Le recueil graphique Nos Trajectoires humaines se compose de quatre récits distincts, à travers lesquels Nadar illustre toute la complexité des expériences humaines, dans une société où les faux-semblants le disputent aux lâchetés et aux renoncements. Les personnages, évoluant dans des contextes sociaux différents, permettent notamment d’aborder les thèmes de l’incommunicabilité, de l’ironie, de la rupture et de la mémoire.
Petit homme
Le récit inaugural, « Petit homme », introduit un adolescent et sa mère, plongés dans un état d’incommunicabilité manifeste. Ce premier temps narratif bascule quand le jeune homme intervient pour s’immiscer entre un homme aux manières déplacées et la femme qui en fait les frais. Plus tard, ce même homme, Aurélio, réapparaît pour aider l’adolescent après un accident de skateboard. La trame, segmentée en trois temps, propose ainsi une dynamique narrative qui permet d’exposer certains enjeux (dont les relations filiales), puis de développer et résoudre les tensions entre les personnages en témoignant du caractère potentiellement trompeur des apparences.
Alejo Duque
Le deuxième récit met en scène un acteur vieillissant, et n’est pas sans ironie. Enlevé pour donner le change à une vieille dame atteinte de démence, en se faisant passer pour le personnage qu’il incarnait autrefois à l’écran, notre comédien pensu (…et assez bizarrement dessiné) se trouve face à une admiratrice qui, dans un élan de sincérité et d’enthousiasme, lui confesse que son fils n’est autre que le fruit d’une relation extraconjugale. Il n’en faut pas davantage pour amuser Alejo Duque, dont le ravisseur a évidemment assisté à la scène et tout entendu. Comme quoi, parfois, en voulant faire le bonheur d’autrui, on se met soi-même à mal.
Matière facultative
Dans « Matière Facultative », la dissonance entre l’apparence et la réalité est une nouvelle fois explorée, à travers un professeur passionnant mais tourmenté. Eva, la protagoniste de l’histoire, est en situation de rupture familiale. Elle assiste aux funérailles de son grand-père, qu’elle déteste amèrement, et peine à entrer en communication avec ses proches, quelque peu marginalisée. Elle découvre qu’à quelques pas de là, un autre défunt est honoré : il s’agit d’un ancien professeur duquel elle n’a gardé que de bons souvenirs. Elle apprend cependant que ce dernier, victime de rumeurs délétères, a perdu son poste d’enseignant et fini sa vie dans la solitude d’une dépression. Nadar, une nouvelle fois, irrigue d’ambiguïté son récit, en suggérant davantage qu’en montrant, révélant toute l’ambivalence des rapports humains…
Artiste local
« Artiste Local » s’attarde sur la mémoire culturelle à travers le personnage d’Antonio Dominguez, biographe de l’artiste peintre Horacio Almendros. Malgré des années de dévouement, l’auteur n’obtient aucune forme de reconnaissance : il présente son livre dans des salles clairsemées, ne capte pas l’attention des visiteurs du musée et ne parvient à échanger avec son fils que lorsque ce dernier a besoin d’argent. Pourtant, sa biographie va trouver un nouveau public, fasciné, à un moment tardif – et inattendu. Victime d’un accident, Antonio perd la vie et son fils hérite de son appartement. Il décide de jeter aux ordures les œuvres d’Almendros. L’une d’entre elles, « Origine », est récupérée par un passant et installée dans son maison, ce qui va susciter la passion naissante d’une jeune fille, tellement désireuse d’en savoir plus sur le peintre qu’elle finira par lire la biographie qu’a écrite Antonio. Voilà une manière peu commune de remonter à l’origine.
Riche et ironique
Nos Trajectoires Humaines est un ouvrage qui joue beaucoup de l’ironie dont se teintent ses récits. Nadar met de l’inconfort dans la vie de ses protagonistes et se délecte des petits hasards de l’existence qui en pimentent la réalité brute. Les situations familiales sont toutes complexes et plus ou moins conflictuelles ; elles servent utilement le propos de l’auteur, qui se double à chaque fois d’une morale tout sauf professorale. De bonne facture.
Nos trajectoires humaines, Nadar
Marabulles, octobre 2023, 144 pages