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« L’Homme le plus flippé du monde » : anxiété généralisée et vie en société

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Dans ce troisième opus de L’Homme le plus flippé du monde, Théo Grosjean renoue avec son thème de prédilection, l’anxiété généralisée, qu’il met en scène à travers toute une série d’événements quotidiens.

Depuis plusieurs années, Théo Grosjean réussit à retranscrire avec talent et humour l’expérience de vivre avec une anxiété sociale souvent paralysante. Une fois encore, en se mettant lui-même en vignettes, il dresse un portrait authentique et émouvant de ces vulnérabilités psychologiques sur lesquelles il n’a aucune prise. 

L’auteur et dessinateur explore la manière dont chaque situation, y compris les plus banales, peut se transformer en une source de stress et d’angoisse. Que ce soit une simple rencontre dans la rue, une erreur de commande au restaurant ou une promiscuité anodine dans un supermarché, l’anxiété sociale est omniprésente. Théo Grosjean se penche aussi sur les objets du quotidien, qui deviennent des outils de gestion de cette anxiété, transformant ainsi leur fonction première : le judas lui permet de sortir en évitant tout contact humain, le masque chirurgical sert avant tout à dissimuler les sourires et les crispations, le SMS participe à l’évitement interpersonnel…

L’Homme le plus flippé du monde se distingue aussi par sa narration visuelle. En utilisant un style épuré en noir, blanc et orange, en traduisant les expressions hésitantes du personnage par des bulles de dialogue tremblantes, en exagérant ses traits comportementaux, Théo Grosjean parvient à transmettre des émotions complexes et intenses. Parmi ces dernières, on retrouve notamment la représentation de l’amour adolescent, entravé par une incapacité à établir des liens et à manifester ses sentiments en public. 

Il est intéressant de noter que Théo Grosjean nous montre comment le dessin et l’écriture sont devenus une forme d’exorcisme pour lui. Les moments où Théo se dessine en train de coucher sur le papier son propre vécu révèlent l’importance de l’art comme moyen de surmonter les tourments de l’anxiété sociale. Le processus de création devient pour lui un exutoire permettant d’extérioriser ses émotions et ses peurs.

Dans L’Homme le plus flippé du monde, l’anxiété règne en maître, du matin au soir. Les peurs, telles que la crainte de mal faire, de déranger ou de paraître ridicule, sont minutieusement décrites. Chaque interaction sociale est une épreuve, une source de malaise et de maladresse, et l’auteur parvient à rendre palpable l’intensité de la gamme d’affects qui en découlent. Ainsi, lorsqu’il contracte le coronavirus, Théo Grosjean voit ses inquiétudes se multiplier et s’exacerber, non seulement pour sa propre santé, mais aussi pour celle des personnes avec lesquelles il a eu des interactions. Cette surdramatisation reflète le fardeau constant que représente son « handicap ». 

Ce troisième épisode de L’Homme le plus flippé du monde est un nouveau plongeon dans l’univers tourmenté de l’anxiété sociale. Théo Grosjean se met à nu et nous offre un aperçu nuancé, à la fois amusant et touchant, de la vie d’un individu en proie à cette condition « diminuée ». Son exploration circonstanciée, d’un cabinet de psychologue aux balades dans une ville vidée de ses habitants (coronavirus oblige), en fait une œuvre authentique, dans laquelle beaucoup se retrouveront, fût-ce à petite échelle. 

L’Homme le plus flippé du monde : Improvisation totale, Théo Grosjean 
Delcourt, janvier 2024, 104 pages

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