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« Sideshow » : qui est Charly ?

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Corbeyran et Emmanuel Despujol publient aux éditions Soleil le premier tome de Sideshow, intitulé « Charly ». Il y est question de dons, de monstres et de relations dysfonctionnelles.

Comme La Nuit des morts-vivants ou Paper Moon, ce premier tome de Sideshow s’ouvre par une séquence de recueillement funéraire. À ces deux illustres prédécesseurs cinématographiques, la bande dessinée de Corbeyran et Emmanuel Despujol emprunte respectivement l’étrangeté et la relation filiale contrainte. Tout commence à New York, en 1952, sur la tombe de Charles Chamber, où le cortège des éplorés demeure des plus clairsemés. S’y rencontrent toutefois un vieil homme et une jeune femme, tous deux désireux de s’épancher au sujet d’un « Charly » apparaissant des plus énigmatiques. Le premier évoque à son égard un mystérieux pouvoir dont les racines remonteraient à une attaque de vampire ; la seconde se remémore les instants vécus en compagnie du défunt des années plus tôt, alors qu’ils étaient hébergés dans le campement d’une troupe de « monstres ».

Sideshow est une bande dessinée à la croisée des genres, et extrêmement référencée. On y retrouve du Francis Bacon, du Edward Hopper, les dons des 4400, l’ambiance de Freaks, la monstrueuse parade et des créatures tout droit issues du folklore germanique ou de la mythologie grecque. L’essentiel du récit tient lieu de flashback. Charles Chamber a été tenu pour responsable, malgré le non-lieu du tribunal, de la mort de ses copains Chip et Lenny, assassinés par un vampire. Peu après la crise de 1929, porte ouverte aux démons de toutes sortes (et pas seulement métaphoriques), il se découvre des talents de chasseur de monstres. Vampires, lamies, kobolds ne lui échappent guère. « Il débarrassait les vieilles demeures de leurs occupants indésirables, nettoyait les cimetières des créatures néfastes qui les hantaient. » Il publie des annonces dans les journaux, se fait une réputation flatteuse et commence à apprécier la traque, « cette période de doute et d’insécurité où l’excitation se mêlait à l’hésitation ».

C’est précisément au cours d’une de ses missions qu’il va se heurter à Rebecca, une lamie ayant pris la forme d’une fillette. Son don de répulsif à monstres la rend impuissante, mais le contraint à la garder sous son aile, du moins jusqu’à ce qu’il la livre à la veuve qui l’a lancé à ses trousses. Après un accident de voiture, Charly et Rebecca continuent leur route vers New York à pied. Ils marchent longuement et s’épuisent peu à peu. Par chance, ils croisent Patricia, une ancienne alcoolique surnommée « Trixie », qui les héberge parmi ses amis freaks. C’est l’occasion pour le scénariste Corbeyran d’initier une romance, de jouer sur les ambiguïtés de la relation Charly/Rebecca, mais surtout de distiller une ode à la tolérance un peu trop appuyée. Parmi les monstres de foire, on apprend ainsi que « la normalité, c’est très relatif », qu’« un jour, les gens s’apercevront que ces gamins ne sont pas des monstres, mais que toutes leurs différences ont une origine banale » et que pour eux, « être ensemble est un mécanisme de défense ». Là-bas, Charly va rencontrer l’hostilité et essuyer un sombre présage quant à sa relation avec « Trixie » : « Vous serez brutalement séparés ! »

Plutôt efficace, le récit de ce premier volume de Sideshow prend grand soin de laisser toutes les pistes entrouvertes. L’organisation sophistiquée des planches, l’incrustation de vignettes ou les gros plans sur les visages, ainsi qu’une palette chromatique attrayante, mettent l’aspect formel au diapason d’un scénario suffisamment solide pour tenir le lecteur en haleine d’un bout à l’autre de l’album. Pour le reste, l’univers portraituré est assez singulier et traversé de sous-propos (sur la valeur intrinsèque des hommes, par exemple) pour qu’on ait envie d’en découvrir les extensions futures.

Aperçu : Sideshow – T.01 : Charly (Soleil)

Sideshow – Tome 1 : Charly, Corbeyran et Emmanuel Despujol
Soleil, juin 2021, 56 pages

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