Dire que la science-fiction est chose rare dans le cinéma français est un doux euphémisme. Heureusement, Arès nous prouve qu’il existe des réalisateurs qui maitrisent le genre. Porté par un Ola Rapace impressionnant et profitant d’un scénario sans temps morts, ce film coup-de-poing assure de laisser des plaies.
Synopsis : Paris. 2035. Depuis leur rachat de la dette à un Etat français ruiné, le pouvoir est entre les mains des multinationales. Les sociétés pharmacologiques profitent d’une loi leur permettant de tester légalement leurs produits sur des volontaires et, depuis la dépénalisation du dopage, les sportifs. Un ancien champion de sport de combats est sélectionné pour tester un nouveau sérum.
A la fois une lueur d’espoir et une bonne raison de s’inquiéter !
Des années de mauvaises expériences nous avaient fait cesser de croire en l’espoir de voir un jour la science-fiction, et de façon plus globale le cinéma de genre, atteindre en France la qualité que devrait pourtant lui permettre la présence sur son sol de grands artisans des effets-spéciaux et de romanciers de renom. Chacun connait la frilosité des producteurs hexagonaux à donner carte blanche aux plus geeks des cinéastes. Mais les rares tentatives récentes (la série Section Zero sur Canal+ ou le film Virtual Revolution) avaient de quoi nous laisser septiques sur le réels talent des réalisateurs français pour s’affirmer comme des créateurs d’univers d’anticipation qui ne soit pas de pâles copies des blockbusters hollywoodiens dont ils n’atteindront jamais les budgets pharaoniques. Et puis voilà Arès. Grâce aux soutiens de Louis Leterrier (Insaisissables 1 & 2, L’incroyable Hulk…) et de Gaumont, le réalisateur Jean-Patrick Benes et son producteur Matthieu Tarot ont réussi à mettre au point un parfait équilibre entre leur économie de moyens et un rendu spectaculaire. Un budget de 5 millions d’euros peut en effet sembler dérisoire pour un projet d’une telle ambition mais, en préférant investir davantage dans une post-production soignée que dans une surenchère d’effets visuels ou au recours à des acteurs bankables, le long-métrage qui en résulte est d’une justesse qui rend plus forte la claque qu’il nous renvoie en pleine poire.
La seule violence inhérente à l’univers très sombre tel qu’est dépeinte cette France de demain est une chose rare dans la production actuelle, engluée dans un souci de bien-pensance abrutissant. Mais d’imaginer notre avenir proche (dans moins de 20 ans !) comme un enfer urbain hostile, hanté par des hordes de sans-abris et contrôlés par des sociétés, s’inscrit dans une veine cyberpunk qu’apprécieront les amateurs historiques de SF. De faire du héros un castagneur bourru, qualifié de « facho » par ses proches, est assez caractéristique de cette volonté de briser les gimmicks propres à la série B franchouillarde pour se rapprocher de certains modèles américains : alors que le modèle d’anti-héros rappelle celui de New York 1997, le milieu est plus proche de celui de Soleil Vert… de belles références en somme. Et surtout, la présence d’un acteur qui en impose naturellement : Ola Rapace, qui a déjà commencé sa carrière internationale puisqu’il a déjà été vu dans Skyfall.
Rarement un film français aura su créer un univers d’anticipation aussi visuellement réaliste et à ce point propice à une réflexion sur les menaces qui pèsent sur nos civilisations occidentales.
S’il est un défaut que l’on peut faire à Arès, c’est immanquablement la laboriosité avec laquelle son introduction nous fait un état des lieux didactique pour justifier l’état de cette France de 2035. Entre une contextualisation un peu lourdaude, qui ne laissera que peu de place à l’imagination des spectateurs, et une photographie qui souffre d’un surplus d’incrustations, il est dans un premier temps difficile de rentrer dans le récit. Ce seront finalement, non pas le personnage principal taiseux et au demeurant antipathique, mais les personnages secondaires qui l’entourent qui nous permettront de nous attacher aux enjeux du scénario. Venus compenser la brutalité et l’ambiance sordide qui règnent dans ce Paris déliquescent, les figures de l’adolescente rebelle, du sidekick travelo ou encore du hacker militant réussissent à échapper à leurs propres stéréotypes et à apporter de la fraîcheur à cette intrigue hardboiled.
Un peu d’humour et d’émotions ne sont en effet pas de trop pour ne pas limiter le film à ses scènes de combat ultra-violentes. Si l’on avait dû retenir d’Arès que les chorégraphies habiles des bastons hyper-testostéronées, cela supposerait que l’on passe à coté de son discours alarmiste sur les dérives du capitalisme sauvage. Or, c’est aussi pour cette audace à imaginer un modèle politico-économique dominé par des corporations toutes-puissantes – dans laquelle, par exemple, la privatisation des forces régaliennes conduirait au recours à des policiers intérimaires – que le film fait preuve d’une puissance évocatrice et d’un discours social véritablement remarquables. Cette détermination mêlée à une telle créativité forme un cocktail explosif qui exactement ce qui manque au cinéma de genre en France. Espérons alors que sa conclusion, qui nous assure que son héros est devenu un modèle pour les révolutionnaires antisystèmes, sera annonciateur d’une envie, pour les jeunes cinéastes, de prendre Arès comme un modèle pour se libérer du joug d’un système de financement artistique passéiste.
Arès : Bande-annonce
Arès : Fiche technique
Réalisation : Jean-Patrick Benes
Scénario : Jean-Patrick Benes, Allan Mauduit
Interprétation : Ola Rapace (Reda/Ares), Micha Lescot (Myosotis), Hélène Fillières (Altman), Ruth Vega Fernandez (Anna), Eva Lallier (Anouk), Thierry Hancisse (le coach), Louis-Do de Lencquesaing (PDG Donevia)…
Image : Jérôme Alméras
Montage : Vincent Tabaillon
Superviseur des effets visuels : Alain Carsoux
Décors : Jérémy Streliski
Musique : Christophe Julien, Alex Cortés
Production : Matthieu Tarot, Sidonie Dumas, Etienne Mallet, Julien Deris, David Gauquie, Marc Dujardin
Société de production : Albertine Productions, Gaumont, Cinéfrance
Distribution : Gaumont
Genre : Science-fiction, drame, action
Durée : 80 minutes
Date de sortie : 23 novembre 2016
France – 2016
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