autres conditions, il aurait été un ermite ou un moine. Il a cette piété empreinte de souffrance qui est montrée durant le film. Il passe son temps à prier devant une croix, agenouillé sur des pierres coupantes, cherchant la rédemption.

L’opium du peuple

Mikolášek est un personnage pourtant intéressant pour une autre raison. Nous sommes en Tchécoslovaquie communiste, et pourtant, les individus venant voir l’herboriste sont très pieux. Et ces individus croient vraiment en ses pouvoirs. Jan est une sorte de miracle pour la population qui vit dans une certaine misère. A ce titre, il devient une sorte d’ «opium du peuple» comme le veut la célèbre formule de Marx, car il est en quelque sorte une extension de cette foi où ils trouvent refuge. Il a donc un pouvoir sur eux.

Ce que nous reprochons à ce film est qu’il n’explique pas explicitement en quoi Jan était une menace. Qu’il soit condamné pour charlatanisme est compréhensible, surtout si le personnage arnaquait ses clients. Mais ici, ce personnage est condamné par le président en personne et il y a un véritable acharnement à son encontre. L’affaire est montée de toute pièce.

Conclusion

Le nouveau film d’Agnieszka Holland est une sortie intéressante, dépoussiérant un personnage inconnu dans nos contrées, mais qui pâtit de problèmes de scénario et de montage qui prennent le pas sur une production très originale et intéressante. Il est quand même intéressant parce que le personnage est très nuancé et de ce fait très humain, mais l’idée ne sera pas de l’aimer ou de le détester mais de montrer que son humanité l’amène à des actes, bons comme mauvais.

L’intérêt est de montrer comment un homme qui apportait un semblant d’espoir à une population encore très croyante a passé plusieurs régimes politiques, et s’est retrouvé condamné à cause de son pouvoir indirect sur ces individus. Nous conclurons notre article par ce célèbre adage japonais pour expliquer l’erreur de Mikolášek: « le clou qui dépasse appelle le marteau. »

Le Procès de l’herboriste : bande annonce

Le Procès de l’herboriste : Fiche technique

Réalisatrice: Agnieszka Holland
Scénariste: Marek Epstein
Musique: Antoni Lazarkiewicz
Costumes : Katarina Bielikova
Durée: 118 minutes
Langues: Tchèque, Allemand
Année: 20 Août 2020, sorti le 30 Juin 2021 en France

Sources pour rédiger cet article :

Jan Mikolášek, -page polonaise wikipédia- ; -page tchèque wikipédia- ; Liste des présidents de Tchéoslovaquie -wikipédia- ; jan mikolasek -courrier international-  ; le procès de l’herboriste –imDb; image -imdb-; Czech Lion awards –wikipédia– ; charlatan –wikipedia– ; phytothérapie –wikipédia– ; opium du peuple –wikipédia– ; Agnieszka Holland –wikipédia– ; Ivan Trojan –wikipedia– ; citation –leparisien– ;