En tête des évènements caritatifs sur Twitch, le Z Event est devenu un marronnier de l’actualité française. À tel point qu’il attire maintenant des personnalités comme Alain Chabat, en renfort de ses célèbres streamers, pour susciter la générosité du public. Mais au-delà des appels à la bonne cause ou du charisme de ses animateurs, le Z Event doit son succès à une parfaite adaptation à son public de joueurs.
Génération Z
« Félicitations, vous avez battu votre propre record !! » Ce message ne provient pas de l’écran final d’un beat’ them all, mais du compte Twitter du Z Event. Après la cinquantaine d’heures de l’édition 2022, cette communication des organisateurs résume à elle seule la nature vidéoludique de leur machine à dons.
Avec 10 182 126 d’euros récoltés, la grande messe de Twitch célèbre bien sûr sa victoire par une référence au monde du jeu vidéo parce qu’elle en est issue. Créé par Zerator (Adrien Nougaret) et Dach (Alexandre Dachary), le marathon réunit désormais plus de soixante streamers et streameuses qui gagnent leur vie en diffusant leurs parties. Comme chaque année depuis 2016, il s’adresse en particulier à la génération Z qui a grandi avec le jeu en ligne et en maîtrise les codes. Outre qu’elle pointe le nom de Zerator, la lettre Z incarne ainsi (volontairement ou non) un signe communautaire pour une classe d’âge.
Inutile donc de s’étonner lors d’un appel au raid (terme issu des MMORPG), c’est-à-dire quand des streamers demandent un effort de donation sur un temps court. Le plateau de la retransmission ressemble d’ailleurs à une gigantesque LAN, avec deux colonnes de postes informatiques accueillant les personnalités. Maître du montage, chaque webspectateur y déambule de chaîne en chaîne avec l’impression d’être présent par écran interposé, ce qui renforce son implication.
Signe de la dimension générationnelle et communautaire du Z Event, certains streamers se sont offusqués cette année des félicitations d’Emmanuel Macron, arguant d’une récupération ou de l’inaction de l’exécutif sur les causes défendues. L’un d’eux, Antoine Daniel, a même insulté le Président. Malgré des centaines de milliers de viewers, le monde relativement clos de Twitch et son unité de valeurs favorisent ce type de réaction. Néanmoins, il ne faudrait pas en conclure que le succès de ce téléthon sur Internet se résume à une adhésion de l’audience à un univers commun. Le Z Event n’est pas seulement une action caritative sur fond de jeux vidéo. Il est un jeu vidéo.
Gameplay
Quoique consubstantiel à l’ère informatique, le jeu vidéo puise dans beaucoup de médias et d’arts l’ayant précédé. L’aspect qui lui est propre et permet de le définir tient en un mot : gameplay. Celui-ci détermine le principe ludique de l’œuvre. Il consiste pour Tetris à faire le plus haut score en faisant des lignes, ou à survivre aux infectés et autres humains hostiles de The Last of Us. Dans le Z Event, le gameplay implique d’atteindre un score de dons élevé, réévalué chaque année en fonction du résultat précédent. Un pay-to-win en somme, ce qui est parfois rigoureusement le cas sur certaines quêtes secondaires du jeu, telle la pixel war. Elle nécessite pour les spectateurs-joueurs d’acheter des pixels afin de peindre une toile numérique, et d’augmenter en conséquence le montant collecté.
La notion de niveaux est aussi centrale dans le fonctionnement du Z Event, d’où les donation goals. Ils composent une série de paliers de dons à atteindre pour chaque streamer. Comme un ensemble de boss intermédiaires à vaincre avant le dernier boss, soit le montant final de la cagnotte, le procédé stimule l’altruisme du public en permanence. Le Z Event obtient ainsi 27% de son résultat en 2021 à mi-chemin (vente de T-shirts mise à part), quand le Téléthon plafonne à environ 17% au même stade.
Contrôlez-les tous
De fait, si le public du Z Event regarde des streamers jouer, c’est en le plaçant lui-même en position de joueur que l’évènement caritatif réussit sa collecte d’oboles. Zerator et ses camarades deviennent moins des joueurs regardés sur Twitch que des personnages de jeu que le public contrôle, carte bleue en main. Chaque donation goal désigne en l’occurrence une sorte de gage dont le streamer doit s’acquitter, immédiatement ou plus tard, avec une intensité croissante à l’échelle des montants. Durant deux jours, les costumes fantaisistes ou les rasages de tête et de barbe en direct sont courants, et s’assimilent à des cinématiques venant ponctuer une étape du parcours ludique.
Les streamers invitent parfois leur communauté, avec facétie, à aller sur une autre chaîne que la leur faire un don afin de déclencher le spectacle attendu. Une pratique qui intensifie le propre montage du public face au Z Event, rappelant les jeux (ou films interactifs) tel Night Trap où le joueur passe d’une caméra à l’autre pour réussir sa partie.
À la marge, l’audience peut influer sur le plateau de streamers sans moyen de paiement. Une partie de Twitch Plays Pokémon, spéciale Z Event, a permis cette année à un collectif de spectateurs-joueurs de collecter des badges du célèbre jeu de dresseurs. L’obtention des précieux items impliquaient pour les streamers d’effectuer eux-mêmes des dons, comme s’ils étaient contrôlés via le déroulement de la partie. Quant aux joueurs, un tirage au sort en récompensait certains par des cadeaux, soit l’équivalent de loots comme ceux glanés dans un monde virtuel.
Émotions
Le gameplay du Z Event s’articule avec trois piliers du jeu vidéo : sensation d’accomplissement (avoir contribué aux dons), tension (incertitude sur les résultats), fun (le caractère divertissant de l’entreprise). Un dernier aspect est fondamental pour comprendre l’ampleur des sommes obtenues. Il est aussi connoté aux jeux vidéo qui usent du même ressort dans leur dimension narrative : l’enjeu émotionnel. Si beaucoup de gages des donation goals sont farfelus, l’atteinte des paliers provoque parfois des émotions chez les streamers, de surcroît habitués à les partager en public. Alors avec une soixantaine d’entre eux, c’est autant de communautés fédérées autour d’un favori qui cherchent à vivre des moments forts avec lui. Elles répondent donc présentes aux appels de dons pour déclencher les séquences en question.
L’importance de la vente des T-shirts Z Event, qui pèse ces deux dernières années pour plus d’un quart du résultat final, relève du même principe. Pour les spectateurs-joueurs, l’habit s’apparente en effet à la statuette d’une édition collector de jeu vidéo : une madeleine de Proust permettant de revivre les émotions de l’aventure.
Depuis 2016, le marathon caritatif a fini par engranger naturellement son lot de critiques, comme toute saga ludique à succès à un moment ou un autre. Certaines lui ont reproché la manière dont les dons sont utilisés. En réponse, Zerator a annoncé une nouvelle formule de sa création pour l’année prochaine. Le reboot de la licence est sans doute déjà en production.