La collection « Mirages » des éditions Delcourt accueille Sans panique, de Coline Hégron. Récompensée en 2021 par le prix « Jeunes talents » au FIBD d’Angoulême, la jeune scénariste et dessinatrice intrigue et déroute le lecteur avec un récit sans ligne directrice claire et nappé de poésie.
Sans panique est en premier lieu une exploration de la psyché humaine. Ce roman graphique dessiné avec beaucoup de personnalité, en rupture avec les codes traditionnels de la BD franco-belge, interroge notre compréhension des émotions et des traumatismes. Il est arrimé à deux jeunes protagonistes, Romie et Danaé, au cœur d’une île nébuleuse, Galguantes, où le psychisme humain apparaît comme anesthésié. « Si je devais donner un nom à ton état d’âme… », dit Romie à son amie, « ce serait l’apathite ». Et Danaé de lui répondre aussitôt : « Si j’ai l’apathite, alors tu as la débordante ».
Au commencement
La rencontre entre Romie, survivante d’un accident aérien qui a coûté la vie à ses parents, et Danaé, son antithèse affective, sert de catalyseur à une dissection minutieuse de l’équilibre émotionnel. Romie incarne la virulence des sentiments, une effervescence qui l’emporte souvent dans des tempêtes internes. Danaé, atteinte de ce que Romie appelle « l’Apathite », se meut quant à elle dans un monde où les émotions sont estompées, gardées sous cloche, convoitées mais inatteignables. L’une aspire à l’intensité de l’autre, et vice versa. Comme le dit l’adage : l’herbe semble toujours plus verte dans le pré voisin.
Refonte
Tandis que Romie est recueillie par la famille de Danaé, elle exprime toutes sortes de sentiments qui demeurent largement inconnus de sa nouvelle amie. Coline Hégron relate un éveil mutuel, mystérieux et touchant, dans une ambiance d’incertitude, en imbriquant les éléments de la réalité et des subterfuges psychologiques. L’archipel, la famille d’accueil de Romie, la météorite annoncée, le volontarisme politique opposé à l’indifférence des habitants de Galguantes, les leçons émotionnelles : Sans panique prend des trajectoires inattendues, sans propos affirmé, en adoptant le point de vue, doué de sensibilité, de ses deux jeunes héroïnes, à la fois si proches et si différentes l’une de l’autre.
La narration opte délibérément pour l’ambiguïté, quitte à dérouter le lecteur. Le dessin, à première vue « libre », souple et un peu sommaire, avec de généreux aplats colorés, se prête très bien à l’exercice stylistique de Coline Hégron. Il contribue à renforcer le sentiment d’étrangeté qui entoure Sans panique.
Initiations
On l’a dit, la bande dessinée de Coline Hégron n’est pas une œuvre qui se laisse facilement cerner. Deux évidences s’en dégagent toutefois : le voyage émotionnel et le périple initiatique. Sans panique prend alors la forme d’une introspection imagée, du processus de deuil à l’expression des sentiments, nous invitant à plonger dans l’abysse de nos propres émotions, pour en ressortir, peut-être, plus sûrs de notre propre complexité.
Sans panique, Coline Hégron
Delcourt/Mirages, septembre 2023, 200 pages