Adaptation libre du roman de Xavier de Maistre écrit en 1794 (dont on découvre quelques extraits sur la deuxième de couverture), Voyage autour de ma chambre raconte l’abandon forcé des nouvelles technologies et la poésie qui en découle…
Que feriez-vous si vous étiez soudainement privé, durant dix jours, de tout accès à votre smartphone et votre ordinateur ? Cette question, Franck va y répondre en racontant au lecteur comment il a vécu cette période d’abstinence, coincé chez lui à attendre l’appel du service d’après-vente d’Apple. Et pour bien comprendre ce que signifie être déconnecté dans une société 2.0, la scénariste Aurélie Herrou et le dessinateur Sagar n’hésitent pas à portraiturer un monde où les individus communiquent avant tout en ligne, et souvent au mépris des gens qui les entourent. Un monde où on scrolle davantage qu’on lit, où on préfère visionner des séries sur un écran minuscule plutôt qu’aller voir un Scorsese au cinéma, où on consacre aux réseaux sociaux chaque année l’équivalent en temps de quelque 85 000 pages de lecture… Et ce n’est pas tout : « Aujourd’hui, on n’écrit plus, on tchate, ou on tweete à la rigueur. Résumé des mots, résumée de la pensée… »
Voyage autour de ma chambre a quelque chose de profondément déprimant. À mesure que Franck prend conscience de la bulle technologique dans laquelle la plupart des gens s’enferrent, à travers ses propres yeux, c’est l’incommunicabilité et la destruction des lieux sociaux qui s’imposent à notre regard. Aussi, se remémorant une relation passée, il se demande : « Devient-on le profil que l’on crée ? » Car il se persuadait à tort, « à grand renfort de post et de story », qu’il « vivait une relation amoureuse épanouie », sous prétexte que ses photos semblaient en attester. En ce sens, et l’album l’illustre clairement, les réseaux sociaux demeurent un monde d’apparence, où l’on prend un cliché de sa nourriture au lieu de la savourer, où l’on capte avec obstination l’instant T au lieu d’en profiter pleinement. De cette situation insatisfaisante, Voyage autour de ma chambre évolue vers une désintoxication des plus poétiques. La déconnection entraîne d’abord l’ennui, qui attise ensuite l’imagination, et voilà que l’on redécouvre qu’une fenêtre n’est rien d’autre qu’un écran en prise avec le monde réel, ou qu’un livre invite à se projeter dans des univers fictifs riches et stimulants.
Au lieu de répondre avec un réflexe pavlovien à des notifications intempestives, Franck redécouvre sa maison, son lit, son canapé… Il se perd dans une peinture, scrute la position du soleil, dessine dans de la buée, parcourt les noms du bottin téléphonique… Naturellement, ce confinement forcé entre en résonance avec la situation que des millions de personnes ont vécue durant cette pandémie de covid-19. Mais Aurélie Herrou et Sagar en tirent des conclusions d’un autre ordre : le charme désuet de nos ressources personnelles, notre faculté à enfanter des mondes intérieurs, notre prétention à l’oisiveté s’invitent dans chaque interstice du récit, entre une vignette édifiante quant à l’enfermement technologique et une citation détournée de Woody Allen. Au final, l’expérience de Franck lui aura été salutaire : il a enfin ouvert les yeux sur le monde qui l’entoure. Si les traits sont volontairement épaissis, la volonté d’Aurélie Herrou et de Sagar est évidemment de produire un effet similaire auprès de leurs lecteurs. Leur album les y incitera en tout cas.
Voyage autour de ma chambre, Aurélie Herrou et Sagar
Glénat, août 2021, 72 pages