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Les Chambres rouges : interview de Pascal Plante et Juliette Gariépy

Jérémy Chommanivong Responsable Cinéma
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Grande révélation de ce début d’année 2024, Les Chambres rouges est un incontournable thriller psychologique québécois. En salles à partir du 17 janvier. Pour cette occasion, retour sur une magnifique rencontre dans les locaux de Darkstar à Paris, en compagnie du cinéaste Pascal Plante et son actrice principale Juliette Gariépy. Des échanges enjoués entre passion et fous rires.

Synopsis : Deux jeunes femmes se réveillent chaque matin aux portes du palais de justice de Montréal pour assister au procès hypermédiatisé d’un tueur en série qui les obsède, et qui a filmé la mise à mort de ses victimes. Cette obsession maladive les conduit à tenter par tous les moyens de mettre la main sur l’ultime pièce du puzzle, qui pourrait définitivement confondre celui que l’on surnomme le Démon de Rosemont : la vidéo manquante de l’un de ses meurtres.

Le film existe via les images numérisées dont on est bombardé.

Les Chambres rouges est votre troisième long-métrage après Les Faux Tatouages et Nadia, Butterfly. Pouvez-vous nous parler un peu de votre parcours ?

Pascal : Absolument ! Ces trois longs sont assez différents, même si on creuse jusque dans mes courts-métrages. Moi, ce qui me passionne lorsque j’écris, car à ce jour j’ai toujours écrit mes propres scénarios, c’est que j’aime les fictions qui représentent des niches, des petits mondes, des sous-mondes dans lesquels j’essaie de documenter au maximum. Moi-même comme cinéphile, si je vois un film sur l’agriculture urbaine, par exemple, j’ai envie de sortir moins con qu’au début après deux heures de visionnage. Je pense qu’il y a moyen via la fiction, via l’art, via le cinéma de nous rapprocher de gens ou des cultures que l’on ne côtoierait pas naturellement, comme la natation olympique dans Nadia, Butterfly. Ici, il y a eu énormément de recherches judiciaires sur la cybercriminalité. Cette fois-ci, ça a été de la recherche plus déprimante que sur mes autres films (rires).

Juliette : Plus que sur l’agriculture urbaine (rires) !

Pascal : Je conçois mes fictions avec un regard plutôt documentaire. Je fais en sorte que ce soit sociologiquement valide, tout en étant un film expressionniste, sans être collé au réel pour autant.

Ici, vous changez complètement de registre. On pourrait même dire que vous êtes passé au film de genre. Qu’est-ce qui vous a motivé et stimulé durant le processus d’écriture ?

Pascal : La bougie d’allumage, en fait, précédait le travail d’écriture. Le point de départ est une fascination plutôt vague sur le phénomène social des femmes, majoritairement obsédées par des tueurs qui sont, statistiquement, largement des hommes (rires). Et puis, je me rappelle que j’avais entendu parler de procès de certains tueurs, où elles venaient les voir en personne. Les gens arrivaient très tôt au Palais de Justice pour s’assurer une place. À l’époque, je me suis vaguement dit que ça en ferait des personnages fascinants, que c’est un angle que l’on a très peu vu, alors que des films sur les tueurs en séries, il en existe des milliers. C’est souvent soit des films d’enquête, soit des portraits de tueurs eux-mêmes, mais il y a tout un écosystème qui satellite autour des tueurs en série que me fascinait comme angle. Mais ça, c’est resté latent pendant plusieurs années.

Et c’est en fait pendant la pandémie que je me disais que le true crime était à son apogée de popularité. A cette période, je regardais aussi beaucoup de films d’horreur. C’était comme un drôle de réconfort en ces temps étranges, mais on se disait que j’étais plus que jamais le produit des images que je consommais au point où on se questionne sur l’hygiène de ces images. Pourquoi est-ce qu’on aime l’horreur, la violence ? Pourquoi on vient de passer six heures en compagnie de quelqu’un qui a tué 35 femmes ? Ce sont des questions qui sont toutes légitimes et qui ont été mises dans le blender et qui ont façonné Les Chambres rouges, qui est de plus en plus devenu un film de fantômes. Puis c’est le côté un peu plus documentaire qui s’est dessiné et enfin c’est au tour d’un film fantasmé d’émerger.

Ce phénomène de groupie autour du morbide est toujours d’actualité, même en France, notamment avec le procès de Valérie Bacot qui bat son plein.

Pascal : Oui, je l’ai appris aussi. C’est un véritable feuilleton.

Exactement. Et au cinéma, c’est une tendance qui se confirme, notamment avec Anatomie d’une Chute (dernière Palme d’Or) et Le Procès Goldman, qui a également fait sensation à Cannes.

Pascal : Saint-Omer également. Un très beau film ! C’est curieux, mais je pense qu’on a tous, peut-être, un peu consommé les mêmes choses. Ça arrive que dans l’histoire du cinéma, il y ait des petites tendances. Par exemple, vous avez eu deux films sur Yves Saint-Laurent qui sont sortis en même temps. Dès fois, c’est un peu mystérieux, mais, ce qu’on appelle inspiration finalement, c’est un imaginaire commun qui est nourri par l’air du temps.

En effet, tout récemment, plusieurs réalisateurs sont d’ailleurs revenus avec des œuvres « autobiographiques ».

Pascal : C’est ça ! Une espèce de lettre d’amour au cinéma et autobiographique. Ça me fait un peu rire quand on détresse les films, on dénote les genres de tendances du moment. C’est vrai que cette année, les films de français francophones, il y en a eu plein. Et à mon avis, ils sont tous très bons, différents à leur manière.

Juliette : C’est intéressant le symbole du procès, parce que c’est comme une microsociété. Bon, les témoins, on leur donne une certaine importance, de même pour les avocats et le juge, tous dans le même espace de procès. Mais pour nous, le procès continue dans la vraie vie aussi, avec nos même spectateurs qui parlent du film. Ça se fait depuis que la voix de la personne qui consomme le film est valorisée à cause des notes, à cause de l’hyperdigitalisation de tout.  C’est comme si le procès continue après sur Internet. Et c’est sur Internet que c’est digéré par la communauté et qu’on décide si le film est bon ou pas.

Pascal : Et puis au sein de notre film, on s’attarde beaucoup sur la question du comportement des gens qui sont obsédés par les tueurs en série. C’est intrinsèquement et intimement lié au mythe qu’on en fait. Ce qui va de pair avec la construction médiatique autour des tueurs. Pour moi, c’était évident dès les premières ébauches que le film allait autant naviguer autour d’un procès, mais qui allait beaucoup s’attarder à tout ce monde médiatique. Ça se voit avec les surnoms que l’on donne aux tueurs, tu sais les photos, les mugshots qui sont largement diffusés. C’était assez évident que le film allait être un procès, mais élargi par le prisme médiatique.

Il y a beaucoup de surenchères, on voit qu’il y a beaucoup d’émissions à ce sujet. Il me revient ce moment, un peu anecdotique, mais assez révélateur où une journaliste en face du palais annonce l’anniversaire du tueur durant le procès. On force ainsi à attirer les gens à l’intérieur de cette enceinte, à prendre émotionnellement part au procès.

Pascal : C’est comme un feuilleton oui, et on veut connaître la suite. Et puis aux États-Unis, c’est encore plus fou, parce qu’il y a des caméras qui sont permises dans les salles de cours. Ça devient un spectacle complètement disgracieux, mais c’est un autre sujet…

Juliette : Mais c’est vrai ça ! Amber Heard et Johnny Depp, des caméras partout.

Pascal : Oui et quand j’écrivais le scénario, c’était le procès de Derek Chauvin, qui a assassiné George Floyd. En fait, le matin, je scénarise un film de procès fictif, puis l’après-midi, en procrastinant, j’écoutais un procès en cours. C’est fou ! La pandémie a vraiment aidé à cette hyperconnectivité. Le film existe via les images numérisées dont on est bombardé d’une certaine façon. C’est venu assez naturellement, l’idée des crimes en vidéo. C’est dans cette idée-là de lier l’interactivité des crimes et le personnage de la groupie, qui satellite. Le crime interactif permet aux deux mondes de communiquer. C’est là où le film devait prendre corps en fait. Il faut que le protagoniste soit actif. Mais bon, c’était de la recherche un peu glauque quand même.

Il y a aussi un rapport sous-jacent à la technologie, de ses dérives et de ses limites : intelligence artificielle comme assistance, jeux d’argent en ligne, les médias et les réseaux sociaux. Kelly-Anne possède d’ailleurs une intelligence artificielle reprogrammée chez elle, nommée Guenièvre. C’est un phénomène d’actualité encore chaud aujourd’hui. Est-ce que ça vous tenait à cœur d’en parler dans ce film ?

Juliette : On ne savait pas qu’il allait y avoir la grève hollywoodienne, mais c’est fascinant. On touche un petit peu ce sujet, car Kelly-Anne pense avoir repris le contrôle sur Guenièvre. Mais on se demande aussi si ce n’est pas Guenièvre qui l’a jeté au loup ou qui l’a dénoncé parce que quelqu’un a réussi à la hacker. On pense que les humains ont le contrôle sur, mais pas nécessairement.

Pascal : Puis au niveau scénaristique, c’est un peu drôle car j’ai écrit le scénario en 2021, donc bien avant la démocratisation de ChatGPT en novembre 2022. Il faut presque jouer au prophète quand on scénarise des trucs qui se veulent à la pointe de la technologie, parce que c’est long de réaliser un film. Donc ce qu’on a fait en 2021, il faut que ça continue à résonner avec l’air du temps, mais ça a évolué très rapidement. Moi, mon défi, ce n’est pas de m’attarder sur la technologie au sens le plus geek et le plus strict, mais c’est plutôt de réfléchir au comportement de l’humain qui utilise des technologies et ça change très peu en fait. Les outils changent, mais pas ce que nous recherchons via les nouveaux gadgets. Tu sais une application de rencontre, que ce soit Bumble ou Tinder, qu’il y en ait une nouvelle qui apparaît demain ou dans un an, je m’en fiche. Mais ce qu’on recherche via, par exemple, une nouvelle application ou la technologie, ça il faut réellement y réfléchir. Ça a été ces réflexions-là dans le travail d’écriture.

Vous abordez justement une de ces dérives dans votre film. Comment en êtes-vous venu à parler des Red Rooms, célèbres mythes du dark web ? Comment vous êtes-vous documenté sur ce sujet ?

Pascal : Je ne m’y étais jamais aventuré bien sûr. De toute façon, c’est absolument illégal. J’avais des consultants en cybercriminalité qui ont pu nourrir mon imaginaire via le réel, mais le réel qu’eux connaissent d’un point de vue numérique. En scénarisant le film, je n’avais pas envie que le FBI cogne à ma porte. Et puis, c’est facile de tomber dessus. Sur Google, tu cherches un peu, tu trouves des profils de tueur de ci, de ça. Moi je suis assez geek, je suis assez online aussi. Je ne connaissais pas le sujet avant d’effectuer la recherche sur le film mais ça n’a pas été très long d’avoir accès à tous les mythes, l’espèce de folklore de l’internet caché, tout ça. Et qui est un peu inquiétant parfois. Au final, ça s’est fait en cliquant sur un hyperlien, puis un autre hyperlien, comme on se perd sur Wikipédia, Google et compagnie. Et je le disais un peu plus tôt, ça a été finalement un peu une épiphanie narrative et scénaristique pour moi, parce que là, tout à coup : « Oh ! Le crime interactif ». Tout ce monde caché là peut tout à coup donner corps, donner chair autour de l’os du personnage de Kelly-Anne. Toi non plus, Juliette, tu n’as pas fait de la recherche trop dark. On recherchait autour, mais on n’est pas allé dedans, c’est ça ?

Juliette : (rires) Ouais, puis il y a plein d’autres situations qui sont presque identiques. Pas besoin d’aller sur le dark web si tu veux consommer du contenu déviant. C’est vraiment plus accessible qu’on le pense. Et puis, il y a ce phénomène qui nous incite à voir.

Pascal : Rien que la vidéo sur Luka Rocco Magnotta en 2012, tellement de gens l’ont vu.

Juliette : Ben oui, c’est fou. Je me rappelle des gens qui la regardaient à l’école.

J’y ai moi-même été confronté à l’époque. Le snuff movie revient peu à peu vers nos écrans, effectivement. Et d’une certaine manière, l’impressionnante ambiance sonore et musicale du film nous alarme sur cet accès, presque sans limite, à l’information aujourd’hui. Comment l’avez-vous travaillé avec votre équipe, sachant que votre frère en a composé la musique originale ?

Pascal : Pour moi, ce qu’on appelle la personnalité d’un film, ça vient quelquefois avec un peu l’élément de surprise qui est un peu dissonant avec ce qu’on s’attend. Mon point, c’est que si on regarde par exemple un cyber-thriller ou un film de procès, on peut rapidement s’imaginer une petite musique en tête, tu sais, comme une scène de hacking avec un peu de son électronique tendu. À la Michael Mann ou je ne sais pas trop, mais moi, ça ne m’intéresse pas de jouer dans les sentiers très battus. Puis, c’est en fait partie de Kelly-Anne ce travail de dissonance, espèce de mélange des éléments de musique baroque avec des éléments de musique de noise électronique. Très contemporain donc, mais un peu hors du temps également. On vit finalement le film à travers le regard de ce personnage qui, au début, a un regard très robotique sur le monde, mais plus ça évolue, plus elle est un peu dans le fantasme.

Ouais, c’est comme tous les mondes de Kelly-Anne qui se mélangent via la trame sonore. Puis c’est là aussi tu sais, juste au costume lorsque tu sais toi par exemple, que tu sentais que tu pouvais mettre les costumes. Tout d’un coup, le personnage existait. C’était aussi le plaisir de créer une Kelly-Anne, qui n’allait pas être la Girl with the Dragon Tattoo 2.0 québécoise (rires). Ça c’est une nécessité, il fallait faire autre chose, mais plus que ça. Une fois qu’on l’a un peu sorti du temps, on l’a un peu fantomatisé et vampirisé. Bref, c’est là qu’on a pu s’amuser.

Juliette : Oui, puis dès les premières minutes du film, il y a cette espèce de lyre, c’est ça ?

Pascal : Ça commence avec du clavecin.

Juliette : OK, pas de lyre (rires). Mais juste ça, c’est un indice qui détonne complètement de la salle d’audience super stérilisée ou quand elle se rend dans la ville hyper moderne. C’est comme un instrument d’une autre époque. Puis, les informations se placent et les gens comprennent, mais je pense qu’il y a vraiment quelque chose de surprenant avec genre ce travail de notre époque musicale.

Pascal : Oui, oui, complètement. J’utilise le terme dissonance, parce que je pense qu’il y a plein de gens qui s’attendent à un certain film. Mais dès les premières images, il y a déjà un petit drapeau levé qui dit : « Asseyez-vous, prenez une respiration, ça ne sera peut-être pas exactement le film que vous attendez. » Même rythmiquement avec les plans séquences au procès, il y a un vrai travail dans les vingt premières minutes de vouloir créer un film, dont l’idée même d’être surprenant est intimement liée à l’idée que le film puisse être angoissant. Parce que le film a le même langage et le même rythme qu’à peu près tous les thrillers qu’on a déjà vus. On est trop safe en tant que spectateur, on voit tous les coups venir. On a alors créé une aura via la musique avec le personnage qui se réveille d’un sommeil. Puis tout d’un coup, on n’a plus de repère. On ne sait plus s’il a une limite et le fait de pas savoir si le film en a une, ça c’est angoissant.

Pour vous Juliette, avez-vous avez apporté quelque chose de vous-même dans ce film, des expériences passées ou quoi que ce soit d’autre ? Comment avez-vous préparé le rôle de Kelly-Anne, très ambigüe et tout en retenue ? Ce rôle vous a-t-il permis de vous dépasser ?

Juliette : Ah, c’est intéressant. De mémoire, je m’étais armée d’empathie. C’était important pour ne pas la juger et pour que Kelly-Anne ne se juge pas elle-même.

Pascal : Ton travail de comédien est presque de l’aimer, entre guillemets.

Juliette : Dans ce sens-là, il y a comme une réponse à tout. Dans notre cas, on savait où est-ce qu’on allait, mais il y a une fragilité maladroite que l’on ne voit pas nécessairement à l’écran. Mais moi dans ma tête, je lui ai donné un passé, un peu de présent, un futur, même si ce n’est pas du tout comme ça qu’elle se définit dans le film. Mais oui, c’est sûr qu’il y a des parties de moi en fait. Kelly-Anne est forte, c’est-à-dire qu’elle n’a pas besoin d’amis, elle n’a pas besoin de se faire rassurer, qu’on l’aime ou d’être géniale. Tu sais, moi je n’ai pas ça (rires) ! Nous les acteurs, on veut tellement être choisis qu’on est beaucoup dans l’attente, dans la complaisance.

Pascal : C’est ça, Kelly-Anne s’en fiche de plaire.

Juliette : Elle n’est pas là-dedans, elle n’est pas dans ce jeu de séduction. Tu n’as pas besoin d’être actrice pour être dans le jeu de séduction. On est né, puis on nous dit : « C’est ça ta clé, utilise-la. » Alors c’est plutôt Kelly-Anne qui m’a appris des choses sur moi et que maintenant j’ai une partie d’elle. En fait, j’aime dire que la force que Kelly-Anne a, c’est celle que ma mère a aussi et que j’ai utilisée, mais que je ne pense pas que moi dans ma vie de tous les jours j’utilise cette force, cette ardeur, parce que je ne parviens pas à mes fins. Parce que la réalité, c’est qu’il faut aller dans le même sens que nos morales, un peu judéo-chrétiennes modernes. J’utilise maintenant l’apprentissage de mon travail en fait.

Pascal : (rires) Tout à fait, tu es allée à sa rencontre. Il y a une vraie préparation pour Juliette, tu sais. T’as appris à jouer au squash et la signification de plusieurs éléments de crypto-poker.

Juliette : C’est sûr ! C’est tout un apprentissage. J’ai même fait de la recherche sur la « chimie » dans ton cerveau, comme quand tu passes un certain point de peur, plus les mêmes choses te font peur. Ça te prend plus de choses pour vivre de la peur ou de la stimulation. C’est comme une drogue.

Pascal :  Kelly-Anne est presque comme une junkie d’adrénaline qui a toujours besoin d’un peu plus. On en a parlé un peu de ça.

Juliette : Oui et d’apprendre la physicalité, dans un programme très carré, c’était un défi pour moi. Mais à travers le sport justement, c’est vraiment intéressant d’apprendre à la connaître. C’est bien sûr passé à travers le crypto-poker, mais aussi avec le phénomène de groupies, de femmes qui se rapprochent des tueurs dans les salles de procès et des lettres qu’elles ont écrites. Ce qui a servi sur le plan mental.

Une partie du film est également portée par le duo que vous formez avec Laurie Babin (Clémentine). Vous avez dû chercher la bonne alchimie pour incarner ce tandem à l’écran, j’imagine.

Juliette : Oui, nous avons beaucoup parlé de nos théories et de la raison pour laquelle les gens font ça. Et puis, je ne pense pas que nos personnages ont les mêmes objectifs. Laurie a comme une, vraiment une douceur genre, elle le défend, elle y croit. Moi, je n’y crois pas, je ne crois pas que l’accusé soit une victime, mais qu’il est coupable. Ça change toute la dimension du film, sauf que c’est vraiment important que Clémentine apparaisse comme un envoyé du public, dans le sens où elle pose les questions que personne ne poserait à mon personnage si elle n’était pas là.

Pascal : Ben oui un peu, mais elle a un plus que cette fonction-là. Les deux personnages trouvent une certaine rédemption à la fin. Bon Kelly-Anne, elle va quand même au bout de ses fantasmes morbides, mais viole les actions qu’elle pose à la fin. Elle ferme un livre d’une certaine façon, elle va au bout de quelque chose pour peut-être renaître sur d’autres bases. Puis Kelly-Anne, à un moment donné, devient un peu sadique avec Clémentine, mais dans un sens, ça la libère aussi. Son geste est d’une certaine façon altruiste, même s’il est sadique.

Pour moi, ça m’importait que les deux personnages s’extirpent de leur statut. Je le dis souvent, les groupies de tueurs en séries, ça a été le point de départ du film, mais rapidement faut que les personnages deviennent plus que ça, trouvent un arc et qu’on ait un minimum d’empathie envers elle, mais qu’ensuite elle puisse un petit peu grandir et évoluer, se détacher de cette étiquette d’une certaine façon. Et puis, c’est drôle parce que les personnalités réelles de Juliette et Laurie sont plutôt différentes des personnalités de leur personnage. Des fois, tu me disais qu’il fallait que j’emprunte un peu de la personnalité de Laurie, qu’il fallait qu’elle emprunte un peu de ta personnalité, de ma personnalité.

Juliette : Oui, c’est riche, c’est impressionnant et ça donne beaucoup plus de sens à notre jeu. C’est même plus naturel que d’apporter quelque chose de soi. Je ne pense pas que je puisse aller vers mes traumas, mes histoires, sinon je ne m’en sors plus après.

Pascal : Exactement. Puis tu sais, ça m’importait beaucoup d’avoir une relation d’amitié, ne serait-ce au moins un autre personnage principal dans ce film. Parce que dans un film alternatif où Clémentine n’existe pas, je trouve que le film devient presque problématique. C’est comme si tout à coup, tout le phénomène qui est extrêmement complexe, des groupies de tueurs en série, allait être complètement sur les épaules d’un personnage qui est un peu du côté très sociopathique du spectre. Alors qu’il y a quand même plusieurs cas de figure qui peuvent exister sur pourquoi on pourrait être attiré par des hommes horribles. En étant un contrepoint parfait, Clémentine est vraiment diamétralement à l’opposé. Tout à coup, le simple fait qu’elle existe nous permet de se dire qu’il y a toute une gamme de personnes et de personnalités qui puissent exister entre les deux pôles. J’avais besoin un peu de Clémentine pour que le film ait potentiellement une petite valeur sociologique.

Elle apporte beaucoup, c’est sûr.

Merci beaucoup pour ce merveilleux échange. Je vous souhaite une très bonne première française pour ce soir et nous espérons que le public sera également au rendez-vous à la sortie nationale.

Propos recueillis par Jérémy Chommanivong, le 7 décembre 2023.

Retrouvez également notre critique du film ici.

Bande-annonce : Les Chambres rouges

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