Je vous souhaite d’être follement aimée, un film d’Ounie Lecomte : Critique

Malgré ses origines coréennes, il est frappant de voir à quel point Ounie Lecomte a les mêmes airs que Céline Sallette arbore dans son nouveau film Je vous souhaite d’être follement aimée : un front plus que buté, un regard intense, une mine grave. De même que la petite Kim Sae-ron du précédent film, Une vie toute neuve, pouvait être son exact double enfantin…

Synopsis: Elisa, kinésithérapeute, part s’installer avec son jeune fils, Noé, à Dunkerque, ville où elle est née sous X. Quelques mois plus tôt, elle y a entrepris des recherches sur sa mère biologique, mais cette femme a refusé de dévoiler son identité. À la recherche d’une mère inconnue, de son passé et de leur histoire, Élisa ne renonce pas et veut comprendre… Le hasard va bouleverser ses attentes…

Poetry

C’est que l’histoire personnelle d’Ounie Lecomte est indissociable de ses films : on y parle de l’adoption, mais surtout d’abandon, de la peur de l’abandon, de l’incompréhension de l’abandon.

Poetry, le titre de cet article, fait aussi bien référence à Lee Chang Dong crédité de remerciements dans le générique de fin, le producteur et mentor coréen d’Ounie Lecomte pour ce film autobiographique tourné en Corée, Une vie toute neuve, qu’à André Breton, à qui elle a emprunté la phrase « Je vous souhaite d’être follement aimée », une adresse du grand écrivain à la future jeune femme de 16 ans que son bébé de 8 mois allait devenir. Et de fait, malgré un ancrage social très fort (nous sommes à Dunkerque, ville multiple éprouvée par la guerre), le film n’est que poésie et douceur, au point peut-être de perdre pied par moments en terme de réalisme.

 

Elisa est une belle jeune femme trentenaire au regard triste qu’on découvre dans un trajet ferroviaire de Paris vers Dunkerque. Un trajet solitaire, une entreprise qu’elle ne peut mener que seule : elle part à la rencontre de la femme qui est habilitée à organiser une rencontre entre elle et sa mère biologique qui l’a abandonnée à sa naissance après un accouchement sous X. Celle-ci refuse de la rencontrer, mais Elisa persiste et accepte un remplacement de 6 mois à Dunkerque (elle est kinésithérapeute). Elle s’y installe avec son fils Noé, et laisse son compagnon Alex à Paris.

Le film d’Ounie Lecomte est un récit à deux voix, celle d’Elisa et celle d’Annette. Par construction, le spectateur comprend très vite que la personne recherchée par Elisa est Annette. Elisa donc, d’un côté, qui n’arrive pas à aimer correctement ni son compagnon -à l’écoute pourtant- ni son fils qui est perturbé par l’amorce de séparation de ses parents. Dans son travail de kiné, dans ces corps à corps multi-quotidiens filmés magnifiquement par la grande Caroline Champetier, Elisa est tactile, on l’imagine douce, aimante, voire sensuelle. Mais dans sa vie de tous les jours, elle n’arrive justement pas à s’abandonner. Par peur de s’y perdre, sans doute, ressassant depuis trop longtemps la question de son abandon par sa mère biologique. « Je ne sais pas comment m’y prendre » dit-elle en parlant des relations difficiles avec son jeune Noé. La cinéaste réussit à restituer parfaitement cette douleur originelle qu’est la sienne, ce trou béant que même la maternité n’est jamais venue combler.

D’un autre côté, Annette (Anne Benoît), une femme triste elle aussi, partageant sa vie entre sa mère Renée (Françoise Lebrun), habitant un étage au dessus d’elle, et ses trois chiens, arrivés les uns après les autres à son foyer au même rythme que des enfants qu’elle n’a pas eu. Travaillant à la cantine de l’école de Noé, elle se prend d’affection pour ce petit garçon révolté, inexplicablement mat et frisé avec un père « champenois de Champagne » et qui lui aussi, se heurte, si jeune déjà, à des questions d’identité. Au détour d’une discussion, Annette apprend que la maman de Noé est kiné. C’est ainsi, par le plus grand des hasards, que mère et fille se frôlent littéralement et apprennent à se connaître sans se reconnaître. Toutes ces scènes de séances de kiné où Elisa soigne Annette, où une sorte de complicité naît entre les deux femmes, sont merveilleuses de délicatesse et de beauté, avec en acmé celle où dans le cadre d’une banale technique de travail, Elisa englobe Annette dans une position fœtale extrêmement évocatrice et émouvante, dans une inversion des rôles très touchante.

La mise en scène permet au spectateur de profiter pleinement de ces émotions. Comme les deux protagonistes sont très vite parfaitement identifiées, toute son attention peut se tourner vers cette rencontre qui se fait en douceur, à l’insu des intéressées…

Le travail des acteurs est remarquable, celui de Céline Sallette en particulier : des regards qui suffisent à exprimer toute sa souffrance, des regards durs, inquiets, perdus ou au contraire pleins d’amour quand ils se tournent vers son fils ; une préparation sérieuse quant à son rôle de kiné, qui met en exergue son rapport avec le corps des autres et avec le sien propre. Eclairée d’une lumière très douce et filmée en très gros plans, la peau des patients sous la main d’Elisa, celle d’Anne Benoît notamment, incarne totalement le film d’Ounie Lecomte pour lui donner une épaisseur organique en adéquation avec les quêtes de soi qui sont en question dans Je vous souhaite d’être follement aimée.

Les autres acteurs sont à l’avenant : Anne Benoît, parfaite dans le rôle d’une femme qui vit la vie d’une autre, la vie de sa mère très intrusive, ce dernier personnage étant joué par Françoise Lebrun, décidément parfaite à tous les âges ; Louis-Do de Lencquesaing, sensible et délicat dans le rôle du compagnon d’Elisa, et même la discrète Catherine Mouchet dans son modeste rôle de celle par qui tout va arriver imprime le film de sa forte personnalité, aussi ténébreuse que malicieuse…

Une dernière actrice et non des moindres est la ville de Dunkerque, une belle endormie pour laquelle Caroline Champetier elle-même dit avoir eu un coup de foudre. Une ville que la très belle musique d’Ibrahim Maalouf et sa trompette (1) rendent presque méconnaissable, différente. Filmée de nuit ou de jour, avec des séquences marines nombreuses et variées, des séquences parfois à rallonge il est vrai, la ville de Dunkerque est propice à toutes les passions, à toutes les belles histoires d’amour : Parfait amour de Catherine Breillat en 1996, Quand la mer monte d’Yolande moreau et Gilles Porte en 2004, ou encore Les Beaux Jours de Marion Vernoux en 2013 pour ne citer qu’eux…

Je vous souhaite d’être follement aimée est un film idéal (casting, musique, scénario même si on peut le trouver un peu foisonnant). Alors que c’est une pure fiction, le film crie la sincérité d’Ounie Lecomte, sa souffrance d’enfant abandonnée aussi, et cette onde se transmet au spectateur de manière bouleversante.            

(1) à propos d’Ibrahim Maalouf : Le son singulier de sa trompette, inventée par son père, renvoie pour moi ici à l’idée du souffle. (Ounie Lecomte , dossier de presse)

Je vous souhaite d’être follement aimée – Bande annonce

Je vous souhaite d’être follement aimée – Fiche technique

Date de sortie : 06 Janvier 2016
Réalisateur : Ounie Lecomte
Nationalité : France
Genre : Drame
Année : 2015
Durée : 100 min.
Scénario : Ounie Lecomte, Agnès de Sacy
Interprétation : Céline Sallette (Elisa), Anne Benoît (Annette), Elyes Aguis (Noé), Louis-Do de Lencquesaing (Alex), Françoise Lebrun (Renée), Catherine Mouchet (Madame Kubiak)
Musique : Ibrahim Maalouf
Photographie : Caroline Champetier
Montage : Tina Baz
Producteurs : Laurent Lavolé
Maisons de production : Gloria Films
Distribution (France) : Diaphana Distribution
Récompenses : –
Budget : –

Redactrice LeMagduCiné