Ce court roman graphique (105 pages et 8 de dossier) est une libre adaptation en bande dessinée de La Guerre des métaux rares (2018), best-seller dans son genre (essai), du journaliste Guillaume Pitron, qui travaille pour National Geographic et Le Monde diplomatique.
Dans un premier temps, je pensais qualifier cette BD de tentative d’adaptation de l’essai de Guillaume Pitron, plutôt que d’adaptation. Tout simplement parce que La Guerre des métaux rares est bien un essai, documenté et argumenté, alors que cette BD est une fiction avec des personnages. De plus, n’ayant pas lu l’essai de Guillaume Pitron, j’ai découvert cette BD en me demandant, d’un bout à l’autre, quoi en penser. Tout compte fait, je suis partagé. Outre le fait que je ne cours pas après les adaptations en BD, on peut se demander l’intérêt d’adapter un essai : comment et pourquoi ? Finalement, je considère que la BD mérite la lecture, au moins pour toute personne découvrant le sujet. Par contre, passer de l’essai original à cette fiction futuriste surprend, même pour une libre adaptation (comme indiqué sur la couverture). La couverture mentionnant trois noms sans indication des rôles tenus dans l’élaboration de la BD, il faut un peu d’attention pour trouver l’endroit mentionnant que le scénario est dû à Guillaume Pitron et Séverine de La Croix, alors que les dessins sont de Jérôme Lavoine. Le scénario nous emmène en 2043, avec comme postulat qu’alors l’utilisation de charbon, pétrole et tous leurs dérivés est enfin stoppée, de façon à respecter l’accord de Paris (COP 21, 2015) pris pour limiter le réchauffement climatique. Rappel, l’objectif est de limiter ce réchauffement à 1,5°C par rapport au niveau de l’ère préindustrielle et donc d’arriver à un état qu’on pourrait qualifier de durablement stable. Sauf que pour en arriver là, il faut passer par ce qu’on appelle la transition énergétique. Concrètement, son objectif est de trouver le moyen de continuer à utiliser de l’énergie, mais cette fois sans altération de l’atmosphère. Il faut donc arriver à produire de l’énergie sans brûler de charbon ou de pétrole (notamment), afin de ne produire aucun gaz à effet de serre. Cette énergie est dite propre et la BD commence dans un futur hypothétique où on aurait effectivement réussi à se passer de toutes ces sources d’énergie produisant des gaz à effets de serre. Le constat est que les moyens nécessaires pour obtenir de l’énergie dite propre amènent des effets pervers qu’on tend à passer sous silence. Ainsi, le matériel nécessaire au fonctionnement des appareils à énergies dites propres nécessiterait l’emploi de métaux rares comme le Promethium (symbole Pm et n°61 dans la table de Mendeleïev) du titre. Autant dire que l’expression métaux rares ne doit rien au hasard et que le Promethium comme les autres métaux cités ne sont absolument pas des objets de fictions ou de fantasmes. Ils seraient nécessaires notamment à la conception de nos objets connectés (ordinateurs, téléphones portables, etc.) mais également aux éoliennes. On atteint le paradoxe mis en évidence par Guillaume Pitron et exploité dans cette BD : la production d’énergie se complique de plus en plus, par l’indispensable extraction des matériaux nécessaires à l’outillage idoine. Cette extraction (ainsi que l’indispensable recyclage, puisqu’il est question de métaux… rares) risque de coûter de plus en plus cher, et de devenir source de multiples tensions. Le bilan risque d’être lourd du point de vue écologique, surtout si on veut bien regarder ce qui se passe de façon globale. La conclusion est que pour produire une certaine quantité d’énergie, il faut en dépenser de plus en plus. Or, certains croient et veulent nous faire croire qu’on peut passer à l’ère de l’énergie verte. Qui donc ? Tous celles et ceux qui ne pensent qu’en termes de croissance, à l’infini. C’est évidemment un leurre, puisque les ressources naturelles de la Terre sont limitées. Une tentative d’abandon des sources d’énergie jusqu’ici classiques (celles qui émettent du CO2 et donc contribuent au réchauffement climatique) nous fait toucher ces limites.
De l’essai à la BD
Bref, l’essai de Guillaume Pitron fait le tour de la question, ce qui est intéressant mais n’empêche pas les puissances capitalistes (et celles qui lui sont liées) de poursuivre leur œuvre. Cette BD est bienvenue, puisqu’elle apporte une réflexion fondamentale sur un sujet crucial pour notre avenir, à un public qui n’en connait pas les tenants et aboutissants. Malheureusement, elle est assez brouillonne, et les dessins (noir et blanc) pas toujours très convaincants. Je ne parle pas du scénario qui a tendance à s’éparpiller et a bien du mal à s’affranchir d’une volonté pédagogique qu’on peut difficilement lui reprocher. Finalement l’album vaut essentiellement pour son dossier final qui se penche plus en détail sur quelques points essentiels. Évidemment, on ne fait pas le tour de tout ce qu’il faut savoir en quelques pages quand l’essai de Pitron en fait plusieurs centaines. On peut quand même dire que la BD et son dossier ont le mérite d’exister et d’inciter les curieux à explorer la question par eux-mêmes.
Promethium, Guillaume Pitron, Séverine de La Croix et Jérôme Lavoine
Massot éditions, LLL, avril 2021