Quelques heures d’improvisation

Dessinée par l’américain Joel Orff, cette BD de 136 pages (format 22,1 x 16,6 cm) se lit rapidement et, sans atteindre au chef-d’œuvre, se montre d’une sensibilité suffisante pour compenser des défauts qui sautent aux yeux. La manière et l’état d’esprit rappellent celle d’un autre américain, Noah Van Sciver.

À Minneapolis, Bob, la trentaine, gagne sa vie – modestement – comme chauffeur de taxi. Il fait partie de la classe des travailleurs trop occupés à assurer leur avenir pour réfléchir aux problèmes majeurs de son époque. C’est quelqu’un d’habitué à subir, aussi bien dans sa vie sentimentale que dans sa vie professionnelle. Avec son métier, il échappe quand même à l’abrutissant métro-boulot-dodo. Et, pendant son temps libre, il s’adonne à son passe-temps favori : élaborer des BD. Il semble que cela ne constitue qu’un hobby. Peut-être doute-t-il trop de lui pour envisager de contacter des éditeurs. Quoi qu’il en soit, l’aspect autobiographique de l’histoire ne fait guère de doute.

Bob va-t-il toucher le fond ?

Un jour, Bob reçoit une carte postale de Milwaukee, signée Wanda. Cette ex lui annonce de but en blanc, qu’ayant besoin de se retrouver seule pour faire le point, elle lui envoie Casey, sa fille dont elle lui annonce qu’il est le père. Des nouvelles de Wanda, Bob en avait eues, rarement, et leur histoire n’avait pas duré bien longtemps, mais il n’avait jamais entendu parler de Casey. Pas le temps de réfléchir, Casey est là. C’est une adolescente dont on a du mal à évaluer l’âge. D’emblée, elle lui dit qu’elle ne voulait pas venir, mais que l’idée vient de sa mère.

Apprivoisements

Voilà donc un homme habitué à une vie de solitaire, devant composer soudain avec une fille qui lui tombe du ciel, alors qu’il n’a pas grand-chose à lui offrir. Désireux d’assurer son rôle de père, même s’il n’y était absolument pas préparé, il va faire son possible. Avec sensibilité, le dessinateur s’emploie à montrer les efforts réciproques du père et de la fille pour s’apprivoiser. Pour qui n’aurait pas compris l’enjeu de la situation, Joel Orff en imagine une autre en parallèle : les efforts de Casey pour s’occuper d’un chaton qu’elle trouve dans un refuge pour animaux où Bob lui a suggéré de se proposer comme bénévole.

Estime de soi

Dans cette BD où de nombreuses pages comprennent un unique dessin, Joel Orff réussit à faire passer une réelle émotion avec des moyens limités. En effet, à l’exception d’une belle illustration de couverture, son dessin en noir et blanc révèle une technique assez rudimentaire qui néglige régulièrement les proportions, alignements, etc. Même les visages déçoivent souvent. Heureusement, Joel Orff se rattrape avec sa façon de décrire les petits riens de la vie, par petites touches plutôt bien vues. Il montre en particulier un personnage qui cherche à bien faire, malgré le peu de moyens à sa disposition, exactement ce qu’affiche le dessinateur. Sans bavardage inutile et en quelques situations somme toute assez banales, il montre que Bob et Casey ont surtout besoin d’attentions réciproques et de rêver un peu. Étant tous deux dans les mêmes dispositions, le courant passe rapidement et ils pourraient aller jusqu’à envisager de rattraper le temps perdu.

Le cas Wanda

Une constatation inattendue émerge, à une époque où les revendications féministes prennent (à juste titre) une force qui tendrait à faire évoluer les relations hommes/femmes vers plus d’équilibre. On s’aperçoit que Wanda (la mère de Casey), avec son fichu caractère, est du genre qui ne s’embarrasse pas de fioritures dans ses relations avec les autres (voir la scène d’ouverture). Casey comme Bob arrivent à la conclusion qu’il s’agit d’une manipulatrice. Mais Wanda ne sait pas comment les choses ont pu se passer entre Bob et Casey et elle ne maîtrise pas ce qu’ils ont désormais en tête. Bien sûr, on ne sait pas ce qui sera possible, mais Wanda a ouvert une voie qui pourrait la déstabiliser.

Quelques heures, Joël Orff
Éditions Ça et là, janvier 2020, 136 pages

 
 
 
 
 
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