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Copyright : 2019 - Dharamsala, Darius films, Pathé films, France 3 Cinema

AFF 2019 : Proxima, d’Alice Winocour, loin des étoiles

L’Arras Film Festival est l’occasion de découvrir films français et européens, nouveautés et classiques du cinéma. Ce samedi, LeMagduciné a pu découvrir Proxima d’Alice Winocour (réalisatrice de Maryland, scénariste de Mustang), parcours d’une mère astronaute et de sa fille avant le départ de la première dans les étoiles.

Synopsis : Sarah est une astronaute qui s’entraîne avec acharnement au Centre spatial de Cologne, unique femme au milieu des astronautes européens. Elle vit seule avec sa fille de 7 ans, Stella, qu’elle couve d’un amour inquiet, se sentant coupable de ne pas pouvoir lui consacrer plus de temps. Quand Sarah est choisie pour partir à bord d’une mission spatiale d’un an, baptisée Proxima, sa vie et celle de Stella sont bouleversées.

Loin des étoiles, trop près du coeur

Avec Proxima, Winocour veut approcher l’espace avec un point de vue concret, terre-à-terre. Pas vraiment de héros ici, sauf lors des séquences de presse, mais des hommes et des femmes qui repoussent leurs efforts afin d’affronter l’espace et les conditions d’explorations humaines de ce cosmos inadapté à la vie telle qu’on la conçoit. Pourquoi vouloir aller dans l’espace ? Voilà une question à laquelle le film échoue à donner une réponse passionnée. Sarah explique avoir toujours eu l’envie d’être astronaute. Mais à part le rêve de gosse qui a motivé chacun d’entre nous, peu de raisons concrètes nous sont données. L’envie de repousser les frontières de l’exploration et les connaissances humaines est à peine évoquée par son mari astrophysicien, jamais par l’équipage de voyageurs de l’espace. On déclare aussi que ce voyage est la première étape de celui pour Mars, mais à quelles fins ? On ne le sait guère. Et puis, pourquoi aller dans l’espace, surtout quand tout nous retient ?

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L’un des quelques moments intéressants du film se tient dans ce plan où l’enjeu de la relation mère/astronaute-fille du métrage est justement capté.
Copyright : 2019 – Dharamsala, Darius films, Pathé films, France 3 Cinema

Sarah ne cesse de penser douloureusement à sa fille, Stella, qui lui manque, et qu’elle s’apprête à quitter pour un an. Un an loin de Stella, avec laquelle elle entretient un puissant lien de mère-fille. Pourquoi faire de Sarah une astronaute au rythme cardiaque bien entraîné, et dire que ce dernier ne peut plus dépasser un certain nombre de battements par minutes tant dans des moments sportifs qu’au quotidien, si c’est pour exposer dans plusieurs moments qu’elle ne peut se contrôler lorsqu’il s’agit de Stella ? Cette perte de contrôle est d’autant plus dommageable qu’elle emmène son personnage dans des situations irréalistes allant à l’encontre du récit pragmatique de Winocour ? Comment une astronaute peut-elle quitter un centre aérospatial pendant une nuit sans attirer l’attention de caméras, techniciens et autres autorités ? Pourquoi une enfant peut-elle assister à une réunion importante concernant le retour de la mission alors que le protocole l’interdit ? Et pourquoi les déplacements cavaleurs de la même gosse ne sont-ils pas repérés par des membres du personnel de la base de formation bien avant que la mère s’en inquiète ?

On pourrait nous reprocher de ne pas se laisser prendre par le romantisme de la scène et de son enjeu. Si tel est le cas, il faudrait peut-être d’abord penser à élaborer autrement le romantisme de son film que par quelques échanges verbaux, un usage de la voix off usée par la sur-illustration du propos, et quelques plans enfin investis par les enjeux de la séquence (voir l’image ci-dessus). Et puis, peut-être le romantisme aurait-il pu exister avec une expérience visuelle moins marquée par une lumière sans vivacité et un étalonnage franchement triste. Certes, l’approche pragmatique de la réalisatrice se défend : mais comment voulez-justifier l’envie d’aller dans l’espace malgré tout si le coeur retient l’héroïne et si l’expérience visuelle des astronautes, sans couleur, sans vivacité, nous fait remettre en question le pourquoi de cette entreprise –matériellement, humainement et financièrement – complexe ?

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Eva Green est Sarah, la femme astronaute qui doit se battre pour convaincre Matt Dillon, qui interprète l’astronaute américain nommé Jack, content d’avoir une Française dans son équipe car, paraît-il, elles sont douées en cuisine. Et non ce n’est pas le pitch d’un potentiel « OSS 117 versus Femina’ Apollo 11 ».
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Dans une interview avec SeriesDeFilms et LeMagduciné, la réalisatrice a confirmé l’approche réaliste du film. Elle explique notamment qu’elle a tout tourné dans les espaces bien réels de l’Agence spatiale européenne. Aussi voulait-elle mettre en avant la place de la femme dans les films d’espace qu’elle considère comme étant souvent « masculinistes » et « conquérants». N’oublions pas que certains de ces films de genre représentent des étapes de la conquête spatiale et que le milieu des astronautes a longtemps été masculin. Le film note d’ailleurs la réalité de ce dernier fait lors d’un dialogue entre Sarah et une dame du personnel du centre de formation. Toutefois, cette mise en avant de la femme astronaute passe par la mise en scène d’un astronaute masculin rigide, machiste pendant une partie du film, bien sûr américain et répondant évidemment au prénom « so fuckin’ usa» de Jack. Bien sûr, on lui fait dire à sa première apparition qu’il est content d’avoir une Française dans l’équipe car paraît-il, elles savent très bien cuisiner. De façon attendue, Jack va heureusement remarquer les capacités et la force de Sarah. Toutefois lors de scène de la « disparition » de Stella, c’est Jack la qui retrouvera, ce qui lui permettra de faire à nouveau la leçon à Sarah. Cela, en lui déclarant bien sûr une expression propre à la relation anatomique entre la mère et l’enfant naissant lorsqu’il lui dira de « couper le cordon ». Enfin il s’avèrera plus nuancé sur la dernière partie du film qui le présente comme un bonhomme sympathique, prêt à accomplir son devoir et ayant donc déjà accepté le départ loin de sa famille, même si cela lui est douloureux. La volonté féministe, aussi honorable et sincère soit-elle, pose problème faute d’une mise en action trop peu subtile : premièrement sur la mise en avant de personnages féminins qui fonctionne notamment via la vision caricaturale du genre masculin. On peut même penser à l’autre collègue de la femme astronaute, un gentil Russe nommé Anton. Le bonhomme soutiendra toujours Sarah, aussi aime-t-il la vodka et réciter des poésies en plein air. Et bien sûr, il est très inquiet pour sa mère malade, en bref, Anton est le gendre parfait. Deuxièmement, si la réalisatrice a désiré filmer « les fragilités» de ces figures de la mythologie moderne que sont les astronautes, elle a toutefois énormément présenté celles de son héroïne et très peu celles des hommes qui apparaissent ici comme des figures formidablement droites et stables – malgré un dialogue et/ou une scène évoquant sans voile une fragilité de chacun façon « ah lui aussi il a une souffrance intérieure qui se doit d’être révélée ». Ainsi, même si le final présente une Sarah posée avec une solide assurance, des mâles aux cerveaux légers et à la morale douteuse ne profiteraient-ils pas des maladresses du film pour préserver l’éveil de leurs pensées nauséabondes en déclarant par exemple qu’une femme n’a rien à faire dans l’espace, d’autant plus quand sa détermination est aussi floue ?

Au final, Proxima marque par son double échec : d’abord concernant sa représentation sans passion de l’aventure pré-spatiale, enfin sur l’élaboration peu subtile et non cohérente de la progression de cette astronaute tiraillée entre la maison et la mission.

Bande-annonce – Proxima, un film d’Alice Winocour

Fiche technique – Proxima

Réalisation : Alice Winocour
Interprètes : Eva Green, Zélie Boulant-Lemesle, Matt Dillon, Lars Eidinger, Sandra Hüller, Lars Eidinger, Aleksey Fateev, Nancy Tate
Scénario : Alice Winocour en collaboration avec Jean-Stéphane Bron
Photographie : George Lechaptois
Décors : Florian Sanson
Costumes : Pascaline Chavanne
Montage : Julien Lacheray
Musique : Ryuichi Sakamoto
Production : Isabelle Madelaine et Emilie Tisné
Sociétés de production : Dharamsla, Darius Films ; coproduit par Pathé, France 3 Cinéma et Pandora Films
Société de distribution : Pathé Distribution
Pays : France
Genre : Drame
Durée : 107 mn

Date de sortie française : 27 novembre 2019

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