A war, un film de Tobias Lindholm : Critique

Le conflit afghan étant l’un des rares dans lesquels s’est impliqué le Danemark en ce début de millénaire, il n’est pas étonnant qu’il soit devenu, après les très bons Brothers (Susanne Bier, 2004) ou encore Armadillo (Janus Metz Pedersen, 2010), également le contexte choisi par Tobias Lindholm en s’attaquant au film de guerre.

Synopsis : Claus Michael Pedersen est à la tête d’une équipe de patrouilleurs de l’armée danoise postée en Afghanistan. Bien que tourmenté par l’idée de ne pas savoir quand il reverra sa famille, il reste un soldat consciencieux. Le jour où son équipe tombe dans un traquenard, il est contraint de recourir à un soutien aérien. Une décision qui lui vaudra d’être trainé devant les tribunaux, accusé d’avoir accidentellement tué  des civils.

D’autre part, on peut remarquer que depuis une dizaine d’années, et en particulier le succès de Démineurs (Kathryn Bigelow, 2008), la tendance de ce genre si calibré est de confronter le quotidien de ses héros sur le champ de bataille et au sein de leur famille, insistant ainsi davantage qu’auparavant sur le traumatisme du retour à la vie civile. Le schéma narratif qu’adopte le réalisateur est dès lors sans véritable surprise : une première moitié sur le front, une seconde à la maison. Mais A War ne se contente pas, comme American Sniper ou Du sang et des larmes, d’illustrer la façon dont son personnage peut acquérir son statut de « héros de la patrie » en réussissant à cumuler ses deux casquettes, celle de soldat et de père de famille. Le film met en place une interrogation morale qui dépasse la seule intériorité de cet homme pour aller questionner le bien-fondé même de cette guerre. L’absence de parti-pris vis-à-vis des règles déontologiques sera tout de même contrebalancée par la mise en place d’une indéfectible empathie envers le personnage de Claus.

Reconnu pour l’austérité naturaliste de sa mise en scène, le réalisateur nous livre, dans la première partie de son film, une vision saisissante des vastes plaines afghanes –en réalité filmées en Turquie. Débutant son récit par une scène assez violente, il nous plonge aussitôt dans un état de pression qui n’est pas sans rappeler son précédent film Hijacking, déjà porté par l’excellent Pilou Asbæk. Une tension qui va toutefois vite redescendre, sacrifiée sur l’autel du minimalisme. Ce choix ne permet en effet pas de rendre état d’actes de guerre plus spectaculaires que celui dans lequel un taliban –le seul que l’on verra d’ailleurs à l’écran– se fait descendre à distance, une exécution filmée de façon à nous prendre aux tripes. A noter également, la maitrise du mixage son dans cette mise en scène immersive. Cette recherche de réalisme et d’humanisation des enjeux militaires est prolongée via l’alternance avec des passages consacrés aux difficultés de la femme de Claus pour élever seule leurs trois enfants. Des scènes qui s’avèrent pertinentes dans le parallèle qui y est fait entre l’immaturité de ce fils perturbé au point de s’exprimer grâce à la violence gratuite et l’absurdité intrinsèque aux efforts vains de la mission de pacification dans laquelle s’est embrigadé son père. Venant clore cette première partie à la précision quasi-documentaire, la brutale scène de la fusillade apparait comme une surprise, tant pour les soldats que pour les spectateurs. De ce fait, cette rupture de rythme incongrue se révèle être un effet de mise en scène ingénieux qui sera accentué par le passage à un montage  bien plus découpé que les plans séquences qui l’ont précédé, et par l’emploi d’un hors-champ oppressant, qui nous font parfaitement partager la désorientation de notre héros dans ce bourbier.

La seconde partie du film se voudra plus austère encore, limitant quasiment l’action à deux décors : le foyer et le tribunal. Toutefois, c’est dans cette partie que le réalisateur va s’avérer le plus maladroit. D’abord avec l’utilisation soudaine de la musique dans les dernières minutes ; celle-ci ayant été jusque-là totalement absente, son apparition donne à la conclusion une impression d’effet larmoyant de mauvais gout. Mais le plus gros souci que Tobias Lindholm rencontre dans ce qui apparait alors comme un thriller judiciaire est de rendre compte, comme il avait pu le faire dans sa peinture des champs de bataille, de la tension psychologique à laquelle est soumis son personnage. Celle-ci en est réduite à des gros plans sur les regards que s’échangent les personnages lors du procès et bien sûr quelques dialogues entre Claus et sa femme. On pourrait alors affirmer que la mise en scène de Lindholm trouve ses limites dès l’instant où la caméra embarquée n’est plus de rigueur. Si encore ces scènes de tribunal ne souffraient pas d’un manque de d’intensité, cette partie aurait pu se suffire à elle-même pour appuyer le propos moral du scénario. Mais ce qui l’a précédé pose obligatoirement le public dans une position de défense de Claus alors que l’inextricable ambiguïté déontologique à laquelle sont confrontés les juges aurait été plus intéressante à explorer que la seule peur de l’accusé d’être à nouveau séparé des siens. La façon dont est construit le récit nuit par conséquence à la portée de son propre discours.

La réalisation âpre et immersive de Tobias Lindholm a beau être source d’une peinture remarquable d’un conflit armé qui semble irrésoluble, A War souffre d’un manque de maitrise lors des scènes plus intimistes et des joutes verbales entre juristes. Or, ces deux éléments auraient pu en faire un plaidoyer efficace contre les contradictions de ce que l’on attend des soldats qui y sont envoyés, et les conséquences psychologiques que cela a sur eux à long terme.

A war : Bande-annonce

A War : Fiche technique

Titre original : Krigen
Réalisation : Tobias Lindholm
Scénario : Tobias Lindholm
Interprétation : Pilou Asbæk (Claus Michael Pedersen), Tuva Novotny (Maria Pedersen), Dar Salim (Najib Bisma), Søren Malling (Martin R. Olsen), Charlotte Munck (Lisbeth Danning), Dulfi Al-Jabouri ( Lutfi Hassan)…
Photographie : Magnus Nordenhof Jønck
Montage : Adam Nielsen
Direction artistique : Burak Yerlikaya
Producteurs : Rene Ezra, Tomas Radoor
Société de production : Nordisk Film
Récompenses : Nomination à l’Oscar 2016 du meilleur film étranger
Distribution (France) : StudioCanal
Durée : 114 minutes
Genre : Guerre, drame
Date de sortie : 1er juin 2016

Danemark  – 2015

Rédacteur