Adapté d’un conte des frères Grimm, La Jeune fille sans mains, réalisé par Sébastien Laudenbach, est une prouesse d’animation à la française, bouleversant les codes du genre à tous les niveaux.
Son nom ne vous dit sûrement rien, mais Sébastien Laudenbach mérite qu’on parle de lui. Il est connu dans le milieu pour ses courts-métrages d’animation qui tournent dans les festivals depuis une vingtaine d’années. En 1998 sortait Journal, commentaire de sa vie où on peut voir se multiplier les techniques d’animations. Elles sont aussi superbes que le discours est sincère et direct.
La Jeune fille sans mains est donc le premier long-métrage de ce monsieur, étonnant en tout points. D’abord, le sujet. Il s’agit de l’adaptation d’un conte des frères Grimm. L’univers des deux germaniques est, comme chez Perrault, souvent dur et cruel (bien que les contes soient aujourd’hui remaniés et édulcorés). Sébastien Laudenbach a décidé de montrer les choses de la manière la plus simple : il y a du sang, il y a des morts. A la différence d’un Sausage Party, Sébastien Laudenbach ne fait pas dans la surenchère pour faire rire ou choquer, il donne à voir la vie telle qu’elle est, sans fard mais aussi sans jugement. Les enfants ne sont pas idiots, ils comprennent beaucoup plus que nous ne voulons le croire, et ceux qui étaient avec moi dans la salle n’ont nullement été choqués pendant la projection par ce sein ou ce cadavre. Il faut dire que le dessin y est pour beaucoup dans la manière dont le film est représenté. Comme il s’agit de l’adaptation d’un conte, il ne faut pas non plus mettre de côté toute la dimension fantastique de l’histoire : le Diable apparaît personnifié, sous de multiples formes, les rivières sont habitées par des esprits. Là encore, l’animation permet une liberté bien plus grande dans la manière dont ce monde est retranscrit, souvent simple et ingénieux.
La technique employée dans La Jeune fille sans mains rappelle certainement Le Conte de la princesse Kaguya sorti l’année passée. C’est le trait lui-même qui se retrouve animé par son apparition et sa disparition perpétuelle : il vit sous nos yeux, aussi léger qu’une respiration. Il n’est pas attaché à la couleur, qui elle semble être posée là, brute. Elle ne caractérise pas les personnages, et bien souvent elle n’est qu’une touche rajoutée à un moment donnée, elle correspond à l’ambiance, illustre un état d’esprit. Le tout se déroule dans un décor simplifié à l’extrême, esquissé par de magnifiques brossés. Si le dessin est léger, il en est de même pour le son. La musique est simple et belle et les voix des personnages sont aussi douces que des berceuses. Ce sont celles de Anaïs Demoustier, Jérémie Elkaïm et Phillipe Laudenbach, le père du réalisateur. Le plus étonnant dans tout cela, c’est que la délicatesse du travail n’empêche pas à l’histoire d’être captivante, ne cédant pas à la seule poésie des yeux qui pourrait mettre sur la touche certains spectateurs. La Jeune fille sans mains est également le récit d’une petite fille, forcée de grandir malgré elle. Pourchassée par le Diable, la jeune fille doit se débrouiller toute seule, bien loin des princesses sucrées que l’on peut voir habituellement dans les films destinés aux enfants.
On espère forcément que le film de Sébastien Laudenbach rencontre le même succès qu’une autre surprise de cette année, Ma Vie de Courgette de Claude Barras. La Jeune fille sans mains en est pourtant diamétralement opposé dans sa conception. Courgette, fait en stop-motion, a nécessité d’importantes équipes de tournages, surtout des animateurs, tournant en simultané plusieurs scènes dans les studios lyonnais de Rhône-Alpes Studios. La Jeune fille sans mais a quant à lui été conçu entièrement par Sébastien Laudenbach, qui a donc animé entièrement 1h15 de film à 12 images par seconde. Ce faisant, il questionne également la manière que l’on a de produire et de créer des films (d’animation, mais pas que, longs, mais pas que). Ici, on ne peut contester que le réalisateur est l’auteur de La Jeune fille sans mains. Le point commun des films de Barras et Laudenbach (outre leur prix au Festival d’Annecy) est certainement la liberté de paroles sur des sujets durs, qui ne prend pas les gens pour des imbéciles. J’écris « les gens », car La Jeune fille sans mains est bel et bien à mettre entre toutes (les mains), et surtout devant tous les yeux.