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Avec 15h17 pour Paris, Eastwood brise le mur entre réalité et fiction

Inspiré des événements de l’attentat du Thalys, 15h17 pour Paris retrace la genèse des trois héros américains qui ont neutralisé Ayoub Elh Khazzani, terroriste du train. Avec ce film, Eastwood n’échappe pas à un manichéisme patriotique pro-militaire navrant mais propose une oeuvre troublante qui interroge sur la limite entre fiction et réalité.

AyoubElKhazzani-15h17pourparis-film-eastwood-attentat-thalysLorsque Clint Eastwood a annoncé consacrer un long-métrage à l’attentat du Thalys, massacre potentiel évité le 21 aout 2015 sur la ligne LGV NORD, on pouvait être sceptique. Que pouvait-il raconter de cet événement si court et furtif dans le temps sans tomber dans un récit pompeux et étiré ? Une seconde nouvelle est finalement venu attirer notre curiosité tout en confirmant nos premières craintes : les trois héros américains du Thalys joueront leur propre rôle. On comprend alors vite le choix de Clint Eastwood qui retrouve dans le destin des américains ses thèmes de prédilection : l’armée, la religion et la bonne vieille Amérique. Avec une première bande-annonce qui laissait présager du pire, on ne peut que poser tristement le constat : 15h17 pour Paris n’évite pas une propagande pro-arme fatigante et un récit manichéen où les héros semblent être guidés par une force divine. Le ton est annoncé dès le début lorsque la mère de Spencer Stone (Judy Greer) déclare :  » Mon Dieu est au dessus de vos statistiques « . Cette allusion à la religion se poursuivra tout le film, notamment lorsque Spencer Stone, en voyage à Venise, affirme être guidé par une force supérieure qui l’attend pour quelque chose de grand. Cette connivence avec la religion atteint son paroxysme lors qu’après l’attaque, la voix-off conte une prière comme pour mieux affirmer l’idée d’un acte d’ héroïsme mené par Dieu. A cela s’ajoute une éloge très lourde sur l’armée et le devoir citoyen. Deux des protagonistes ont fait un passage chez les militaires. Alek Skarlatos et Spencer Stone s’habillent en tenue de camouflage et ont des posters Full Metal Jacket.  Ils seront d’ailleurs les deux personnages les plus développés du film, Anthony Sadler étant laissé de côté et n’apparaissant que comme simple faire-valoir des ses amis. Cette propagande pour la guerre frôle le ridicule lors d’un montage où Stone se prépare physiquement. Le tout est accompagné d’une voix-off digne d’une vidéo Youtube de motivation pour perdre du poids. Là où le film préfère n’accorder qu’une dizaine de minutes à l’attentat, il donne plus d’1h10 à l’enfance des amis et à la formation à l’armée de Spencer Stone. Autant dire l’ennui arrive très vite, surtout lors de l’escapade des protagonistes à l’étranger. Le terroriste lui n’apparaît que comme un fantôme, une silhouette tacite.

Hasard ou destin ?

La durée du film est très courte (1h34) et n’aurait pas mérité une seule minute de plus tant le récit de vie est étiré. Et c’est ici qu’Eastwood commet sa plus grosse erreur : en essayant de donner un sens métaphysique à l’acte d’hommes qui n’ont été là que par hasard. Mais on ne peut nier la réalité historique et factuelle de l’événement : ces hommes se sont bien trouvés là et ce sont leurs expériences passées qui leur ont permis de Sauver la vie de centaines de personnes. Ainsi, plusieurs éléments disséminés au cours de l’histoire prennent tout leur sens lors de la scène finale. L’addiction d’Anthony aux selfies fera bouger la bande de potes vers la première classe, là où il y a une meilleure wifi pour poster les photos sur Instagram. Un cours de survie donné à Spencer Stone quelques années plus tôt va lui permettre de maintenir en vie Mark Moogalian, victime d’une balle tirée par le terroriste. Un homme dans un bar donnera envie aux amis de se rendre à Amsterdam, puis de passer par Paris. Un nombre incroyable d’éléments ont mené à cet acte d’ héroïsme, sans lequel l’histoire serait bien différente. Et c’est en essayant de s’approprier une histoire de hasard et de chance pour servir son idéologie conservatrice et religieuse qu’Eastwood rate son film. Le long-métrage semble d’ailleurs jouer sur cette ambiguïté, sans faire exprès. D’un côté, il émet une prophétie quasi-divine qui mène Spencer Stone à son destin, et de l’autre il souligne de nombreuses fois le hasard lié aux décisions des héros.

Quand s’arrête la fiction ?

C’est finalement là que ressort le caractère le plus intéressant du film : le lien troublant entre la fiction et la réalité. La scène de l’attaque est saisissante : 15 minutes incroyables sous tension qui placent le spectateur au cœur de l’action et de l’horreur. En plus des héros, les autres véritables passagers du Thalys revivent également la scène dont le couple Moogalian. Deux des six vrais héros ont décidé de ne pas jouer leur rôle, dont « Damien », un français, absent du film, qui a tenu à rester anonyme. De ce point de vue, les séquences dans le train sont fascinantes. Regarde t-on un documentaire ? Une reconstitution des faits? On ne peut imaginer l’effet cathartique que rejouer cette scène peut avoir sur les vrais passagers du Thalys. La véritable force du film réside donc dans son parti-pris réaliste. Comment pouvoir juger la performance des acteurs qui jouent tout le long leur propre rôle ? Sont-ils capables de mal se jouer ? Pouvons-nous les accuser de ne pas être assez convaincants dans la reproduction de leur propre vie ? L’amateurisme du trio, parfois palpable, ne se révèle pas comme un défaut tant la caméra, tremblante,  semble vouloir les capturer comme un documentaire. Selon les interviews donnés lors de la tournée promo, la bande d’amis semble épouser le traitement manichéen de Clint Eastwood. Peut-être est-ce pour eux un moyen de donner sens à un événement si brutal et hasardeux ? Dans une volonté presque malsaine, Clint Eastwood refait vivre à Mark Mooliagan une situation où l’homme était mourant. Il impose à Spencer Stone de refaire tout son parcours militaire. La véritable équipe médicale présente lors de l’attentat rejoue ses gestes et ses mouvements.

L’apothéose de ce lien curieux entre fiction et réalité apparaît lors de la séquence finale, remise de la légion d’honneur par François Hollande. D’abord filmé de dos, par une doublure (Patrick Braoudé), le président se révèle de face. Surprise : il s’agit du vrai François Hollande, Clint Eastwood ayant décidé d’utiliser des images d’archives. De leur côté, les trois héros du Thalys restent les même entre la reconstitution mise en scène et les images des JT diffusées à l’époque. François Hollande agit alors comme un pont entre le récit fictionnel et la véritable histoire, ancrant les personnages définitivement dans la réalité. Avec ce film, Eastwood donne sa réponse à un enjeu culturel qui se pose depuis peu : La question de la représentation des attentats au cinéma. On souligne le réalisme de l’attentat, on rejette le message.

Bande-annonce : 15h17 pour Paris

Synopsis : Dans la soirée du 21 août 2015, le monde, sidéré, apprend qu’un attentat a été déjoué à bord du Thalys 9364 à destination de Paris. Une attaque évitée de justesse grâce à trois Américains qui voyageaient en Europe. Le film s’attache à leur parcours et revient sur la série d’événements improbables qui les ont amenés à se retrouver à bord de ce train. Tout au long de cette terrible épreuve, leur amitié est restée inébranlable. Une amitié d’une force inouïe qui leur a permis de sauver la vie des 500 passagers …

Fiche technique – 15h17 pour Paris

Titre original : The 15:17 to Paris
Réalisation : Clint Eastwood
Scénario : Dorothy Blyskal, d’après l’autobiographie The 15:17 to Paris: The True Story of a Terrorist, a Train, and Three American Heroes de Jeffrey E. Stern, Anthony Sadler, Alek Skarlatos et Spencer Stone.
Casting : Avec Anthony Sadler, Alek Skarlatos, Spencer Stone, Jenna Fischer, Judy Greer, P.J. Byrne
Direction artistique : Timothy David O’Brien
Décors : Ronald R. Reiss
Costumes : Deborah Hopper
Photographie : Tom Stern
Montage : Blu Murray
Musique : Christian Jacob et Thomas Newman
Production : Clint Eastwood, Jessica Meier, Tim Moore et Kristina Rivera
Sociétés de production : Malpaso Productions ; Warner Brosv (co-production)
Sociétés de distribution : Warner Bros. (États-Unis), Warner Bros. France (France)
Budget : 40 millions de dollars
Genre : drame biographique
Durée : 94 minutes
Date de sortie : 7 Février 2018

Pays : États-Unis