Dalton Trumbo, un film de Jay Roach : Critique

Synopsis : En 1947, Dalton Trumbo est le scénariste le plus en vue, et le mieux payé, d’Hollywood mais il est parallèlement membre du Parti communiste. Lorsque la Commission sur les activités anti-américaines décide de l’écarter de l’industrie cinématographique, il choisit de poursuivre son activité dans la clandestinité.

Au nom du premier amendement

Même s’il n’est connu des spectateurs français que pour ses comédies, la trilogie Austin Powers et Mon beau-père et moi, Jay Roach a également signé des téléfilms politiques sur les élections présidentielles de 2000 et 2008. Cela faisait-il de lui le cinéaste le plus légitime pour mettre en scène un biopic révélateur de la période la plus sombre de la politique américaine du siècle dernier ? Rien n’est moins sûr. Pour quiconque connait un tant soit peu l’histoire du cinéma américain, le nom de Dalton Trumbo évoque deux choses : d’une part le film le plus antimilitariste de la guerre froide, Johnny s’en va en Guerre, et d’autre part la liste noire à laquelle il a été rattaché pour ses convictions politiques communistes. C’est sur cet aspect de la vie du scénariste que ce biopic a fait le choix de se concentrer.

Ayant déjà collaboré avec Bryan Cranston dans le cadre d’une pièce de théâtre (qui fut depuis elle-aussi déclinée en téléfilm) dans laquelle il incarnait le président Lyndon Johnson, Roach a décidé de lui confier le rôle-titre. De quoi satisfaire les fans de l’ancien interprète de Walter White dans Breaking Bad qui ne trouve depuis que des rôles très secondaires (Argo et Godzilla). Une opportunité d’autant plus alléchante que l’on sait l’Académie des Oscars amatrice de ces interprétations de personnages réels, un adage qui s’est d’ailleurs vu confirmé par la nomination de Cranston à l’Oscar du meilleur acteur. Et pourtant, la prestation Cranston dans la peau du scénariste blacklisté est à l’image de l’ensemble du film : bien trop sage. Il est indéniable que l’acteur fait profiter au personnage de son charisme naturel, mais l’ambiguïté que le film aimerait lui donner n’est jamais concrète.

Si le personnage est bien plus lisse qu’on aurait pu l’espérer, c’est toutefois moins du fait du jeu en retenue de son acteur que de l’écriture frileuse. L’une des intentions premières du scénariste John McNamara était d’observer les conséquences de la « chasse aux sorcières » sur les proches de ses victimes. C’est ainsi que l’intrigue tourne essentiellement autour de la vie de famille Trumbo. Une approche bien moins intéressante à suivre que ne l’aurait été une interrogation sur la création artistique ou la façon dont un discours politique anticonformiste peut se diffuser via le cinéma. Au lieu de ça, ce sont donc les relations entre Dalton Trumbo, sa femme et leurs enfants qui réussissent à devenir un enjeu au moins aussi important que la carrière de l’homme de la maison. Un comble quand on réalise, au final, à quel point les personnages de Cléo, Chris et Niki ont été sous-exploités par le développement de l’intrigue. Et la vie de cette famille aurait encore été bien plus captivante si le film avait respecté un minimum la vérité historique, c’est-à-dire en retranscrivant son exil forcé au Mexique plutôt que de les installer dans un petit pavillon américain.

Le non-respect de la vérité historique est en effet l’un des plus gros reproches que l’on puisse faire à ce biopic : Le fait de ne jamais évoquer Johnny s’en va en Guerre (hormis une jaquette de livre  aperçue dans le générique d’ouverture), dont la réalisation fut tout de même l’aboutissement de la carrière de Dalton Trumbo relève presque du manque de respect à son égard !

Le réalisateur préfère concentrer ses efforts sur la reconstitution du Hollywood des années 40-50. Il faut reconnaitre que la direction artistique est en cela très réussie, et que le plaisir de croiser quelques stars connus rend certaines scènes agréables. Peut-être d’ailleurs aurait-on aimé en voir un peu plus… ne serait-ce que Kubrick ou Paul Newman. Mais autant Dean O’Gorman (le nain Fili dans Le Hobbit) est étonnamment convaincant en Kirk Douglas, autant David James Elliott offre une image des plus réductrices de John Wayne. De quoi choquer ses fans. Encore une fois, la faute en revient à l’écriture du scénario et à sa volonté de vulgarisation de la réalité. Preuve en est le stéréotype de producteur opportuniste interprété par John Goodman, une version poussive de ses rôles dans The Artist ou  Panic sur Florida Beach. Mais le pompon du surjeu revient immanquablement à Helen Mirren qui, dans la peau d’une chroniqueuse de la presse à scandale, réussit à être plus caricaturale que ne l’est Tilda Swinton qui tenait un rôle similaire dans Ave Ceasar des frères Coen.

La mise en scène de Roach s’accorde de plus à l’académisme du scénario. Sa réalisation très plan-plan, aucunement supérieure à un format téléfilmique, ne met que trop rarement en avant son personnage et son interprète (seule la scène du passage devant la commission est en cela assez réussie). Plus dommageable encore, l’idée que les excès de la censure anti-communiste puisse faire écho à  l’actuel conservatisme dont souffre Hollywood ne semble pas avoir traversé l’esprit du réalisateur. Il est même difficile de discerner vers quel message politique tend ce long-métrage qui, pourtant, a tout du film à discours. Au-delà des valeurs familiales et du manichéisme puéril opposant les vilains censeurs aux gentils défenseurs de la liberté d’expression sur lesquels repose cette dramaturgie pleine de bons sentiments, l’idéologie communiste semble tout autant défendue que la loi du marché régissant l’industrie hollywoodienne. Un paradoxe sur lequel a vraisemblablement su jouer Dalton Trumbo pour faire prospérer sa carrière mais à propos duquel il aurait été bon que ce film ait le courage de trancher clairement. Le manque d’audace, tant sur la fond que sur le forme, dans le traitement de ce sujet qui, il y a de ça moins de 20 ans entre les pattes d’un réalisateur tel qu’Oliver Stone, aurait abouti un brûlot acerbe sur les ravages de la bien-pensance américaine sur la liberté d’expression, est symptomatique du déclin artistique que traverse actuellement Hollywood s’interdisant toute innovation et remise en question.

De nombreux films ayant déjà abordé la question épineuse des conséquences du Maccarthysme sur l’industrie cinématographique (à commencer par le très bon La Liste Noire d’Irwin Winkler en 1991), ce biopic de Dalton Trumbo n’a rien de neuf à nous apprendre sur le sujet. Aussi pompeux et impersonnel que peut l’être le discours d’hommages qui lui sert de conclusion, on ne retiendra de ce long-métrage que la surprise de constater que Bryan Cranston porte bien la moustache.

Dalton Trumbo : Bande-annonce

Dalton Trumbo : Fiche technique

Titre original : Trumbo
Réalisation : Jay Roach
Scénario : John McNamara d’après le livre de Bruce Cook
Interprétation : Bryan Cranston (Dalton Trumbo), Diane Lane (Cleo Trumbo), Elle Fanning (Niki Trumbo), Helen Mirren (Hedda Hopper), Louis C.K. (Arlen Hird)…
Montage : Alan Baumgarten
Photographie : Jim Denault
Musique : Theodore Shapiro
Production : Michael London, Janice Williams, John McNamara, Jay Roach, Shivani Rawat, Nimitt Mankad
Société de production : ShivHans Pictures
Distribution : UGC Distribution
Genre : Biopic
Durée : 124 minutes
Date de sortie : 27 avril 2016
Etats-Unis – 2015

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