« La Colonie condamnée » est le premier tome d’une trilogie intitulée Scurry. Mac Smith y détourne le récit post-apocalyptique en érigeant des souris en personnages principaux.
Avec des dessins d’une texture proche de celle du film d’animation, Mac Smith charpente un monde post-apocalyptique dénué d’humains, où une colonie de souris tente de survivre aux disettes, aux prédateurs et à ses divisions internes. Premier tome d’une trilogie prometteuse, « La Colonie condamnée » porte le pessimisme en bandoulière dès son titre et sa couverture. Cette dernière, très réussie, met en scène, dans la nuit, une souris trônant sur un crâne humain, derrière laquelle apparaît une paire d’yeux menaçants et étrangement illuminés. Cela a une valeur éminemment programmatique : confrontés à un hiver interminable, envoyant des maraudeurs chercher de la nourriture dans des maisons abandonnées, parfois victimes de pièges ou de prédateurs (chats, rapaces, loups…), les souris dont on adopte le point de vue semblent prisonnières d’une situation désespérée.
L’ouverture de Scurry en dit long sur les missions d’exploration de Wix et son ami rat Umf. Il s’agit de parcourir les environs pour récupérer un peu de nourriture. Mais les denrées alimentaires se font de plus en plus rares et les maisons foisonnent de poison et d’attrape-souris. Sans compter que la bande de Titan, un chat particulièrement vorace, traîne dans les parages. Mais les souris n’ont d’autre choix que prendre des risques : « Chaque jour, on compte de plus en plus de malades et de moins en moins de nourriture. » À l’intérieur de la colonie, la fronde se met en place. Resher et ses partisans refusent de rester les bras croisés en attendant le retour du printemps et/ou des humains. Ils aspirent à rejoindre la ville, même si rien ne leur laisse présager un sort plus enviable là-bas. Avec habileté, Mac Smith décompose la colonie en groupes antagonistes. Le vieillissant et malade maître Orim peine à en préserver l’unité, alors même que Resher conspire avec les chats pour avancer ses pions… « On ne peut pas laisser la peur infecter la colonie », arguent les plus sages, sans toutefois prendre la pleine mesure de la détresse mortifère qui s’est emparée d’une partie d’entre elle.
Inégal dans ses compositions, Scurry possède pourtant quelques vignettes iconiques, dont cette première apparition des loups encerclés par la forêt et surplombés par un soleil aussi inattendu que rayonnant. Car il existe dans la typologie des lieux plusieurs espaces inexplorés : au-delà d’une ville sujette à autant d’espoirs que de craintes, la forêt apparaît comme un endroit mystérieux, dans lequel rôdent des animaux sauvages impitoyables. Une expédition vers un camion éventré va être l’occasion d’en dévoiler certains pans : Mac Smith emploie alors son sens du cadre, du mouvement et du spectacle pour donner vie à une menace ineffable – et tranchante comme un coup de scalpel. Plutôt astucieux, porteur de messages d’émancipation féminine et d’unité, Scurry est original de par le point de vue qu’il adopte mais entravé par les limites d’un genre désormais plus qu’éprouvé. On se gardera cependant de tirer des conclusions hâtives, puisque deux tomes doivent encore voir le jour aux éditions Delcourt.
Scurry : La Colonie condamnée, Mac Smith
Delcourt, novembre 2021, 96 pages