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« Les Gens du bureau » : ce qu’il en coûte de gagner sa vie

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Yann Rambaud publie Les Gens du bureau, un recueil de dessins humoristiques prenant pour cadre le monde professionnel. En noir et blanc, le plus souvent cantonnés à une planche, ces derniers se parent d’ironie, de satire et parfois de cynisme.

De Lars von Trier à Stéphane Brizé en passant par les frères Dardenne ou Laurent Cantet, le monde du travail a fait l’objet de multiples déclinaisons au cinéma, dans des registres allant du film social à la comédie. Ces précédents issus du septième art peuvent s’avérer lourds à porter pour Yann Rambaud, dont les ambitions se traduisent davantage par l’humour que par la narration dramatique. Mais l’auteur et dessinateur en reproduit néanmoins certains motifs, puisqu’il dépeint la vie d’entreprise comme une bulle spatiotemporelle où l’absurde le dispute au désarroi ou au harcèlement. Et tant qu’à chercher des ponts vers l’écran, c’est plutôt le petit, avec les deux séries The Office, qui collerait au mieux à cet album irrévérencieux.

Jugez plutôt : des communicants friands de « franglish » peinent à se faire comprendre de leurs collègues ; un patron assène à son employé que si les machines ne l’ont pas encore remplacé, c’est uniquement à la faveur des flagorneries qu’il lui dispense ; la réponse au harcèlement sexuel consisterait à… être un homme ; le télétravail se résume à regarder la télévision grossièrement avachi dans un canapé… La détresse, le suicide, les stagiaires, la délation, la paresse, les violations d’intimité, le sexisme se voient tour à tour déclinés dans des dessins d’une page, dépourvus de couleurs et – le plus souvent – d’expressions faciales. Et s’il faut bien reconnaître une qualité à Yann Rambaud, c’est son sens… du non-sens.

D’un monde qui se prend trop souvent au sérieux, il tire des instantanés volontiers absurdes, matérialisés par l’incommunicabilité ou, d’un grotesque accentué, des cowboys, des canards ou des pigeons. Dans Les Gens du bureau, les retournements symboliques sont légion : on va au bureau pour se reposer, on démissionne quelqu’un qui veut se licencier, on se réunit pour regarder les photos compromettantes de ses collègues… Faire mouche en un dessin et quelques bulles n’est jamais chose aisée. Yann Rambaud y parvient toutefois avec succès, l’économie de moyens étant habilement compensée par l’inventivité. C’est ainsi que l’auteur portraiture un ersatz d’Adolf Hitler comme terrorisé par les souffrances psychologiques du monde de l’entreprise, qu’il confondra une immolation par le feu avec une performance artistique ou qu’il fera dire à un handicapé que son infirmité ne l’empêchera certainement pas de tripoter ses collègues féminines… Point de délicatesse ici, mais plutôt des sujets de société desquels on force le trait avec une certaine gourmandise.

Les Gens du bureau, Yann Rambaud
Vraoum!/Éditions Lapin, janvier 2022, 112 pages

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