De toutes les guerres que le cinéma nous a contées, trop peu ont emprunté le point de vue des ONG humanitaires, pourtant acteurs majeurs dans le secours des civils pris en tenailles dans ces conflits sanglants. C’est ce constat qu’a pu faire Fernando León de Aranoa en les côtoyant à l’occasion du tournage du documentaire Invisibles au Burkina-Faso.
Synopsis : Balkans, 1995. Chargés de l’assainissement d’un puits, unique point d’eau d’un village isolé, les membres d’une ONG tentent d’en extraire un cadavre boursouflé. Lorsque la corde se brise, ils partent en trouver une mais se retrouvent confrontés à la dureté d’une guerre civile qui ne leur laisse, malgré leur bonne volonté, qu’une faible marge de manœuvre.
Plombiers de la guerre, héros tourmentés
Dès lors, le réalisateur espagnol, peu connu en France malgré qu’il ait remporté dans son pays plusieurs goyas pour Barrio en 1998 et Les lundis au soleil en 2003, a acheté les droits de la nouvelle Dejarse Llover signée par Paula Farias se déroulant dans le cadre de la guerre en Bosnie, une guerre qu’il a lui-même vue de ses yeux vingt ans plus tôt. D’autant que –et ce n’est pas coutume dans le cadre des films de guerre- le réalisateur maitrisait son sujet. Contraint de constituer un casting international pour donner corps à son équipe de volontaires, il fait le choix de recruter des stars venues des quatre coins du monde: Benicio Del Toro dans le rôle du Portoricain, Tim Robbins dans le rôle de l’Américain, Mélanie Thierry dans le rôle de la Française et Olga Kurylenko dans le rôle de la Russe. Le reste du casting –hormis les militaires de l’ONU faisant office de figurants et Sergi Lopez que l’on croise en responsable de l’ONG– est composé de bosniaques pour la plupart non-professionnels. Un tel casting ajoute au réalisme de ce film entièrement tourné… dans le sud de l’Espagne.
Mais, fort heureusement, les personnages ne sont pas caractérisés que par leur nationalité. Bien au contraire, leur travail en équipe et leur dévotion humanitaire leur font complétement dépasser cette barrière, et ce même envers leur traducteur, le sympathique Damir. La grandeur de la cause qu’ils défendent est représentée à travers une double mission qui, paradoxalement, paraît des plus dérisoires : trouver une corde pour assainir un puits et un ballon pour satisfaire un jeune orphelin. C’est justement le caractère anodin de leur action face à l’atrocité de la guerre qui mène les personnages, et à travers eux le public, à être blasés et à s’interroger sur le bien-fondé de leur tâche et leur motivation à poursuivre leur combat. C’est tout particulièrement le cas de Mambrú, préoccupé par ce doute et l’envie de retrouver sa femme. A l’inverse, Sophie est une jeune recrue pleine d’idéaux mais encore trop innocente pour affronter les horreurs du conflit armé. Ces cinq personnages aux caractères trempés sont la clef de voûte de cette représentation de la guerre, tant leurs relations sont sources d’une légèreté qui prend à contre-pied le caractère dramatique de la situation qui les entoure. La façon dont la violence est tout du long habilement suggérée ne la rend pas moins omniprésente et difficilement supportable. Et pourtant, cette brutalité inhumaine est atténuée par des dialogues pleins d’humour, notamment grâce au vieux briscard et tête brulée B, un personnage amusant mais mystérieux dont le pseudonyme qui nous empêche de connaitre jusqu’au véritable nom.
Comme le titre l’indique, le scénario se concentre sur 24 heures de la vie de ces humanitaires bénévoles, un procédé qui participe à souligner la dimension routinière de leur travail. Mais c’est justement parce que leurs responsabilités semblent pénibles et bien dérisoires au terme de cette dure journée de labeur que la réflexion sur leurs effets à long terme est si passionnante à étudier. Et alors que les soldats bosniaques poursuivent leurs exactions malgré le cessez-le-feu, que les profiteurs se font de l’argent sur les besoins en ravitaillement des civils, que les villageois voient d’un mauvais œil l’interventionnisme de ces occidentaux et que les institutions sont terriblement inefficaces, ce sont bel et bien les efforts de ces ONG qui contrebalancent la passivité des autochtones, face à une guerre qui les dépasse. Même si elle est démystifiée par une intrigue qui fait fi de tout effet spectaculaire et d’héroïsme pompeux, cette dévotion altruiste qui anime chacun des personnages est merveilleusement mise en valeur par ce film, porté de plus par une bande originale rock’n roll qui ajoute à son capital sympathie. Et grand malheur à celui qui voudra le ranger dans une case tant le mélange des genres y est poussé à son paroxysme : trop peu violent pour être qualifié de film de guerre et trop léger pour être qualifié de drame (ou inversement trop grave pour être qualifié de comédie, c’est au choix), A Perfect Day n’est ni plus ni moins qu’une aventure humaine épatante de sincérité et un regard sur le monde plein de nuances, alternant entre optimisme humaniste et désillusion fataliste.
Parce qu’il nous rappelle que, face à l’absurdité de la guerre, il vaudra toujours mieux en plaisanter que regarder en face la futilité de ses propres idéaux, A perfect day est une représentation d’une justesse et d’une pertinence rares du travail ingrat mais néanmoins indispensable de tous ces volontaires qui œuvrent à leur dépens sur le terrain et que le cinéma semble avoir injustement oubliés.
A perfect day : Bande-annonce
A perfect day : Fiche technique
Réalisateur : Fernando León de Aranoa
Scénario : Fernando León de Aranoa d’après l’oeuvre de Paula Farias
Interprétation : Benicio Del Toro (Mambrú), Tim Robbins (B), Mélanie Thierry (Sophie), Olga Kurylenko (Katya), Fedja Stukan (Fedja Stukan), Eldar Residovic (Nikola)…
Musique : Arnau Bataller
Photographie : Alex Catalan
Montage : Nacho Ruiz Capillas
Décors : César Macarron
Costumes : César Macarron
Producteurs : Fernando León de Aranoa, Jaume Roures
Société production : MediaPro, Reposado Producciones
Distribution (France) : UGC Distribution
Festivals et Récompenses : Sélection à la semaine des Réalisateurs 2015 et Goya 2016 de la meilleure adaptation
Durée : 106 minutes
Genre : Comédie dramatique, guerre, aventure
Date de sortie : 16 mars 2016
Espagne – 2015