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Born to be blue, un film de Robert Budreau : Critique

Le titre de la chanson Born to be Blue illustre parfaitement ce besoin viscéral qui animait le jazzman Chet Baker à se faire reconnaitre par ses pairs. C’est sur cette thématique de l’addiction musicale que s’est bâtie cette quête de rédemption artistique qui manque pourtant terriblement de swing.

Synopsis : Los Angeles, 1966. Chet Baker est au paroxysme de sa carrière, au point d’être embauché pour jouer son propre rôle dans un film qui lui est consacré. Alors qu’il essaie de mettre fin à son addiction à l’héroïne et qu’il entame une relation avec sa partenaire de jeu, il est agressé par son ex-dealer qui lui brise la mâchoire et plusieurs dents. Il est désormais incapable de jouer de la trompette mais refuse d’en rester là. Il lui faudra plus de 6 ans et le soutien de son amie pour revenir sur le devant de la scène.

Passage à vide

Après pas moins d’une vingtaine de courts-métrages réalisés en 12 ans, le canadien Robert Budreau s’est décidé à consacrer son premier long à l’une de ses premières passions, le jazz. Son choix s’est porté sur l’une des légendes les plus emblématiques du genre, le trompettiste Chet Baker, aussi bien connu pour ses performances musicales que pour sa consommation abusive de drogues qui lui fut fatale. Le genre de personnage au fort potentiel cinégénique. Par un heureux hasard du destin, Ethan Hawkes avait plusieurs années plus tôt préparé le rôle en vue d’un projet de biopic avec son acolyte Richard Linklater. Il ne lui manquait alors que de choisir sous quel angle aborder le parcours chaotique de cet artiste qui se plaisait à raconter des histoires à propos de son passif. L’idée de prendre à revers le schéma classique du « rise and fall » est tout à la fois ce qui rend son film singulier et qui lui fixe ses limites. Se concentrer sur la traversée du désert qu’a connu Baker entre 1966 et 1973 prive les spectateurs de ce qu’ils étaient légitimement en passe d’attendre d’un biopic musical.

En plus d’être les scènes les mieux filmées du long-métrage, les cinq premières minutes et le concert final sont les seuls passages où l’on profite pleinement du génie artistique de Baker. Au-delà de ça, seuls quelques rares souvenirs en noir et blanc (un dispositif des plus basiques et fort mal exploité) nous permettront d’entendre le son de son jazz. Le travail sur la dimension métafilmique, bénéficiant d’une magnifique photographie le rapprochant de l’imagerie underground de l’époque, qui fait office d’ouverture laisse trop vite sa place à une mise en scène bien plus plate. On n’en tirera finalement que le regret de ne pas pouvoir assister à la place au projet avorté de Dino de Laurentiis qui sert ici de point de départ rapidement mis de coté.

Malgré l’excellente prestation d’Ethan Hawke, qui interprète pour l’occasion quelques chansons, cet hommage consacré à Chet Baker ne parvient pas se calquer sur l’esprit tourmenté et frondeur du célèbre trompettiste héroïnomane.

La volonté de reconstruction et surtout le combat intérieur de ne pas retomber dans la drogue deviennent dès lors les enjeux majeurs dans la vie de Chet Baker, sans pour autant parvenir à la grâce de L’Homme au Bras d’Or (Otto Preminger, 1955) qui reposait sur une thématique parfaitement similaire. Budreau n’a pas eu d’autre choix, pour donner vie à ce moment d’existence morose, que de l’accompagner d’une histoire d’amour, au risque de faire prévaloir un certain classicisme romanesque sur son drame psychologique. La sous-intrigue romantique qui entretient cette relation fictive entre Chet Baker et une jeune actrice devient rapidement le principal fil conducteur de ce scénario qui perd alors de vue la problématique de la création artistique au profit d’un académisme mielleux.

La force de cet hommage restera inéluctablement le jeu très intériorisé d’Ethan Hawke sur les épaules de qui repose toute la difficulté propre à cet ancien junkie à ne pas replonger dans la drogue et surtout l’ambition qui le ronge. La sensibilité et la maladresse dont il fait preuve tout du long sont à l’image de l’ensemble du film, permettant paradoxalement de faire des imperfections de la réalisation autant d’arguments allant dans le sens de la fidélité à laquelle elle prétend. Et pourtant, il eut été fort préférable que ce parti-pris se concentre davantage sur les exubérances du personnage que sur ses douloureuses introspections. Définitivement, on reste dans l’attente de voir un jour un film entièrement consacré à la gloire qu’a connu Chet Baker à la fin des années 50 au sein d’un milieu dominé par la communauté afro-américaine. Ceci aboutira assurément à un spectacle bien plus plaisant, tant pour sa musique que pour l’exploitation de cet artiste plein de contradictions, que de le voir ainsi hanté par la nostalgie de cette époque tandis qu’il s’habitue à son dentier et essaie d’épouser sa dernière muse. Malheureusement, il semble que ce ne soit pas à l’ordre du jour.

Born to be blue : Bande-annonce (VO)

Born to be Blue : Fiche technique

Réalisation : Robert Budreau
Scénario : Robert Budreau
Interprétation : Ethan Hawke (Chet Baker), Carmen Ejogo (Jane), Callum Keith Rennie (Dick Bock), Kedar Brown (Miles Davis)…
Photographie : Steve Cosens
Montage : David Freeman
Musique : David Braid, Todor Kobakov, Steve London
Décors : Aidan Leroux
Production : Robert Budreau, Leonard Farlinger, Jennifer Jonas, Jake Seal
Sociétés de production : New Real Films
Sociétés de distribution : Kinovista
Genre : Biopic
Durée : 97 minutes
Dates de sortie : 11 janvier 2017

Canada/Royaume-Uni – 2015

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